Recherche

Facturation électronique : entreprises, préparez-vous dès maintenant !

À quelques mois du déploiement de la réforme de la facturation électronique, dès septembre 2026, les entreprises doivent anticiper un certain nombre d'étapes. Quels en sont les défis et enjeux ? Cédric Bernard, avocat analyste Tax Technology & transformation et Amaury Daleau fiscaliste e-Tax chez EY Société d'avocats partagent leurs conseils pour les directions financières.

Publié par Christina DIEGO le | mis à jour à
Lecture
11 min
  • Imprimer
Facturation électronique : entreprises, préparez-vous dès maintenant !
© JPC-PROD - Fotolia
Getting your Trinity Audio player ready...

Selon vous, quels sont les enjeux majeurs du moment ?

Cédric Bernard : Dans le cadre réglementaire français, à compter du 1er septembre 2026, toutes les entreprises devront impérativement avoir contractualisé avec une Plateforme de Dématérialisation Partenaire (PDP). Cet engagement est indispensable afin de pouvoir réceptionner les factures au nouveau format, conforme au dispositif de facturation électronique (e-invoicing). Contracter avec une PDP implique au préalable d'avoir mené une réflexion approfondie sur ses besoins spécifiques, dans la mesure où les offres proposées par les différentes plateformes peuvent varier sensiblement en termes de services et de couverture fonctionnelle.

Amaury Daleau : Il est essentiel de procéder à une analyse fine des formats de factures actuellement utilisés afin de les cartographier en regard des champs requis par le futur modèle de facture électronique. Par ailleurs, les entreprises devront également se préparer à gérer les statuts de traitement émis par les clients - une obligation tout aussi structurante. Il s'agira notamment d'être en mesure d'intégrer les éventuels rejets de facture (par exemple pour non-conformité) et de les traiter de manière fluide. Cela suppose une organisation interne adaptée, avec des équipes commerciales ou comptables suffisamment formées et outillées pour gérer efficacement ces litiges et en assurer le suivi dans des délais compatibles avec les exigences de la réforme.

Où en est-on du côté des PDP ?

C. B. : À ce jour, plusieurs PDP ont été présélectionnées par l'administration, mais leur agrément demeure conditionné à une validation définitive. En effet, une fois leur candidature acceptée, ces plateformes disposent d'un délai d'un an pour produire un rapport élaboré par un tiers indépendant. Ce rapport a vocation à attester que les engagements pris vis-à-vis de l'administration sont effectivement tenus, tant sur le plan fonctionnel que technique.

A. D. : Le processus de certification des PDP ne sera véritablement finalisé qu'au cours de l'été, dans la mesure où plusieurs phases de tests - notamment en matière d'interopérabilité - sont encore en cours et n'ont pas encore abouti. L'État, de son côté, attend la conclusion de ces tests, en particulier pour s'assurer que les plateformes sont effectivement capables de dialoguer entre elles via le portail public de facturation (PPF, ou "Portail Chorus Pro nouvelle version"). Ce n'est qu'à l'issue de cette validation technique que l'État prévoit de lancer une campagne de communication d'envergure à destination des entreprises, laquelle devrait débuter à la fin du mois de septembre ou en octobre prochain.

Certaines entreprises n'ont ni préparer ni débuter leur travail de mise en conformité, pourquoi selon vous ?

C. B. : Les entreprises se trouvent aujourd'hui dans une situation délicate. Elles sont tenues de désigner une PDP afin de se préparer à la réforme de la facture électronique, tout en devant choisir parmi des prestataires dont la conformité définitive n'a pas encore été formellement validée. Ce flou réglementaire et opérationnel constitue sans doute l'un des freins à l'engagement proactif des entreprises, qui peuvent légitimement s'interroger sur la pertinence d'un choix à ce stade d'incertitude. Cette situation alimente un certain attentisme, nourri par l'impression d'avoir des obligations à respecter, sans disposer encore de toutes les garanties pour sécuriser leurs décisions.

A. D. : Ce qui ressort notamment des dernières rencontres de place, c'est que si les infrastructures se mettent progressivement en place, une grande partie des entreprises ne font encore qu'initier leur réflexion ou leur projet de mise en conformité. Or, à un an de l'échéance, ce délai devient critique. Il ne s'agit plus d'un horizon lointain, mais d'un laps de temps très court, au regard des transformations organisationnelles, techniques et contractuelles que suppose cette réforme.

Quelles sont les impératifs à mener dès à présent ?

C. B. : La première étape incontournable consiste à analyser ses flux de ventes et d'achats. Tous les flux sont concernés, sans exception, mais il convient de comprendre précisément de quelle manière et sous quelles obligations. Au-delà des fonctions comptables, achats ou IT, il est crucial d'identifier tous les métiers potentiellement impactés : la direction juridique, le marketing ou encore les services généraux peuvent, eux aussi, être concernés. Ce travail de cartographie des flux et de recensement des implications opérationnelles doit être réalisé en amont, afin de construire un calendrier permettant d'être pleinement conforme à l'échéance.

Il convient donc d'avoir une lecture claire de sa propre feuille de route IT. L'entreprise doit s'interroger : évolue-t-elle dans un environnement technologique suffisamment stable pour intégrer la réforme sereinement ? Ou bien est-elle engagée dans un projet de refonte de son système comptable, d'ERP, voire d'architecture plus globale, ce qui est aujourd'hui fréquemment le cas ? Anticiper cette concomitance permet d'ajuster les calendriers, de calibrer les ressources et de garantir une mise en oeuvre fluide et efficace.

A. D. : La qualité et la structuration des données deviennent des enjeux centraux. Plusieurs volets du référentiel sont concernés et nécessitent une remise à plat en profondeur. D'abord, le référentiel clients. Il doit impérativement être fiabilisé, en particulier sur les identifiants essentiels à la facturation électronique, comme le numéro de SIREN, qui constitue la clé d'acheminement dans les systèmes. Il est également indispensable de s'assurer que l'adresse électronique utilisée pour l'émission des factures est bien renseignée et actualisée. Ce travail peut, dans un premier temps, se concentrer sur les clients actifs, c'est-à-dire ceux avec lesquels une activité commerciale a été enregistrée au cours des deux à trois dernières années.

Du côté des fournisseurs, l'enjeu est comparable, mais orienté vers les impératifs du e-reporting. Là encore, la stabilité et la qualité du référentiel sont primordiales pour garantir une transmission fluide des informations à l'administration.

Troisième point critique : le référentiel « articles ». Il est désormais obligatoire de préciser sur chaque facture si celle-ci porte sur un bien, un service, ou une opération mixte. Cette mention, bien que nouvelle, a des implications significatives sur les processus internes de facturation. De nombreuses entreprises, notamment celles ayant opté pour la TVA sur les débits, n'avaient jusqu'ici pas besoin de distinguer entre biens et services : la TVA était simplement collectée à l'émission de la facture, sans distinction de nature. Désormais, elles doivent être en mesure de qualifier précisément chaque ligne de facture.

Y-a-t-il des points d'attention à regarder de près ?

C. B. : La réforme oblige également à se pencher sur des cas complexes de combinaison bien/service, comme les prestations liées à l'installation d'équipements (ex. : la vente d'une chaudière accompagnée de sa pose). Ce type de transaction, qualifié de prestation complexe, impose une analyse plus fine afin de déterminer, selon les critères fiscaux, la nature principale de l'opération.

Cette évolution met en lumière la nécessité de clarifier les opérations exonérées ou hors champ. Là où certaines entreprises se contentaient jusqu'à présent d'un traitement global et imprécis des opérations à 0 %, elles devront désormais être en mesure de distinguer clairement celles réellement hors champ de TVA de celles exonérées, et d'y associer la mention correcte. À défaut, la facture ne pourra pas être intégrée au système électronique, générant potentiellement des rejets et des retards de traitement.

Ainsi, la réforme agit comme un catalyseur de conformité fiscale, obligeant les entreprises à revisiter en profondeur leurs pratiques de facturation, et à mobiliser des compétences tant juridiques que techniques pour assurer leur mise en conformité. C'est dans ce contexte que les accompagnements proposés par des cabinets spécialisés prennent tout leur sens, notamment pour aider à la requalification TVA et à la refonte des référentiels internes.

A. D. : La réforme impose un réexamen en profondeur des pratiques de facturation, notamment en ce qui concerne le traitement des cas d'exonération et des opérations dites « hors champ », présents dans la quasi-totalité des entreprises. Elle invite à reposer les bonnes questions, à interroger les pratiques établies et parfois tolérées de longue date, et à se repositionner strictement dans le cadre légal fiscal.

Les exemples évoqués - qu'il s'agisse d'opérations exonérées ou hors champ - ne sont que les prémices d'une réflexion beaucoup plus large. Certaines configurations spécifiques, comme celles des entreprises opérant en réseau (réseaux autoroutiers, de distribution d'eau ou d'énergie, etc.), sont emblématiques de cette complexité. Dans ces cas, une seule facture pouvait regrouper plusieurs vendeurs adressant un seul client, une pratique pourtant non conforme à la doctrine fiscale, qui exige qu'une facture n'implique qu'un vendeur pour un acheteur.

Ce type de situation impose aujourd'hui une remise à plat complète des processus de facturation, incluant parfois des échanges avec l'administration pour clarifier les pratiques admissibles. Cela nécessite également un alignement étroit entre les services juridiques, comptables, informatiques et opérationnels. En somme, si les ajustements à opérer peuvent sembler abstraits ou purement techniques, ils masquent en réalité un travail colossal. Derrière chaque exemple se cachent des implications multiples en matière de process, d'architecture SI, de formation des équipes et de conformité réglementaire. La réforme de la facturation électronique, en apparence normative, agit en réalité comme un levier de transformation structurelle de l'organisation comptable et fiscale de l'entreprise.

Qu'est-ce que cela implique pour les Daf ?

C. B. : La particularité de ce projet de facturation électronique est sa transversalité, qui concerne la direction financière, les comptables, et un représentant du service informatique et un des commerciaux. Les clients pourront refuser les factures, il faut savoir qui va gérer les litiges, par exemple. Parfois, les commerciaux déclenchent la facturation, il y a des secteurs d'activité où sont envoyés une facture et d'autres justificatifs sinon votre client ne vous paiera jamais. Il faut envoyer des plans, une preuve de livraison, un certificat de conformité. Cela suppose de revoir tous les process.

A. D. : La mise en oeuvre de la réforme suppose en effet la constitution d'équipes projet pluridisciplinaires, capables d'appréhender l'ensemble des impacts, tant techniques qu'opérationnels. Quatre fonctions apparaissent comme particulièrement concernées : la direction financière, la direction des systèmes d'information, les équipes commerciales et les services achats. Ce sont, en effet, les pôles directement impliqués dans l'émission, la réception et le traitement des flux de facturation.

Il convient donc de structurer une équipe dédiée à la facturation électronique, intégrant ces quatre expertises. Cette cellule projet doit être pilotée par un chef de projet clairement identifié, garant de la coordination entre les différentes parties prenantes, de la tenue du calendrier et de la bonne articulation avec la stratégie globale de l'entreprise. C'est cette transversalité, fondée sur une gouvernance claire, qui permettra d'assurer la cohérence des décisions prises, la lisibilité des impacts à tous les niveaux, et, in fine, le succès du déploiement.

Quels sont les principaux défis ?

C. B. : Une autre étape structurante réside dans l'identification des options disponibles et le choix des scénarios d'entrée adaptés à chaque entreprise. Car si cette réforme impose un socle d'obligations légales, elle laisse également place à une série d'arbitrages stratégiques et opérationnels. À titre d'exemple, les entreprises auront la possibilité de choisir entre trois formats normés de factures électroniques. Ce choix n'est pas anodin : il impacte directement les capacités techniques des systèmes d'information, ainsi que l'interopérabilité avec les partenaires commerciaux. Ces scénarios, définis en fonction de la configuration spécifique de chaque entreprise, doivent guider la rédaction du cahier des charges. Ce document est essentiel. Il formalise les besoins à la fois réglementaires et métiers, et permet ensuite de dialoguer de manière éclairée avec les PDP candidates, en vue d'une sélection pertinente, alignée avec les priorités internes et les contraintes opérationnelles.

Par ailleurs, il conviendra de décider si la production des flux de facturation (invoicing et e-reporting) sera gérée en interne, via les systèmes existants, ou déléguée à un tiers - qu'il s'agisse d'une Plateforme de Dématérialisation Partenaire (PDP) ou d'un acteur intermédiaire. Ce choix dépendra naturellement du niveau de maturité IT de l'entreprise, de la complexité de son architecture logicielle, mais aussi de sa culture interne : certaines organisations préféreront conserver la maîtrise en interne, tandis que d'autres privilégieront l'externalisation pour des raisons de fiabilité, de sécurité ou d'agilité.

A. D. : Une autre interrogation fondamentale à se poser est de savoir si le projet de mise en conformité s'inscrit dans un cadre strictement national ou s'il doit s'articuler à une échelle internationale. Cette distinction est d'autant plus cruciale que la France n'est pas le seul État membre de l'Union européenne à mettre en oeuvre une réforme en matière de facturation électronique.

Comme évoqué lors de la Journée de la Facturation Électronique, plusieurs pays européens - à l'instar de la Belgique - sont engagés dans des démarches similaires, chacun selon un calendrier et une approche réglementaire propres. Mais au-delà de ces initiatives nationales, se dessine un horizon commun à travers l'introduction prochaine de la directive « ViDA » (VAT in the Digital Age). Cette directive vise à instaurer un cadre harmonisé au niveau européen, notamment pour les transactions intracommunautaires, en posant les bases d'un système unifié de transmission et de contrôle des données de facturation.

Sur le même thème

Voir tous les articles Normes

Livres Blancs

Voir tous les livres blancs
S'abonner
au magazine
Retour haut de page