Dominique Chargé (CPME) « Les réformes engagées doivent être ciblées et exclure toute hausse de la fiscalité »
Annonces du président Trump, soubresauts géopolitiques, budget 2026, déploiement de la facturation électronique, les PME font face à une avalanche d'incertitudes. Entretien avec Dominique Chargé, vice-président en charge des affaires économiques de la CPME pour mieux comprendre comment anticiper et naviguer dans ce contexte imprévisible.

De nombreuses incertitudes géopolitiques pèsent sur les entreprises. Quels impacts observez-vous?
Dominique Chargé : Sur le plan international, nous suivons particulièrement les conséquences des récentes déclarations du président Trump. L'ensemble des économies mondiales est simultanément confronté aux mêmes incertitudes. Cela crée une dynamique que l'on pourrait qualifier de « jeu de chaises musicales » où chaque pays, face à un risque commun, cherche à diversifier ses échanges commerciaux.
Cette tendance générale à la diversification engendre un risque important pour nous : celui d'un redéploiement des flux commerciaux, notamment en provenance d'Asie, et d'une réorientation des surcapacités industrielles asiatiques vers l'autre grand marché solvable au niveau mondial, à savoir l'Europe. Cette situation entraîne un déséquilibre global des flux commerciaux, qui affecte directement le commerce international et, par ricochet, les entreprises françaises.
Concernant les droits de douane annoncés par le président Trump, quelles répercussions peut-on craindre ?
D. C. : Il y a quand même 10 % de taxes actuellement appliquées en attendant d'en savoir plus, et l'échéance du 9 juillet pourrait être repoussée. Ce qui n'est pas une bonne nouvelle, car nous demeurons dans un climat d'instabilité prolongée.
À cela s'ajoute l'affaiblissement du dollar, qui exerce une pression directe sur le taux de change et, par conséquent, sur la compétitivité de notre économie. En effet, les exportateurs français subissent aujourd'hui un effet de change défavorable, qui ampute leur compétitivité à l'international. On peut estimer cette perte à près de 10 %, à laquelle s'ajoutent les droits de douane de 10 %. En somme, cela revient à une double pénalisation pour nos entreprises.
Par ailleurs, ce contexte alimente des tensions inflationnistes. L'augmentation des droits de douane entraîne inévitablement une hausse des prix à la consommation, ce qui affecte directement le pouvoir d'achat des ménages, en France comme en Europe.
A quel point cela pourrait déstabiliser une entreprise ?
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D. C. : La perturbation des chaînes d'approvisionnement est à surveiller de près. Les barrières tarifaires entraînent inévitablement des déséquilibres dans les échanges mondiaux, mais cela se manifeste également dans l'approvisionnement en intrants et en matières premières pour les entreprises.
Les réorientations de flux ont un effet déstabilisateur, en particulier pour les PME, qui sont aujourd'hui fragilisées. Ces structures présentent une vulnérabilité spécifique : elles ne disposent ni des ressources financières ni de la souplesse nécessaire pour s'adapter rapidement à ces nouvelles contraintes commerciales, contrairement à d'autres entreprises de taille plus importante.
Dans ce contexte, un soutien est indispensable. Et il faut souligner que cette instabilité a déjà un impact direct sur l'investissement. Un chiffre. Un chef d'entreprise sur quatre, soit 26 %, déclare avoir annulé un projet d'investissement. Par ailleurs, 40 % prévoient de les reporter. Cet effet immédiat sur l'investissement se répercute ensuite sur le recrutement et, inévitablement, sur l'emploi.
Nous identifions ainsi des zones de fragilité, avec des perspectives de destruction d'emplois, ou à tout le moins un impact négatif sur le niveau du chômage, en raison de la situation actuelle et de l'instabilité internationale.
Au niveau national, des incertitudes persistent également. Quels enjeux en découlent pour les entreprises ?
D. C. : La prévision de croissance pour les deux années à venir vient d'être revue à la baisse par rapport aux estimations du mois de mars. Nous sommes désormais sur une projection de 0,6 % pour cette année, contre 0,7 % dans la précédente évaluation. Cela traduit une économie française qui s'enlise dans une croissance atone.
Deux conséquences majeures en découlent. La première concerne les finances publiques : une croissance plus faible signifie mécaniquement des recettes fiscales moindres. La dette publique poursuivrait sa trajectoire ascendante, pour atteindre environ 120 % du PIB d'ici à 2027, ce qui nous place en forte divergence par rapport à la moyenne des pays de la zone euro.
Cette fragilité structurelle pèse sur la solidité de notre économie et impacte le moral des entreprises. Pourquoi ? Parce qu'elle engendre un manque de lisibilité budgétaire et fiscale. Cette opacité complique la planification stratégique des entreprises qui se retrouvent à élaborer leurs budgets sans avoir de cadre clair au niveau national, notamment en ce qui concerne l'évolution de la fiscalité. Cela contribue directement aux décisions de report, voire d'annulation, des investissements - avec, à terme, un effet négatif sur l'emploi, en particulier dans les territoires.
Un point toutefois, plus inattendu et relativement positif, mérite d'être mentionné : plusieurs chefs d'entreprise signalent une amélioration perçue de l'accès au crédit. Dans un contexte de remontée des taux d'intérêt, ce ressenti d'un accès facilité au financement constitue un élément plutôt encourageant.
Ces derniers mois, les tensions de trésorerie, risques d'impayés inquiètent les directions financières. Comment expliquez-vous cette situation préoccupante ?
D. C. : Ces difficultés sont d'abord le reflet d'une dégradation globale du contexte économique. La morosité ambiante pèse sur la demande, ce qui entraîne des effets en cascade sur les entreprises : des délais de paiement qui s'allongent, une tension croissante sur les trésoreries, et, in fine, un impact sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement.
Nombre de PME, notamment implantées dans les territoires, répondent régulièrement à des appels d'offres publics. Or, ces retards ou impayés concernent également des contrats passés avec des acteurs publics, ce qui accentue encore les difficultés rencontrées. Dans ce contexte, il va de soi que l'investissement est pénalisé. Ces tensions financières freinent la capacité des entreprises à se projeter et à engager de nouveaux projets.
Le Budget 2026 est en préparation. Quels vont être les points d'attention que vous allez suivre dans vos échanges avec le ministère ?
D. C. : Nous participons actuellement aux travaux du Conseil national des entreprises et à plusieurs réunions ministérielles dont les deux premiers sujets abordés ont été, d'une part, les conséquences des taxes instaurées par l'administration Trump et, d'autre part, les perspectives budgétaires actuelles et leur impact sur nos entreprises. Un objectif de réduction de la dépense publique à hauteur de 40 milliards d'euros a été fixé pour le budget de l'année prochaine, sans augmentation des impôts. Il s'agit donc de réaliser ces économies par une maîtrise des dépenses, afin de ramener le déficit public autour de 4,6 % du PIB.
L'enjeu réside dans la nécessité d'inciter fortement l'État comme les collectivités territoriales à ne pas accroître leurs dépenses, et à veiller rigoureusement au respect des trajectoires budgétaires qui intègrent ces réductions. Nous restons toutefois très attentifs à ce que cette nécessaire réduction du déficit ne se fasse pas au détriment des PME. Les réformes engagées doivent être justes, ciblées, et exclure toute hausse de la fiscalité. Il est impératif que le soutien à l'activité économique - notamment à celle des entreprises de nos territoires - soit maintenu, voire renforcé.
Enfin, nous soulignons que la complexité du système fiscal actuel génère des coûts de gestion importants pour les entreprises : du temps, de l'incertitude juridique, et une charge administrative qui pèse de manière improductive sur l'activité des entreprises. Il est donc essentiel d'agir aussi dans une logique de simplification fiscale. Recourir à des prélèvements supplémentaires, en particulier sur les entreprises, affaiblirait leur compétitivité et nuirait in fine à la croissance, ce qui revient à compromettre les ressources fiscales elles-mêmes. C'est pourquoi nous demeurons particulièrement attentifs quant au niveau de la pression fiscale exercée sur le tissu productif.
Le déploiement de la réforme de la facturation électronique à partir de septembre 2026 semble acquis. Quels sont les points de blocages actuellement ?
D. C. : Il existe un véritable point de vigilance concernant les moyens déployés pour garantir l'agrément et le bon fonctionnement des plateformes privées. Il est essentiel que la DGFIP mène un dialogue clair, structuré et continu avec nos réseaux afin que nous puissions assurer un accompagnement efficace. À ce stade, les choses commencent à se mettre en place. Je reste donc raisonnablement optimiste quant à notre capacité collective à réussir cette transition.
De nombreuses entreprises ne sont pas encore prêtes. Pourquoi selon vous ?
D. C. : Il est probable que cette réforme nécessite un travail particulièrement conséquent entre la fin de l'année 2025 et le mois d'août 2026. S'agissant des PME, il est important de rappeler qu'elles ne disposent pas nécessairement des équipes ou des ressources internes pour gérer ce type de transition. J'ai en tête l'exemple d'un chef d'entreprise déjà fortement mobilisé par l'ensemble des enjeux que nous avons évoqués précédemment, et qui, faute de moyens humains suffisants, ne peut pas nécessairement s'investir pleinement dans ce chantier.
Cela pourrait conduire à une forme de délégation de la gestion de ce sujet, ce qui, d'une certaine manière, n'est pas inenvisageable. Cela pourrait même constituer une opportunité pour repenser certains processus internes.
Comme pour tout changement, une période d'inconfort, d'inquiétude, voire de complexité opérationnelle est à prévoir. C'est pourquoi un accompagnement solide et structuré sera absolument nécessaire.
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