Les entreprises au coeur des turbulences économiques et géopolitiques
Dans cette tribune exclusive, Emmanuel Millard, Vice-Président Sorbonne Business School, Président International CFO Alliance, Secrétaire général Groupe ENDRIX revient sur les perspectives économiques des entreprises dans un contexte fluctuant et impacté par les tensions géopolitiques.

Le tissu économique mondial et national est actuellement soumis à des pressions multiples, engendrant une vague de difficultés inédites pour les entreprises. Au-delà des chiffres alarmants, cette période révèle la nécessité impérieuse de réponses adaptées, qu'elles soient issues des pouvoirs publics, des outils de restructuration ou des réformes structurelles.
L'année 2024 a marqué un tournant inquiétant avec un nombre record de défaillances d'entreprises. Plus de 67 830 procédures collectives, une augmentation de 17 % sur un an et un niveau jamais atteint depuis 25 ans. Plus de 60 852 chefs d'entreprise ont perdu leur emploi en 2024, dont plus de 8 000 âgés de plus de 60 ans. Une écrasante majorité, les trois quarts, étaient à la tête de très petites entreprises (TPE de moins de 3 salariés) ou de structures modestes (moins de 500 000 € de chiffre d'affaires), soulignant la vulnérabilité des plus petites entités. Des secteurs comme la construction, le transport et les services aux particuliers sont particulièrement touchés.
Tensions sur la trésorerie
Au-delà de ces chiffres, les causes sont profondes et complexes : l'aggravation des retards de paiement (une entreprise sur deux étant concernée), le protectionnisme grandissant associé à des tensions géopolitiques plus fortes, la réglementation et la bureaucratisation excessives, des mesures environnementales pouvant être perçues comme contraignantes dans un contexte économique tendu et de guerres commerciales.
À cela s'ajoutent des défis structurels persistants : l'inflation qui pèse sur le pouvoir d'achat, le resserrement des conditions de crédit, les difficultés de recrutement et une croissance de la productivité insuffisante. Les répercussions de la crise sanitaire se font encore sentir, comme en témoigne la prolongation de la procédure de traitement de sortie de crise jusqu'en novembre 2025 pour les petites entreprises et des difficultés de remboursement des PGE.
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Face à cette complexité, des solutions existent, combinant mesures structurelles, aides directes et accompagnement. Au-delà des dispositifs traditionnels, des approches innovantes émergent, souvent avec le soutien actif des pouvoirs publics.
Perspectives économiques européennes
L'Union Européenne a lancé le paquet Omnibus (février 2025), une initiative visant à réduire la charge administrative pour les entreprises. En allégeant les obligations de reporting (notamment en matière de durabilité) et en ajustant les seuils du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, l'objectif recherché est de libérer des ressources (jusqu'à 35 % de réduction des coûts de conformité pour les PME) et de favoriser l'investissement.
Des dispositifs gouvernementaux d'aides directes et financières sont mobilisés. Les délais de paiement accordés par l'Urssaf et les services fiscaux offrent une bouffée d'oxygène. Le médiateur du crédit jour également un rôle crucial pour résoudre les litiges de financement. Par ailleurs, l'activité partielle de longue durée renforcée, active de mars 2025 à février 2026, est une mesure permettant aux entreprises de s'adapter à une baisse durable d'activité sans recourir massivement aux licenciements, assurant ainsi la continuité économique.
Les pouvoirs publics ont également fait évoluer le cadre juridique des entreprises en difficulté, en favorisant les procédures amiables et les "classes de parties affectées" dans le droit des entreprises en difficulté. Ces innovations juridiques visent à favoriser des solutions négociées et plus rapides, minimisant les conséquences judiciaires lourdes. Mais il faudrait en parallèle innover dans les dispositifs de protection sociale pour mieux accompagner les chefs d'entreprise en cas de défaillance, renforçant ainsi la prise de risque et l'entrepreneuriat.
En matière de numérique et d'intelligence artificielle, le gouvernement français, via le programme IA Booster France 2030, propose un accompagnement et des aides financières régionales pour l'intégration de l'IA dans les entreprises. Ce programme vise à sensibiliser, diagnostiquer et soutenir la mise en oeuvre de solutions d'IA, perçue comme un puissant moteur de compétitivité, d'efficacité et d'innovation de modèle d'affaires.
Au niveau du financement, les entreprises financent de plus en plus leur développement par leurs propres moyens, permettant ainsi de bâtir une structure résiliente en se basant sur l'autonomie et la rigueur, en minimisant la dépendance aux levées de fonds externe et renforçant leur solidité financière interne. D'autres solutions « politiques » sont possibles, comme donner la préférence budgétaire aux entreprises plutôt qu'aux ménages pour favoriser la capacité d'investissement des entreprises ou encore récupérer les "super profits" pour les réinvestir via des fonds de pension français, afin de soutenir la capacité d'investissement nationale.
Les perspectives pour les entreprises françaises et européennes s'annoncent contrastées. La zone euro fait face à une croissance économique modérée et la prudence reste de mise. Les entreprises devront composer avec un environnement géopolitique incertain et des régulations en évolution. La capacité à investir dans l'innovation et à s'adapter aux changements sera déterminante. Les solutions, qu'elles soient issues d'initiatives gouvernementales ou de stratégies innovantes propres aux entreprises, visent à renforcer leur résilience, leur capacité à naviguer dans cette complexité, à s'appuyer sur les dispositifs existants et à se transformer par l'innovation et l'investissement.
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