[Dossier] Croissance - Décroissance : Quand le pilotage doit résister au grand écart
La crise a fait émerger des situations bien différentes : alors que certains enregistrent une croissance en berne, d'autres, notamment dans le secteur du digital, font face à une hypercroissance sans précédent. Deux situations divergentes, voire opposées et qui présentent pourtant des similarités.
Sommaire
Sommaire :
1. Le Daf, vigie dans la tempête
2. Le capital humain essentiel pour passer les phases houleuses
3. Paroles de Daf en hypercroissance
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2 1. Le Daf, vigie dans la tempête
Fini le rythme de croisière ! Qu'elles subissent une crise ou enregistre une croissance phénoménale, les entreprises font face à une même problématique : la remise en cause de leur fonctionnement habituel. Des phases houleuses qui nécessitent que le Daf sache bien tenir la barre et apporte à sa société ce qu'il sait le mieux faire : des process solides et des indicateurs fiables. L'objectif étant de passer ces périodes de désorganisation sans encombre pour ensuite lancer l'entreprise durablement sur de bons rails. Le cash, nerf de la guerrePremier problème : les dirigeants, et notamment le Daf, ont d'autres soucis en tête que la structuration du back office quand ils font face à des phases de croissance et de décroissance. « Pour les groupes en forte croissance, la gestion et la structuration sont souvent abordées en second : les dirigeants se disent qu'ils s'en occuperont après car le plus important est de consacrer son énergie à développer la croissance », observe Stéphane Nenez, associé Eight Advisory. De la structure, elles en apportent, mais au niveau opérationnel, sur le front office. Oubliant un peu les fonctions support. « Les entreprises en croissance sont focalisées sur le core business mais sont immatures sur le reste. Or, il faut construire les fondations de sa maison si on veut que celle-ci soit solide », avertit Bertrand Molinier, associé EMI Conseil. Olivier Beugnet insiste lui aussi sur l'importance de mettre en place les outils et process en phase de croissance afin d'être plus réactif en phase de décroissance et de mieux la gérer. « Ce n'est pas en phase de décroissance qu'on répare une maison qui n'est pas solide », met-il en garde.
S'il peut être difficile de structurer une société balbutiante, qui n'a que quelques clients et une poignée de salariés, il faut quand même réussir à mettre un cadre solide assez vite. « La croissance se fait souvent par étapes : l'entreprise se développe puis marque une pause pour revoir les bases, se réorganiser, recruter les bonnes personnes. Il faut prendre le temps de se structurer avant de reprendre une activité de croissance, sur des bases plus solides », conseille Frédéric Cossais, directeur financier de transition. C'est exactement la manière dont s'est développée la société Sendinblue, éditeur de solutions marketing : « Les fonctions support ne sont pas les premières auxquelles nous nous sommes intéressés. Il s'est passé plusieurs années avant que nous recrutions un directeur financier, à la demande de nos investisseurs ; nous n'en voyions pas l'intérêt. Aujourd'hui, nous réalisons à quel point il est important d'établir des prévisions, de savoir de quelles activités proviennent nos revenus », raconte Armand Thiberge, fondateur et CEO de Sendinblue, qui reconnaît qu'il a été happé par l'hypercroissance de sa société. En effet, la structuration de la fonction finance est plus que nécessaire en période d'hypercroissance. Ne serait-ce que pour surveiller le cash et s'assurer que l'entreprise est en mesure de financer sa croissance « La gestion de la trésorerie est primordiale pour les sociétés en hypercroissance : elle est indispensable pour se développer et les entreprises doivent surveiller efficacement leur cash afin de pouvoir anticiper les éventuelles tensions et agir en conséquence », met en garde Stéphane Nenez. Le cash est également important en phase de décroissance : ce sont souvent les problèmes de trésorerie qui conduisent les entreprises à mettre la clé sous la porte. Il faut donc le suivre mais aussi mettre en oeuvre des solutions pour le préserver. « Le Daf d'une société en décroissance doit être en mesure de piloter son entreprise par le cash : il s'agit non plus de se demander si on gagne ou si on perd de l'argent mais si telle ou telle activité coûte ou rapporte du cash à court terme. Les flux du bilan deviennent prioritaires sur les flux du compte de résultat », détaille Bertrand Falcotet, associé Valtus. Lire aussi : Cash et résultat, deux amis indissociables Anticiper en prenant en compte toutes les donnéesAttention cependant à ne pas surveiller que le cash, au détriment d'autres indicateurs. « Le cash est indispensable à court terme mais le Daf doit ensuite donner une nouvelle direction, une nouvelle dynamique, être dans la projection », souligne Bertrand Falcotet à propos des entreprises en décroissance. Même challenge du côté des entreprises en hypercroissance : « Pour réussir à absorber la croissance, il faut se structurer dès l'origine en disposant très tôt d'indicateurs avancés afin d'avoir une vision stratégique à moyen terme : façon dont évolue le marché, comportement des consommateurs... des indicateurs macro-économiques qui permettent de prévoir ce qui va se passer », décrit Olivier Beugnet, associé chez Bearing Point. Il recommande aussi d'être au plus près de ses clients afin d'anticiper leurs demandes. « Cela est également important en phase de décroissance : imaginer le comportement futur du client permet de savoir sur quoi investir, quels sont les sujets prioritaires afin d'anticiper la sortie de crise et d'être déjà dans le rebond », ajoute-t-il. Frédéric Cossais préconise aussi de réaliser une veille technologique pour s'assurer de ne pas rater un virage technologique. Pour Florent Berckmans, associé Eight Advisory, bien gérer les phases d'hypercroissance et de décroissance consiste avant tout à se projeter. « Les entreprises cycliques font toujours des scénarios pour savoir quoi faire face à tel ou tel événement », rapporte-t-il, soulignant qu'il faut être en capacité de se projeter sur des événements imprévisibles, de faire des stress tests non pas uniquement sur des problèmes de cash mais aussi sur des sujets autres (cyber attaque, commande client exceptionnelle...). Il conseille lui aussi de suivre l'état de son marché, de ses concurrents, les retours des clients et des fournisseurs mais aussi les décisions politiques « Autant d'éléments qui peuvent annoncer une surchauffe à venir pour s'y préparer », avance-t-il. Bertrand Falcotet invite également à surveiller le turnover. Ces indicateurs permettent d'anticiper les risques à venir et de s'y préparer mais aussi d'ajuster la stratégie et de prendre les bonnes décisions. « Que ce soit en période de croissance ou de décroissance, les entreprises doivent savoir ajuster leurs ressources à la nature et au volume de leurs activités », pense Michel Rességuier, président de Prospheres. Pour lui, la difficulté rencontrée par les entreprises en phase de croissance comme de décroissance, réside dans la méconnaissance des modèles économiques de leurs différentes activités. « Les sociétés sont souvent dans l'incapacité de prévoir l'impact d'une activité sur les ressources humaines, les achats, la comptabilité, l'IT, le BFR, etc. Il faut donc correctement analyser les différents modèles économiques de ses activités pour savoir comment réagir en cas de croissance ou de décroissance, les impacts que créeraient le repositionnement sur une activité, le lancement d'un nouveau produit ou l'achat d'une nouvelle société », prévient-il. Lire aussi : Comment optimiser sa performance économique ? Françoise Malabard, Daf de transition, ne compte plus le nombre de sociétés qui se sont retrouvées en grande difficulté parce qu'elles n'avaient pas assez anticipé ces éléments. « Accepter une commande dans un autre pays, par exemple, engendre de nouvelles règles, de nouvelles taxes. Et donc de nouveaux coûts qui ne sont souvent pas bien pris en compte. Il vaut parfois mieux refuser une commande », note-t-elle. Dégager des données économiques clés permet non seulement de prendre les bonnes décisions, de manière structurante, basées sur des chiffres et des prévisions précises. Mais aussi d'aller plus vite, le nerf de la guerre en période houleuse. « Le temps est la plus grosse contrainte des sociétés en hypercroissance ou en décroissance : le circuit de décision doit être très court pour être très rapide. Les dirigeants doivent avoir toutes les cartes en main », interpelle Florent Berckmans. Des process écrits et des outils agilesAutre élément d'importance lorsque l'on structure son entreprise : les process. « Des entreprises en hypercroissance finissent par échouer parce que le processus de facturation est défectueux et qu'elles n'arrivent pas à facturer correctement leurs clients », rapporte-t-il. Structurer le back office est en effet primordial. « Il faut identifier les noeuds de processus, de fonctionnement IT qui créent des ralentissements quand les données vont s'accélérer », indique Bertrand Dufour, associé RSM, à propos des entreprises en hypercroissance. Et d'ajouter : « Sans structuration, il y a un effet d'évolution du nombre d'erreurs et de non maîtrise des flux.» On en revient à la nécessité de suivre des données fiables, que seuls de bon process peuvent permettre de faire émerger. Adopter des outils peut aider à cela. Même s'il vaut mieux, quoi qu'il en soit, structurer ses process et ensuite adopter des outils. Olivier Beugnet incite par exemple les entreprises en forte croissance à digitaliser au maximum afin d'absorber les nouveaux flux et d'être plus efficient. « Cela permet de plus d'éviter une explosion des effectifs », ajoute-t-il. Mais attention à ne pas se digitaliser sans réflexion préalable. « Attention à ne pas se noyer dans les outils », avertit Bertrand Falcotet. Certaines fonctionnalités peuvent en effet ne pas être adaptées à l'entreprise. Ne pas céder aux sirènes de la mode, donc, mais évaluer ses besoins, actuels et futurs. Pour permettre aux outils informatiques d'évoluer en même temps que sa société, Olivier Beugnet conseille d'être dans une logique plug and play, avec un socle fondateur sur lequel viennent se greffer de nouvelles applications. « Cela permet d'évoluer facilement : dans le cas d'une nouvelle acquisition par exemple, il suffit de connecter la nouvelle société à ce socle commun », indique-t-il. « Il faut également recruter les bonnes personnes pour faire vivre ces outils et prendre les bonnes décisions », poursuit Frédéric Cossais. Les phases de croissance et de décroissance remettant en cause toute l'organisation, elles touchent également aux ressources humaines.
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3 2. Le capital humain essentiel pour passer les phases houleuses
Les périodes houleuses que sont les phases de croissance et de décroissance nécessitent de prendre soin de son capital humain. Il ne s'agirait en effet pas de rendre la situation encore plus périlleuse en devant faire face à des départs de talents clés pour l'entreprise. Gérer les hauts et les bas d'une entreprise, c'est aussi (et avant tout) une question de management. Ajuster ses ressources à ses besoinsPremier point clé en matière de RH quand on est en période de forte croissance ou décroissance : ajuster ses ressources à ses besoins. En phase de décroissance, se séparer des salariés d'une activité jugée non rentable permet de réaliser des économies. « Faire un audit social est très important pour dégager du cash rapidement. D'autant plus qu'il existe toujours des salariés proches de la retraite ou qui ont envie de suivre une formation et qui sont donc d'accord pour partir », note Françoise Malabard, Daf de transition. Mais attention, cette partie sociale ne doit pas concerner que la production et les effectifs opérationnels : Michel Rességuier, pdg de Prospheres invite à ajuster les ressources également au sein des activités dites "support" : « Il s'agit de mesurer honnêtement les besoins de l'entreprise dans chacune de ses fonctions. » Cet ajustement des ressources humaines peut également concerner les postes de directeurs, surtout s'ils sont en surnombre. Bertrand Falcotet, associé chez Valtus, invite cependant à identifier très rapidement les talents clés nécessaires au retournement de l'entreprise pour faire en sorte qu'ils ne la quittent pas et pour s'appuyer sur ces forces solides dans la tempête. En phase de croissance, repérer ces talents clés est également indispensable. Chez Sendinblue, la direction générale s'est attelée à repérer très tôt les personnes en interne capables d'endosser des postes de direction. « Il est important, également, de recruter des gens de l'extérieur, qui ont connu des organisations de taille plus importante », indique Armand Thiberge, fondateur et CEO de Sendinblue. En effet, ajuster les ressources humaines à ses besoins se traduit en phase de croissance par du recrutement. Une tâche qui n'est pas plus aisée que le licenciement. « Lorsqu'une entreprise est en hypercroissance, elle fait face à un enjeu de gestion des talents : elle doit recruter très rapidement, ce qui est antinomique avec l'identification des meilleurs profils. Nous conseillons donc à ces entreprises de se concentrer sur ce qui est essentiel et de déléguer des commodités non stratégiques en outsourçant », rapporte Bertrand Mabille, associé Epsa. Le management de transition peut également être une option pour prendre le temps de recruter les bonnes personnes. Lire aussi : Pour vos recrutements, pensez à la cooptation Au niveau de la Daf, il faut s'assurer que les ressources humaines sont bien en phase avec les besoins. Le Daf, lui-même, doit être en mesure d'évoluer avec son entreprise : être Daf d'une PME n'est pas être Daf d'une ETI ; et guider une entreprise en restructuring est également une tâche bien particulière. Le Daf doit donc s'informer et se former. Mais aussi recruter les talents en mesure de l'épauler dans ses nouvelles tâches. « Il doit se demander si ses équipes vont lui permettre de passer le cap sur l'ensemble de ses fonctions et recruter si ce n'est pas le cas », insiste Bertrand Falcotet. Communiquer en toute transparenceCes recrutements ou licenciements transforment l'entreprise qui doit adopter une nouvelle organisation. « La gestion des RH est un sujet majeur en phase d'hypercroissance : il faut réussir à créer l'identité de la société, à mettre en place un process de recrutement mais aussi d'intégration », pointe Bertrand Dufour, associé RSM. Armand Thiberge rapporte en effet que la DRH, recrutée il y a un an, consacre beaucoup de temps à internaliser les nouvelles recrues. « Il faut faire en sorte que les nouveaux soient bien accueillis afin que l'entreprise garde son âme », juge le CEO de la start-up. L'objectif est de réussir à ce que tout le monde se sente à sa place, les nouveaux salariés comme les anciens, pour que chacun porte l'entreprise dans la même direction. « Dans une société en hypercroissance, l'enjeu le plus difficile est managérial : on passe d'une petite structure agile à une structuration de management intermédiaire. Il faut réussir à ne pas perdre en agilité tout en se structurant pour que les collaborateurs ne soient pas perdus, pointe Bertrand Mabille. Il faut donc accepter que tout ne soit pas proccessé tout en cadrant les choses pour que les salariés se retrouvent dans l'organisation ». Un mélange de cadre et de souplesse, donc, pas évident à mettre en place. D'autant plus que des personnes qui n'en avaient pas l'habitude se retrouvent à endosser un rôle managérial et doivent apprendre à déléguer. Le Daf en premier lieu. Lire aussi : Télétravail : comment manager à distance ? Bertrand Falcotet juge la communication comme essentielle. « L'objectif est d'emmener un maximum de personnes malgré les changements forts au sein de l'organisation. Il faut donc accompagner les salariés, être à leur écoute, leur expliquer où on va, faire en sorte qu'ils trouvent leur place », conseille-t-il. Cette communication est clé, aussi bien en phase d'hypercroissance que de décroissance. « En phase de décroissance, le premier enjeu est de communiquer de manière précise et cohérente. Un telle période peut être mal vécue et mal comprise : il ne s'agit pas de dire uniquement qu'on va faire le dos rond pendant un moment mais de l'envisager comme l'opportunité de consolider les acquis et de se structurer. Il faut emmener les salariés vers un autre scénario, ne pas subir », met en garde Bertrand Dufour. Le risque étant que des talents s'en aillent si le projet n'est pas clair et la maîtrise de la situation non plus. « Des équipes qui sont très talentueuses mais qui n'ont jamais connu de crises peuvent se retrouver épuisées, voire en burn-out, lors d'une situation de décroissance. Il faut prendre garde à cela », recommande Françoise Malabard. Pour Olivier Beugnet, associé Bearing Point, cette communication à destination des équipes doit être l'occasion de rassurer mais aussi de responsabiliser : il insiste sur la nécessité, en phase de croissance comme de décroissance, de leur inculquer une culture financière. Un rôle que le Daf doit endosser pour emmener toute l'entreprise vers des lendemains plus apaisés. |
Transparence envers les parties prenantesLes entreprises qui connaissent des périodes houleuses de croissance ou de décroissance doivent prendre soin de leurs parties prenantes. « Quand le climat est moins favorable, les fournisseurs demandent des délais de paiement plus courts, les banquiers sont frileux... Il faut communiquer pour rétablir la confiance », avance Bertrand Falcotet. Et en premier lieu avec les financeurs : pour Florent Berckmans, les Daf qui s'en sortent le mieux ne sont pas ceux qui ont les meilleurs tableaux de bord mais ceux qui ont une bonne relation avec leurs banquiers et qui ont su monter un financement en lien avec leur activité. « Il faut savoir demander un financement, l'équilibrer, l'animer.» Pour les entreprises en croissance, il s'agit de faire comprendre leur activité, leur stratégie, et pour les entreprises en crise, de réussir à présenter un avenir. Le dialogue est aussi important avec les fournisseurs pour ne pas se retrouver en rupture d'approvisionnement : les entreprises en forte croissance doivent leur donner des perspectives pour qu'ils soient en mesure de suivre le rythme, tandis que celles en difficulté doivent opter pour la transparence. Dialoguer plutôt que faire l'autruche permettra de trouver des solutions. 3. Paroles de Daf en hypercroissanceManoMano, Papernest, Data4, Yousign : les Daf de quatre sociétés en forte croissance ont accepté de partager leurx epériences. Entre recrutement et process, la vie d'un Daf en hypercroissance n'est pas de tout repos.
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