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[Dossier] Relance : (re)mettre l'entreprise sur les rails

Railway track in the evening in sunset. Panoramic view on the railroad switch.
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Railway track in the evening in sunset. Panoramic view on the railroad switch.

Sommaire :

  1. L'adaptation permanente
  2. Les salariés, moteurs de la relance
  3. Investir pour la relance

1. L'adaptation permanente

La situation économique actuelle est plus qu'incertaine. Alors qu'au début de l'été on annonçait des prévisions de croissance exceptionnelles (Bruno Le Maire tablait sur une croissance de 6% pour 2021, une hausse qui a finalement atteint 7% !), la rentrée s'est faite en demi-teinte, avec une épidémie qui n'a pas dit son dernier mot et le déploiement du pass sanitaire qui freine la reprise de nombreux secteurs. Bien sûr, les entreprises ont appris de la crise, elles ont su s'adapter, ont déployé de nouveaux business, mis en place de nouvelles façons de piloter... Elles n'abordent pas cette année 2022 avec les mêmes armes que les années précédentes. Même si pour nombre d'entre elles, qui tiennent grâce aux aides de l'État, la fin du tunnel tarde un peu à se montrer.

Cette incertitude quant à l'avenir - au lendemain même - n'est pas sans impact sur les directions financières. Alors que nombre de Daf ont dû trouver des solutions pour faire face à la crise depuis bientôt 2 ans, ils pensaient aborder un début d'année 2022 plus serein, préparer la reprise de l'économie... Or, ils se retrouvent une fois de plus à devoir adapter sans cesse leurs prévisions à la situation, plus qu'instable. L'adaptation permanente est sans doute l'avenir des Daf.

Un Daf guide de haute montagne

Comment cette gestion de l'incertitude, cette adaptation permanente se traduit-elle concrètement au sein des directions financières ? Pour Pascale Arnaud, expert finance indépendante membre du réseau Comatch, le Daf s'est transformé en guide de haute montagne. « Il emmène son entreprise sur des chemins dangereux mais en étant à l'affût des signaux de l'environnement afin de traverser la route en limitant les risques », explique-t-elle. Et de préciser : « Notre métier est de prévoir mais il faut être prudent et intégrer de nouvelles informations afin de faire évoluer les prévisions. Le rôle du Daf est de fournir des éléments pour permettre au dirigeant de se positionner sur la direction à prendre en fonction des évolutions futures ». Dans la situation actuelle, le Daf n'est plus un simple business partner. C'est lui qui présente aux dirigeants les différentes voies possibles, en expliquant les risques et opportunités de chacune. « Le Daf doit donner plusieurs scenarii d'évolution à plus ou moins long terme, chiffrés dans la mesure du possible, avec une prévision haute, médiane et basse », résume Pascale Arnaud.

Et ce, d'autant plus que l'incertitude ne concerne pas uniquement l'évolution de l'épidémie. La reprise s'est elle aussi accompagnée d'impondérables, concernant notamment la supply chain. « Composants électroniques qui manquent, prix des matières premières qui s'envolent, places dans les bateaux en provenance d'Asie qui se font rares... Tout le monde cherche à anticiper afin de commander plus tôt, de reconstituer des stocks. Or, cela oblige à faire des paris car on ne sait pas quel sera le niveau de la consommation, les entreprises ne pouvant se fier ni à 2020 ni à 2019 », pointe Stanislas Grange, partner Eight Advisory. Bien que risqués, ces paris sont nécessaires pour préparer l'avenir : comment faire repartir une entreprise si cette dernière n'a pas de produits à vendre ? Michel Resseguier, pdg de Prospheres, pense que les entreprises qui gagneront seront celles qui arriveront à s'approvisionner. « Le Daf a vraiment un rôle pour éviter les ruptures de stock. Il est bien placé pour aider à négocier les contrats d'approvisionnement en réduisant par exemple les délais de paiement fournisseurs ; ce qui peut permettre d'être fourni avant ses concurrents », estime-t-il.

Évoluer vers plus d'agilité

Comment faire ? Comment font les Daf pour faire repartir leur entreprise sur de bons rails sans savoir de quoi demain sera fait, que ce soit au niveau de l'épidémie ou de la consommation ? Stanislas Grange conseille de maintenir un pilotage agile, proche de celui mis en place par de nombreuses entreprises lors de la première phase de la crise mais avec une dynamique inverse. « Il faut continuer à piloter à rênes courtes, en établissant un reforecast permanent tout en se préparant à un redémarrage : quels paris souhaite-t-on prendre pour l'avenir ? quels sont les moyens nécessaires ? les risques associés ? », décrit-il. Pour Stéphane Nenez, partner Eight Advisory, le maître mot est en effet l'agilité : « Il a fallu être agile pour protéger les entreprises lors de la crise ; aujourd'hui il faut être agile pour optimiser le fonctionnement de l'entreprise afin que l'activité permette de générer suffisamment de cash pour rembourser les charges sociales et les PGE mais aussi financer l'activité ».

Une agilité qui s'obtient en acceptant l'incertitude inhérente à la situation actuelle ; il ne faut plus chercher à être dans l'exactitude absolue. « La priorité n'est plus d'être précis mais d'obtenir une direction claire en termes de pilotage de la performance afin d'adapter le budget et les ressources à la stratégie », observe Maryse Lecutier, associée EY Consulting. Pour elle, ce n'est plus le chiffre qui est la vérité absolue : on va désormais se projeter à travers différents scénarios. Des scénarios qui peuvent évoluer en fonction de nouvelles données. « Il faut accepter de remettre en cause ce qui a été construit », précise Philippe Chavotier, Daf de transition. Les approches traditionnelles ne fonctionnant plus, les Daf réinventent leur métier : « L'allocation des ressources ne se fait plus de manière mensuelle mais les décisions se prennent au jour le jour ; on fait des analyses plus rapides et on conserve des poches budgétaires pour donner de la souplesse », note Maryse Lecutier. Elle remarque également que la gestion des coûts ne se fait plus de la même façon : les risques sont mieux intégrés. « On se rend compte que les risques, comme une rupture d'approvisionnement ou une cyberattaque, ont un coût. On recherche un bon équilibre entre la maîtrise des coûts et celle des risques ».

S'outiller pour prévoir

« Pour le Daf, la reprise n'est pas plus simple que la crise : il va falloir mobiliser les équipes financières mais aussi les opérationnels pour que tout le monde marche main dans la main », constate Stéphane Nenez. Il est rejoint sur ce point par Philippe Chavotier : « Le rôle du Daf est d'intégrer la réflexion de l'ensemble des opérationnels et de l'ensemble des directions », souligne-t-il. Une organisation permettant de meilleurs échanges mais aussi des outils collaboratifs doivent donc être mis en place pour permettre à chacun de faire remonter des informations mais aussi d'avoir une vision partagée des choses. « Une seule vision de la vérité permet d'éviter toutes les tensions et au Daf de se concentrer sur ses analyses », indique Jean-Philippe Angelier, associé Oxigen.

Des outils performants semblent en effet incontournables pour piloter l'entreprise en cette période d'incertitude. « Sans bons indicateurs on est incapable de décider, les décisions sont empiriques », insiste Philippe Chavotier. Des outils qui permettent de faire ressortir des indicateurs pertinents sont donc indispensables. « Utiliser des outils peut permettre d'intégrer de manière plus efficaces des éléments macro et externes. Excel peut ne pas suffire car on a besoin de sources plus récurrentes, plus rapides », constate Pascale Arnaud.

Pour Jean-Philippe Angelier, être bien outillé permet avant tout d'anticiper les choses et surtout de modéliser. « Les entreprises font des simulations. Cela permet notamment d'estimer la répercussion de la hausse des prix des matières premières ou encore du transport international sur le chiffre d'affaire, les marges, la rentabilité... pour ensuite ajuster l'organisation de l'entreprise ou encore les prix de vente », décrit-il. Pour lui, les outils permettent aussi de produire des reportings plus fiables, qui permettent des analyses de qualité.

Jean-Philippe Angelier met cependant en garde : « Les outils permettent de produire des indicateurs de qualité mais ils ne font pas tout : les process doivent être bien mis en place pour que les données remontent bien dans les systèmes, que tout soit saisi en temps et en heure. Les outils sont alimentés par l'homme : l'interaction entre les deux doit donc être optimisée pour avoir une bonne vision et prendre de bonnes décisions ». Autre sujet d'importance : les données sur lesquelles s'appuient les outils. « Il s'agit d'avoir à disposition des données en temps réel pour pouvoir scénariser », pense Maryse Lecutier.

Pour continuer à faire face à la crise qui n'en finit pas mais aussi et surtout préparer son entreprise à la reprise, le Daf doit donc repenser sa façon de faire pour être plus agile et, pour être plus efficace dans la mise en place de ces nouveaux process, opérer sa transformation digitale. « Ce sont des plans de transformation d'envergure que le entreprises doivent mettre en place et pas uniquement apposer des rustines sur certains process. Tout doit être transformé : le pilotage, les talents, les outils... et cette transformation doit se faire au plus vite, avant la prochaine crise », conclut Maryse Lecutier, qui a vu les entreprises qui avaient déjà entamer leur transformation se montrer plus résilientes face à la crise actuelle.

Cash is still king ?

Même si la crise que nous vivons ne s'est pas traduite par des difficultés de trésorerie, grâce aux aides gouvernementales, les entreprises ont surveillé leur cash comme du lait sur le feu. Face aux timides prémisses d'une reprise, faut-il stopper cette surveillance ? « On peut s'en écarter ponctuellement pour ne pas louper des ventes, fournir les usines, livrer les clients... mais le cash doit rester un point d'attention, les prévisions de trésorerie doivent continuer à vivre et il faut continuer à piloter par ce biais là », souligne Stanislas Grange, partner Eight Advisory. Et de poursuivre : « En période de crise, c'était cash is king. Aujourd'hui, cash is still king : il va falloir rembourser le PGE, investir pour repartir, racheter des stocks, financer le poste client.... Sans parler de l'accélération de la transformation de l'entreprise en termes de digitalisation, de nouveaux business models ». Le cash reste donc un sujet. « Il faut être vigilant sur la partie cash et le suivre à fréquence régulière. En effet, une bonne trésorerie peut n'être que l'effet des aides temporaires et correspondre à un endettement élevé », met en garde Jean-Philippe Angelier, associé Oxigen, qui conseille d'avoir une vision mensuelle mais aussi à plus long terme de sa situation financière et de son endettement. Même son de cloche du côté de Philippe Chavotier, Daf de transition : « Lors des différentes missions que j'ai menées ces dernières années, le problème numéro un est toujours la trésorerie : les entreprises ont trop investi ou pas assez vendu ou les clients ne paient pas... Les prévisions de trésorerie sont nécessaires pour savoir quelles sont les conditions pour être dans les clous ».

A ce titre, la question peut se poser de conserver ou non son PGE. Oui pour Jean-Philippe Angelier, afin de garder un volet de trésorerie. "Attention, par contre, d'avoir une bonne visibilité et de bien avoir étudié les différents paramètres comme le niveau de rentabilité et la capacité de remboursement. Et si on garde son PGE, il faut toujours se demander pourquoi : il ne s'agit en effet pas d'avoir un PGE pour avoir un PGE. On peut le conserver pour payer ses fournisseurs et reconstituer ses stocks, oui". Mais pour Yann Beckers, avocat associé en financement au cabinet Stephenson Harwood, « les entreprises qui se portent bien ont intérêt à le refinancer pour envoyer un signal positif aux nouveaux créanciers ».

2. Les salariés, moteurs de la relance

Et si l'obstacle principal à une réelle reprise n'était ni la résurgence de l'épidémie, ni l'incertitude de la situation économique, ni l'accès aux financements... mais les ressources humaines ? « Tout est là pour pousser la croissance pendant encore deux ans, de l'ordre de 5 à 10%. Il n'y a pas de problème pour trouver du capital, la ressource rare c'est l'humain. Le carburant de l'accélération sont les talents », expose David Brault, associé Objectif Cash. Sans salariés performants, impossible d'envisager l'avenir. « Il faut une adéquation entre les salariés et le gain de productivité. Ces deux sujets suivent la même courbe », pointe Maryse Lecutier, associée EY Consulting.

Or, les entreprises font face à une réelle pénurie de talents. Notamment parce que tout le monde cherche les mêmes profils : « des gens agiles, anglophones et technophiles, des salariés entre 8 et 12 ans d'expérience », résume David Brault. Et ces salariés savent qu'il sont courtisés et posent leurs conditions. Pour les attirer, le salaire joue, mais pas uniquement. « Il faut sortir les atouts séduction de l'entreprise, à travers par exemple les enjeux digitaux et RSE », conseille Pascale Arnaud, expert finance indépendante membre du réseau Comatch.

Pourquoi aussi ne pas s'ouvrir à d'autres profils ? David Brault invite à envisager des salariés plus âgés, d'une cinquantaine d'années, qui sont souvent mis de côté par les entreprises. Surtout, comme le souligne Pascale Arnaud, il s'agit de bien comprendre les profils dont on a besoin. Plutôt que de suivre ce que toutes les entreprises font. « Il faut se poser la question des talents à intégrer demain », souligne-t-elle. On peut aussi former les salariés afin de faire évoluer des experts techniques vers des systèmes plus agiles : l'idée n'est plus de faire de la gestion de projet mais d'opérer une transformation continue.

Faire évoluer le management

Pour cela, le management doit prendre une nouvelle direction. Alain Chavance, associé, membre du comité exécutif de Mazars en France, constate que beaucoup d'entreprises ont fait évoluer les pratiques managériales. « Le télétravail a conduit à davantage fédérer et développer le talent des équipes. Déléguer et contrôler ne suffit plus, l'engagement et la motivation des équipes seront clé dans cette phase de redémarrage.» Ce à la fois pour séduire les candidats que pour remobiliser des équipes tenues éloignées de l'entreprise pendant de longs mois. « Il est important de recréer une dynamique d'équipe. Mais cela doit aller plus loin : il faut réécrire les procédures, redire ce qui a été essentiel, ce qui l'a moins été, pointer ce qui a été éliminé qui ne doit pas revenir », recommande Pascale Arnaud.

La question se pose également de maintenir ou non le télétravail, d'autant plus qu'il est plébiscité par les salariés et par les candidats. Anthony Baron, co-fondateur d'Adequancy, juge que le Daf doit se pencher sur la question de l'impact du télétravail sur la performance globale de l'entreprise. Pour Michel Resseguier, pdg de Prospheres, « le télétravail crée une distance entre l'entreprise et le salarié et donc entre les enjeux collectifs et individuels. Le télétravail c'est comme une famille qui ne vit pas ensemble, on va perdre en efficacité et en cohésion Il invite au contraire à réunir les gens et à approfondir ensemble les relations entretenues au sein de l'entreprise afin de les améliorer. Quoi qu'il en soit, le sujet mérite d'être débattu. D'autant plus que, comme le souligne Alain Chavance : « La crise a fait prendre conscience de l'importance du capital humain ». Et la reprise ne se fera pas contre les salariés.

3. Investir pour préparer la relance

Une crise ce n'est pas uniquement des déboires économiques auxquels faire face, une trésorerie à surveiller de près et de nouveaux risques à gérer. C'est aussi des opportunités. De nombreuses entreprises ont d'ailleurs bénéficié de la crise actuelle, les acteurs du e-commerce notamment mais aussi ceux de l'aménagement de la maison. Des secteurs entiers se sont renouvelés pour faire face à la situation, à travers le télétravail, bien sûr, le click and collect également, mais aussi l'ouverture à de nouveaux consommateurs, de nouveaux produits. « Les entreprises questionnent leur marché et leur stratégie : après les bouleversements qui sont arrivés avec cette crise, il est nécessaire de comprendre comment se positionnent les clients, les concurrents, les fournisseurs. De nouvelles menaces sont apparue, de nouvelles opportunités également », note Alain Chavance, associé, membre du comité exécutif de Mazars en France. Il s'agit pour le Daf de savoir guider son entreprise afin de les saisir.

La chasse aux subventions

Première opportunité à côté de laquelle il ne faut pas passer : les aides mises en place dans le cadre du plan de relance du gouvernement. « Le plan France Relance propose des prêts et subventions à hauteur de 100 milliards d'euros sur trois volets : l'écologie, la compétitivité des entreprises et la cohésion du territoire. Obtenir des subventions permet de se diriger vers un développement pérenne après avoir réussi à passer la crise », indique Pascal Gounon, associé au sein des activités deals chez PwC France et Maghreb. Il invite donc les entreprises qui ont des projets dans l'énergie verte ou la décarbonation qui créent des emplois en région à faire appel à ces subventions. « On peut aussi s'appuyer sur les aides du plan de relance pour mettre en oeuvre des projets. Attention cependant à ne pas être trop opportuniste, les projets doivent faire sens », ajoute-t-il.

« Le plan de relance mis en place par le gouvernement est colossal. Le rôle du Daf est d'essayer de bénéficier de ces aides en étant perpétuellement au courant des dispositifs », complète Pascale Arnaud. Il n'est en effet pas forcément évident de connaître l'ensemble des aides dont on peut bénéficier ; la chasse aux subventions peut rapidement représenter un emploi à temps plein. C'est pourquoi Grégory Sabah, associé LinkCapital, a fondé les Experts de la relance, un mouvement non partisan d'intérêt public qui vise à participer à sa dimension à la relance économique en informant notamment les entreprises sur les dispositifs de soutien dans le cadre du plan de relance et au-delà. « L'objectif est de partir du besoin du chef d'entreprise comme l'international, la digitalisation ou encore la réindustrialisation et de voir quels dispositifs existent sur ces chapitres, quels sont les critères d'éligibilité, auprès de qui se renseigner et déposer son dossier, etc... », décrit Grégory Sabah qui pense que ces dispositifs sont très utiles pour déclencher rapidement des prises de décision.

Une fois les dispositifs identifiés, il faut ensuite déposer des dossiers qui sont souvent lourds. D'autant plus que beaucoup d'éléments sont demandés pour pouvoir obtenir ces subventions. « Cela demande beaucoup de travail, notamment parce qu'il y a de nombreux allers-retours dus au fait que de nombreux acteurs interviennent », prévient Pascal Gounon. Jean-Luc Leca, PDG de DL Développement, invite quant à lui à écrire une histoire, notamment sur le maintien de l'emploi. Quoi qu'il en soit, il peut être utile de se faire accompagner sur ce volet, pour savoir quelles subventions cibler et mettre toutes les chances de son côté pour les obtenir.

Diversifier ses financements

« Il y a de nombreuses subventions à aller chercher mais elles ne représentent qu'une partie du financement, de l'ordre de 40 à 50% du projet. Le reste est à aller chercher auprès des banques », prévient Jean-Luc Leca. D'autant plus que c'est auprès du réseau bancaire qu'il faut aller chercher les prêts participatifs relance. Il faut donc savoir gérer la relation avec les banquiers, leur donner envie de suivre l'entreprise. « Cela passe par de la transparence, c'est-à-dire une présentation réaliste de la situation de l'entreprise et de sa stratégie », conseille Jean-Luc Leca. Yann Beckers, avocat associé en financement au cabinet Stephenson Harwood, note quant à lui que les prêteurs se montrent exigeants vis à vis de la fiabilité des informations financières des entreprises, notamment vis à vis des sociétés qui ont été particulièrement touchées par la crise : elles risquent de devoir montrer patte blanche à travers une due diligence financière renforcée visant à rassurer les financeurs sur leurs niveaux de fonds propres. « Les prêteurs ont besoin de bien connaître le profil des dettes des entreprises accumulées pendant la crise, à travers les PGE ou encore la suspension des versements URSSAF ou de loyers. La trésorerie et le poste client vont être étudiés », met-il en garde.

Il ajoute que les prêteurs s'intéressent de près à la base clients.« Si elle est la même avant et après la crise, il y a des chances pour que les revenus suivent », note-t-il. Il va falloir démontrer la résilience des activités de l'entreprise. Pour Yann Beckers, on va assister au resserrement des conditions de financement qui seront plus strictes et matière à discussion. Les Daf doivent donc se préparer à ces négociations, concernant notamment leurs ratios financiers.

Au-delà des banques, les entreprises peuvent se tourner vers les fonds. Les investisseurs en capital participent d'ailleurs aussi au plan de relance du gouvernement, à travers les obligations relance. « Les fonds prennent de plus en plus de place dans le financement de la croissance des entreprises : même si c'est plus cher que la dette bancaire, c'est plus rapide », constate Jean-Christophe Cleach, avocat associé au cabinet Cleach avocats et auteur du livre Entrepreneurs et fonds d'investissement : mode d'emploi pour un rapprochement réussi (VA Éditions), soulignant que faire appel aux fonds est notamment intéressant pour les projets de développement importants. « Faire appel aux fonds pour une simple dette n'est pas intéressant. Ça l'est en revanche pour ouvrir une usine ou acheter une société. Il faut que cela corresponde à un plan de développement intéressant pour l'entreprise mais aussi pour les fonds », précise-t-il.

Par contre, faire appel à des fonds nécessite de négocier davantage. « Ils vont vouloir un reporting annuel plus conséquent, parfois un poste au conseil d'administration... Il faut négocier pour ne pas se laisser déborder », conseille Jean-Christophe Cleach. Il recommande par exemple de ne pas accepter un reporting qui va au-delà des tableaux de bords produits habituellement dans la société ni de se laisser embarquer dans un business plan trop optimiste, irréalisable. « Il faut aussi négocier la clause de sortie », ajoute-t-il. Il peut être intéressant de se faire accompagner pour optimiser les négociations.

« Les crises apprennent aux entreprises qu'il est bien d'avoir des sources de financement diversifiées », note Yann Beckers. Il les invite donc à s'intéresser aux lignes de back-up, à l'affacturage, au sale and lease back, au financement des stocks. « Il est important d'étudier toutes les sources de financement possibles, de regarder des solutions innovantes, même si c'est pour aboutir à la conclusion qu'elles ne sont pas utiles. Chaque profil de dette a intérêt à être géré de manière dynamique, en regardant ce que l'on a à l'actif et au passif », assène-t-il, soulignant que c'est l'entreprise qui dispose de plus de trésorerie qui l'emportera, notamment sur le plan des acquisitions.

C'est le moment d'investir

En effet, les financements sont très importants en cette période pour, justement, pouvoir saisir des opportunités qui se présentent en cette période mouvementée. Il faudra notamment regarder du côté des acquisitions. « Des sociétés vont être en difficulté, c'est le moment pour celles qui ont mieux résisté à la crise de faire des acquisitions pour consolider les parts de marché », estime Stéphane Nenez, partner Eight Advisory. Pascale Arnaud, expert finance indépendante membre du réseau Comatch, pense aussi que c'est le moment de se développer sur les marchés annexes via des acquisitions mais appelle cependant à la vigilance. En effet, attention aux fausses bonnes affaires !

Au-delà des acquisitions, cette crise offre de nouvelles opportunités via les remises en question dont elle s'accompagne. En effet, les entreprises ont dû se réinventer et doivent encore le faire ; pourquoi ne pas en profiter pour se transformer pleinement ? Première chose à faire : tirer les leçons de la crise et voir ce qui a bien marché et moins bien fonctionné. « C'est également l'occasion de se poser la question d'un nouveau plan de crise, même si la prochaine sera différente. L'idée est de ne pas être pris au dépourvu en anticipant les risques futurs », avance Pascale Arnaud. Cette analyse de la crise est également l'occasion de se demander s'il faut pérenniser certaines activités, comme le click and collect. Pascale Arnaud conseille de regarder de près la rentabilité. « Ce n'est pas parce que ça a fait tourner la boutique pendant la crise qu'on doit conserver ces activités après la crise, met-elle en garde. Il faut se dire produit par produit, activité par activité, ce qu'on conserve ou non ; il faut parfois prendre la décision d'arrêter même si c'est une décision difficile à prendre. Il faut bien regarder le cash et pas seulement la marge pour savoir si on arrête ou on cède une activité ». Cette analyse doit se faire pour tous les produits et activités, pas uniquement les nouveaux : la crise a en effet fait bougé les lignes, notamment en termes de consommation, et il s'agit de s'adapter à ces nouvelles tendances. « Dans certains secteurs, des mutations de consommation et d'usage obligent à se lancer dans de grands plans de transformation », note Stanislas Grange, partner Eight Advisory.

C'est en effet l'occasion de remettre à plat les modèles : outils de production, gestion des stocks, décarbonation, informatique... et d'investir en calculant le ROI. « Les investissements ne sont pas à négliger car les concurrents vont le faire », pointe Pascale Arnaud qui conseille de faire un inventaire des investissements possibles afin de faire des choix en tenant en compte de la capacité d'investissement. « Le risque est l'effet ciseau, comme en 2009/2010, dû au fait de devoir investir avant de bénéficier des chiffres des ventes. Les PGE peuvent permettre de passer cet effet ciseau même s'il faut être vigilant sur l'échéancier et avoir un oeil sur le crédit client », met elle en garde. D'autant plus qu'il peut y avoir un endettement préalable à la crise. Mais il ne faut pas non plus se montrer trop économe. « Il faut investir pour éviter des soucis futurs. Il faut intégrer différentes options et faire fluctuer en intégrant la rentabilité des investissements », pense Pascale Arnaud.

La RSE en ligne de mire

La RSE et plus particulièrement l'environnement doit faire partie de ces réflexions sur les investissements à mener pour assurer l'avenir de son entreprise. « Le Daf doit se saisir du sujet environnemental car il nécessite des investissements. Mais il ne doit pas suivre le sujet que d'un point de vue financier et doit trouver de nouveaux indicateurs pour mesurer les performances environnementales. Cela donne une nouvelle dimension à la direction financière », considère Anthony Baron, co-fondateur d'Adequancy. Le sujet environnemental devient en effet critique, notamment en raison des évolutions réglementaires. « Notons également que cette question sera de plus en plus regardée par les financeurs », observe Laurent Morel, associé responsable des activités de conseil pour les directions financières chez PwC France et Maghreb., qui pense lui aussi que les Daf doivent faire évoluer leurs KPIs et leurs outils pour intégrer des éléments de suivi ESG.

Au-delà des financeurs et des politiques, ce sont les consommateurs qui sont sensibles à ces questions. Selon un livre blanc réalisé par Mazars au printemps dernier, 81% des Français considèrent que les entreprises ont le pouvoir de changer positivement les choses et 88% pensent que l'entreprise a un rôle à jouer en matière de transition écologique. Il ne s'agit pas de décevoir les consommateurs sur ces questions ! Et au regard du rapport que le GIEC a produit cet été, se préoccuper de la question environnementale semble aujourd'hui incontournable pour sauver l'humanité.

Thierry Sar, Daf de Finnegan

« La reprise oblige à faire des choix »

Pour Thierry Sar, Daf du groupe de conseil Finnegan, en période de crise le Daf est avant tout là pour rassurer. Pour conforter les dirigeants via des indicateurs qui permettent d'envisager les différents scenarii pour l'avenir. « Je passe beaucoup de temps à fiabiliser la donnée afin d'avoir des indicateurs fiables», rapporte-t-il. Mais aussi pour rassurer les banquiers et les actionnaires. « Il s'agit de leur donner une vision claire sur les perspectives en communiquant sur les chiffres actuels mais surtout sur les prévisions des prochains mois. L'idée étant de pouvoir lever de nouveaux fonds pour se donner les moyens d'investir », explique-t-il, soulignant qu'il est important de communiquer dès aujourd'hui, même si la crise n'est pas terminée, pour pouvoir lever des fonds demain. « Se montrer transparent quand tout ne va pas très bien instaure une relation de confiance qui permet de lever des fonds quand le cash est nécessaire pour la reprise », insiste-t-il.

Cette reprise va passer par différents leviers qu'il s'agit d'ores et déjà d'envisager. Thierry Sar propose notamment de regarder de potentielles cibles pour des acquisitions. « On peut trouver de belles opportunités, on sent que le secteur du M&A repart », pense-t-il. Il invite aussi à ne pas hésiter à investir dans la transformation digitale, notamment au niveau du marketing. Car, au-delà de ces aspects purement financiers, le Daf doit aussi aider à repenser l'organisation de l'entreprise. « Les clients évoluent, ce qui a des impacts sur les entreprises qui doivent revoir leurs prix, leurs offres... et leur organisation. En tant que business partner, le Daf doit participer à cette transformation », pointe Thierry Sar expliquant qu'il doit être là pour opérer des choix de façon à faire des investissements ciblés. « Quand ça repart, ça repart dans tous les sens. La reprise oblige à être vigilant, à faire des choix de positionnement », insiste-t-il, soulignant qu'il est important de rester sur son coeur de cible.

A retenir

- les conditions de la reprise ne sont pas toutes réunies mais il est temps de s'en préoccuper

- le Daf a un rôle à jouer pour guider les dirigeants sur les différentes options à prendre en compte pour l'avenir

- il doit aussi rassurer les différents financeurs et aller à la chasse aux subventions pour avoir le cash nécessaire aux investissements

- d'autant plus que la crise offre l'opportunité de se réinventer, d'aller sur de nouveaux marchés et d'enfin se préoccuper de l'environnement

- pour réussir ces différentes missions, des indicateurs fiables sont importants et s'outiller peut être une option intéressante

- mais les ressources humaines sont également primordiales et le Daf a un rôle à jouer dans le mise en place de nouvelles méthodes de management

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