Facturation électronique : enjeux et prochaines étapes à respecter
À l'occasion de la Journée de la Facturation Electronique ce 13 mai, la rédaction s'est entretenue avec Cyrille Sautereau, président du FNFE-MPE (Forum National de la Facture Électronique et des Marchés Publics Électronique) et organisateur de l'événement qui a lieu ce mardi au Palais Brognard à Paris. L'occasion de revenir sur le calendrier, les enjeux, impacts et freins qui persistent encore dans le déploiement de la réforme qui débutera en septembre 2026.

Après de nombreux rebondissements, le calendrier de la réforme se confirme-t-il bien ?
Cyrille Sautereau : Le calendrier est désormais très clairement confirmé. Il bénéficie d'un appui solide, en particulier de la part de la ministre, dont l'implication constante constitue un élément déterminant.
Par ailleurs, le portail public de facturation semble désormais s'inscrire dans une dynamique stabilisée. Concevoir une plateforme unique destinée à toutes les entreprises représentait un défi technique et organisationnel considérable. Le fait de ne plus avoir à porter seul cette complexité et de pouvoir recentrer les efforts sur l'essentiel - à savoir, assurer le bon fonctionnement du dispositif, connecter les Plateformes de Dématérialisation Partenaires (PDP) et centraliser les données au profit de la DGFIP - constitue une évolution vers un périmètre nettement plus maîtrisable. De manière générale, les acteurs semblent désormais alignés sur le planning prévu. Aucune alerte majeure ne subsiste aujourd'hui.
Quelles sont les prochaines étapes ?
C. S. : L'annuaire du portail public de facturation est déjà en production, bien qu'il ne soit pas encore accessible aux entreprises. L'administration fiscale, fortement investie dans le processus, participe activement aux réunions de travail et joue un rôle central sur des enjeux structurants tels que l'interopérabilité et la portabilité des adresses électroniques entre PDP. Cette portabilité vise à permettre aux entreprises de conserver leurs identifiants lorsqu'elles changent de prestataire, évitant ainsi des perturbations inutiles dans leur organisation et contribuant à préserver un équilibre concurrentiel sain.
Une attention particulière est portée au dernier kilomètre, notamment aux questions techniques liées aux API. L'administration se montre également vigilante quant au risque que certaines PDP, ayant participé aux phases de tests, ne bénéficient d'un avantage indu dans le déploiement commercial. Afin de garantir une mise en concurrence équitable, toutes les PDP disposent d'un délai de deux mois pour finaliser leur connexion à l'annuaire. L'objectif est de rendre ce dernier public d'ici juin prochain, de sorte que toutes les plateformes puissent commencer leur activité dans des conditions comparables, offrant ainsi aux entreprises une diversité de choix effective parmi les 90 PDP agréées, et évitant que la précipitation ne favorise les premiers entrants.
À compter du mois de juin, l'annuaire sera accessible selon deux modalités distinctes. D'une part, il pourra être consulté manuellement via le portail public de facturation, permettant ainsi aux utilisateurs de rechercher directement les adresses de leurs clients. D'autre part, les Plateformes de Dématérialisation Partenaires (PDP) bénéficieront d'un accès automatisé et industrialisé à cet annuaire. Elles seront ainsi en mesure de proposer à leurs clients des services de consultation optimisée ou de réplication des données de l'annuaire, dans une logique d'intégration fluide au sein de leurs propres systèmes.
Quels enjeux pour les entreprises qui souhaitent choisir leur PDP ?
C. S. : Un premier enjeu concerne la standardisation de la connexion entre le système d'information des entreprises et les PDP. L'objectif est que cette interconnexion puisse s'effectuer selon des normes partagées, de manière à garantir une interopérabilité fluide, permettant aux entreprises de se connecter aisément à une PDP, puis éventuellement d'en changer sans complexité excessive. Cette exigence de normalisation s'adresse en priorité aux PME, nombreuses et parfois moins bien équipées pour gérer la complexité technique de l'e-facturation. Pour les grandes entreprises, une intégration plus poussée et spécifique sera naturellement de mise, du fait de la complexité de leurs systèmes d'information, ce qui rendra cette interchangeabilité moins immédiate.
Certaines difficultés sont encore évoquées par les entreprises côté IT, quels sont les derniers défis identifiés selon vous ?
Il convient de nuancer certaines difficultés évoquées en matière de connexion : elles tiennent parfois au fait que les systèmes d'information actuels ne sont pas toujours conçus pour gérer des factures électroniques structurées. C'est précisément pour y remédier que les premiers chapitres de normalisation AFNOR vont être publiés, afin de clarifier ce qu'est une facture structurée, comment elle se compose, et quelles règles de gestion lui sont applicables.
Ainsi, le défi consiste à former les entreprises à produire des factures structurées, mais aussi à les utiliser efficacement. Certes, il reste possible de générer un format lisible et de saisir manuellement la facture, mais cela revient à renoncer aux bénéfices de l'automatisation.
En réalité, le problème ne réside pas tant dans le niveau de préparation des PDP que dans le fait que les entreprises doivent désormais adapter leur système d'information à un format normé, ce qui suppose un effort significatif d'évolution. Un travail important est donc attendu des éditeurs de logiciels, afin que leurs solutions soient pleinement compatibles avec cette nouvelle norme et facilitent la transition pour leurs clients.
D'un point de vue fiscal, quels changements va générer la réforme initiée ?
L'enjeu porté par l'administration fiscale est d'intérêt national. Cela fait maintenant trente ans que la facture électronique existe, et pourtant son déploiement demeure partiel. Jusqu'à présent, sa diffusion s'est construite par l'initiative des acteurs économiques eux-mêmes - tantôt des donneurs d'ordre, tantôt des fournisseurs - qui ont tenté, chacun de leur côté, d'imposer leurs propres pratiques. Les acheteurs, souvent à l'origine des initiatives, ont cherché à imposer à leurs fournisseurs l'émission de factures électroniques, tandis que certains grands fournisseurs, à leur tour, ont tenté de diffuser leurs factures au format électronique par divers canaux : envoi par courriel, portails web, solutions EDI, etc. Chacun, en agissant selon ses priorités, a souvent transféré la complexité vers sa contrepartie. Face à cette situation, l'administration entend désormais mettre un terme à cette logique individualiste et fixer un cadre commun, définir des règles claires, normalisées, et de faire converger l'ensemble des acteurs vers un planning coordonné. Certes, la phase de transition peut être délicate, mais elle est indispensable pour permettre à tous de basculer vers un système où les factures s'échangent réellement de manière électronique, de façon fluide, sécurisée et homogène.
Pour les entreprises, quels sont les impacts ?
Les entreprises seront amenées à définir une ou plusieurs adresses électroniques dédiées à la réception des factures. Le besoin en la matière reste limité : une multitude d'adresses n'est pas nécessaire. Ces adresses seront référencées dans l'annuaire du Portail Public de Facturation (PPF). Ce dernier, accessible à l'ensemble des clients et fournisseurs, facilitera grandement les échanges. La consultation sera aisée : le numéro SIREN de l'entreprise suffira pour retrouver les coordonnées de réception des factures. Dès lors, il sera possible d'inscrire l'adresse directement dans la facture, garantissant ainsi son acheminement jusqu'au bon destinataire.
Ce système présente l'avantage majeur d'offrir une traçabilité complète et sécurisée. Contrairement aux envois par courriel susceptibles de se perdre, chaque transmission est suivie, ce qui permet de savoir si une facture est bien parvenue à son destinataire, si elle a été rejetée, ou si elle n'a jamais été transmise. Ce dispositif contribue donc à renforcer la fiabilité, la transparence et la fluidité des échanges, tout en réduisant significativement les pertes ou litiges liés à la transmission des factures. Il s'agit d'une avancée considérable, qui simplifiera durablement la gestion administrative des entreprises. Encore faut-il, bien sûr, que ces dernières se projettent pleinement dans cette nouvelle organisation.
La réforme se déploiera dès septembre 2026. D'ici là, comment les entreprises peuvent-elles se préparer ?
C. S : À compter de septembre 2026, l'obligation généralisée portera sur la réception des factures électroniques. Cela signifie que chaque entreprise devra, d'ici là, s'organiser pour définir son ou ses adresses électroniques de réception, lesquelles seront référencées dans l'annuaire public.
Il conviendra également de choisir une Plateforme de Dématérialisation Partenaire (PDP) en charge de cette réception, à l'image de ce que l'on fait aujourd'hui en sélectionnant un opérateur pour gérer ses courriels. Une fois ces éléments mis en place, les factures électroniques seront automatiquement adressées à l'entreprise concernée via la PDP choisie. Ces factures, enrichies de données structurées, offrent une valeur ajoutée considérable. Il appartiendra alors à chaque entreprise de décider dans quelle mesure elle souhaite tirer parti de ces informations. Rien n'impose d'en exploiter le contenu de manière automatisée, mais les plus avertis sauront en faire un levier d'optimisation.
Il est important de rappeler que seule la réception sera obligatoire pour l'ensemble des entreprises à partir de septembre 2026, tandis que l'émission ne concernera, à cette date, que les grandes entreprises et les ETI. Néanmoins, l'ensemble de l'écosystème est conçu pour que les opérations puissent débuter en amont de cette échéance, de façon progressive et volontaire. Ainsi, les entreprises qui souhaitent anticiper pourront le faire en toute liberté. Ce déploiement progressif permet d'éviter un basculement brutal - un « Big Bang », et de traiter les cas d'usage simples dans un premier temps, tout en prenant le temps nécessaire pour intégrer les situations plus complexes.
Des inquiétudes persistent pour certaines entreprises, comment l'expliquez ? Certaines disent ne pas être totalement au courant des détails de la réforme...
C. S. : L'objectif est qu'à l'approche du 1er septembre 2026, l'obligation de réception ne constitue plus un sujet d'inquiétude. Les PME auront, pour la plupart, déjà défini leur adresse de réception et commencé à recevoir des factures électroniques, rendant la bascule officielle quasiment transparente.
Pour celles qui n'auraient pas encore franchi le pas, l'échéance rendra la démarche obligatoire, mais le contexte aura été suffisamment préparé pour qu'elle s'effectue sans heurts. L'obligation d'émission, quant à elle, ne s'appliquera aux autres entreprises qu'en septembre 2027, ce qui laisse deux ans et demi pour se préparer, une durée que l'on peut estimer raisonnable. C'est précisément pour cette raison que la proposition de report évoquée en mars dernier n'avait pas de véritable justification. Le calendrier permet une montée en charge progressive, et un certain nombre d'entreprises, ayant désormais accès à des outils capables de générer des factures structurées intégrant les SIREN de leurs clients, n'ont plus aucun intérêt à poursuivre l'émission de factures papier ou PDF.
Pour certaines entreprises, il existe encore des réticences pour choisir une PDP privée ?
C. S : L'un des principaux freins à l'adoption de la facturation électronique réside dans l'instabilité perçue du modèle économique, souvent qualifiée « d'ascenseur émotionnel ». Les hésitations entre gratuité et tarification ont pu semer le doute, d'autant plus que la gratuité initiale du portail public a pu laisser croire, à tort, que l'ensemble des services associés serait durablement sans frais. Or, cette gratuité visait avant tout à rassurer les PME quant à l'accessibilité du dispositif. Elle a également, de manière indirecte, contribué à structurer un marché, en faisant émerger l'idée qu'échanger des factures électroniques ne devrait pratiquement rien coûter. En revanche, les services à valeur ajoutée - intégration des données, automatisation, accompagnement - relèvent logiquement d'une tarification spécifique.
Aujourd'hui, avec près de 90 PDP sur le marché, la majorité adopte des modèles freemium. L'émission ou la réception de faibles volumes de factures, surtout si celles-ci sont générées manuellement, s'accompagne souvent d'un coût quasi nul ou très modique, parfois inférieur à 10 ou 15 euros par mois. Les tarifs plus élevés concernent des services complets, incluant l'assistance, l'intégration au système d'information, ou encore la validation automatisée des factures.
Il faut rappeler que les coûts réels de l'émission papier - impression, affranchissement, traitement manuel, suivi - étaient bien plus élevés que ceux d'une facturation électronique, sans compter le temps perdu en vérifications et échanges inutiles. Pour les PME, cela représente une simplification réelle : moins de charge mentale, moins de gestion chronophage en dehors des horaires de travail, et une réduction significative des coûts cachés liés à l'émission et à la réception de factures.
Une dernière question sur la Journée dédiée à la facturation électronique ce 13 mai. Quels en sont les temps forts ?
C. S. : Les temps forts de la journée s'articuleront autour de trois séquences principales. Un premier temps fort prendra la forme d'une séance plénière d'ouverture consacrée à un point d'étape sur la réforme de la facturation électronique. Une intervention de la Direction générale des finances publiques (DGFIP) viendra dresser un état des lieux de l'avancement du projet. Une introduction générale permettra ensuite de rappeler les grands principes de la réforme, son calendrier, ainsi que les rôles respectifs des différents acteurs, notamment la DGFIP et l'Institut de la Facturation Électronique (IFE), en charge du Portail Public de Facturation. Cette session visera également à rassurer les participants quant au respect du calendrier, en insistant sur la faible probabilité de nouveaux reports.
Le deuxième temps fort, prévu en fin de matinée, sera consacré aux retours d'expérience d'entreprises confrontées à des cas d'usage complexes. Le Groupe La Poste, riche d'une grande diversité de métiers, de systèmes d'information et de canaux de vente, exposera la manière dont il anticipe la réforme depuis plusieurs années, notamment sur les volets de l'émission, du reporting, et de la relation client. Le réseau Cerfrance interviendra également pour partager son expérience d'accompagnement auprès des agriculteurs, artisans et TPE, avec une couverture de plus de 300 000 entreprises, soit environ 10 % du tissu économique français. EDF, en tant que grand émetteur de factures, présentera les défis techniques et organisationnels liés à la massification des flux. Enfin, une intervention du Forum national viendra illustrer la réalité quotidienne d'un acteur aux multiples visages, représentant plus de 260 membres de toutes tailles. Cette intervention visera à rendre compte de la réalité concrète des PME dans leur processus de transition, avec un focus sur l'organisation des ventes et les solutions opérationnelles mises en place.
Le troisième temps fort, prévu l'après-midi, portera sur les enjeux internationaux. Une présentation approfondie de VIDA, le projet européen de facturation électronique, permettra de mettre en perspective la réforme française dans un cadre harmonisé à l'échelle européenne.
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