De l'importance des due diligences avant fusion-acquisition
La responsabilité pénale d'une société absorbante pourra désormais être engagée pour des actes accomplis par la société absorbée avant la fusion. Cette décision aura des conséquences significatives sur les opérations et oblige à renforcer les due diligences.
La jurisprudence de la Cour de cassation antérieure à l'arrêt du 25 novembre 2020 considérait que la société absorbante, en tant que personne morale distincte, ne pouvait être poursuivie pour des faits commis par la société absorbée avant la fusion, en vertu du principe de personnalité des peines, posé par l'article 121-1 du Code pénal.
La fiction juridique du décès de la personne morale absorbée s'est fissurée au profit d'une continuité économique de la personne morale à la faveur de la jurisprudence européenne et du droit de l'Union.
Cette évolution jurisprudentielle, prévisible, tend à aligner la transmission des responsabilités pénale et administrative et entre en résonnance avec les recommandations de l'Agence française anticorruption (AFA), qui souligne les nécessaires vérifications anti-corruption dans les opérations de fusion-acquisition(1).
L'extension prévisible du périmètre de la responsabilité pénale de la société absorbante
Lorsque les faits délictueux commis antérieurement à la fusion sont exclusivement imputables à la société absorbée, la disparition de cette dernière faisait jusqu'à présent échec à la mise en mouvement des poursuites pénales. L'arrêt commenté constitue un revirement de jurisprudence en ce qu'il est désormais jugé qu'en cas de fusion-absorption, la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d'amende ou de confiscation pour une infraction commise par la société avant l'opération.
Le périmètre de cette nouvelle règle est toutefois cantonné pour le moment aux opérations entrant dans le champ de la directive européenne 78/855/CEE du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, aux peines de nature patrimoniale et aux opérations de fusion conclues après le 25 novembre 2020.
Cet arrêt aux conséquences retentissantes constitue cependant une évolution prévisible du transfert de la responsabilité pénale.
S'agissant des sanctions administratives, qui ne sont pas dépourvues de tout caractère répressif, le Conseil d'État considérait déjà classiquement que le principe de la personnalité des peines ne fait pas obstacle à ce qu'une sanction pécuniaire de l'AMF ou des pénalités fiscales soient prononcées contre la société absorbante pour les manquements de la société absorbée(2). L'AFA, dans son guide sur les opérations de fusions-acquisitions, précise que seule une sanction pécuniaire peut être imposée à la société absorbante, ce qui exclut les injonctions de mise en conformité.
De même et dans un arrêt précurseur du 5 mars 2015, la CJUE a considéré qu'une fusion absorption entrainait la transmission à la société absorbante de l'obligation de payer une amende infligée à la société absorbée.
Parallèlement, la CEDH a considéré dans un arrêt du 24 octobre 2019 que l'application d'une amende civile à une société absorbante pour des actes restrictifs de concurrence commis avant la fusion par la société absorbée ne portait pas atteinte au principe de personnalité des peines et à l'article 6 de la Convention.
Au-delà de la transmission des sanctions pécuniaires attachées à la responsabilité pénale de la société absorbée, la Cour de cassation va plus loin en décidant, pour la première fois, que la responsabilité pénale pleine et entière de la société absorbante pourra être engagée en cas de fraude à la loi, c'est-à-dire dans le cas où la fusion a eu pour dessein de permettre à la société absorbée d'échapper à sa responsabilité pénale.
Cette hypothèse de fraude à la loi concerne toutes les formes de sociétés et non plus seulement les sociétés anonymes, qui pourront alors se voir infliger toute peine encourue indépendamment de leur nature, et ce quelle que soit la date de la fusion.
Un appel à la vigilance renforcée dans les opérations de M&A
Cette décision de la Chambre criminelle ne manquera pas d'avoir un impact sur les opérations de M&A à venir et sur les recommandations de l'AFA.
Le risque pénal devra être désormais pris en compte et apprécié lors des opérations de due diligence. Les audits juridiques précédant les opérations de fusion devront être considérablement renforcés afin de tenir compte de ce risque pénal - lié, notamment à la corruption, ainsi qu'à l'intégration de dispositifs de prévention -, puisque celui-ci pourra être transféré à la société absorbante.
Or, ces paramètres sont souvent dissimulés par les sociétés cibles. L'identification de ce risque exigera sans doute des recherches fines et poussées et l'analyse de professionnels aguerris.
En cas d'absence de coopération voire de dissimulation de la part de la société absorbée, la société absorbante pourrait se retourner contre ses anciens dirigeants et engager une procédure contentieuse.
Ce revirement de jurisprudence doit donc alerter les acteurs des opérations de fusion-acquisition sur la gestion du risque pénal.
La prise en compte de ce paramètre dans le deal nécessitera une adaptation de ses conditions, notamment financières. Les modalités de calcul des prix des opérations pourraient connaître de fortes variations compte tenu de l'incertitude que peut représenter un risque pénal.
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La Chambre criminelle indique que les actionnaires de la société absorbante peuvent être protégés par l'insertion d'une clause de déclarations et de garanties dans l'accord de fusion. Il est cependant permis de s'interroger sur l'efficacité d'une telle mesure dès lors qu'une exclusion totale du risque pénal peut s'avérer périlleuse compte tenu des règles d'ordre public français.
Enfin, il est probable que la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, bien que prononcée à la lumière de la directive " relative à la fusion des sociétés anonymes " ait vocation à s'étendre à d'autres formes sociales ; c'est le sens, du reste, de l'impulsion des décisions européennes.
Pour en savoir plus
Camille Potier, avocate associée, Chatain & Associés. Elle intervient en droit pénal des affaires et Compliance pour des entreprises privées et publiques.
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Jean-Yves Demay Pajot, avocat associé, Chatain & Associés. Il intervient en droit des sociétés, tant en conseil qu'en contentieux à l'occasion de litiges stratégiques et financiers se rapportant aux opérations sur le capital ou résultant de conflits entre actionnaires.
Emilie Boehrer, avocate, Chatain & Associés. Elle est spécialisée en contentieux des affaires, droit des sociétés et droit financier.
[1] Guide pratique fusacq.pdf (agence-francaise-anticorruption.gouv.fr)
[2] CE 6 juin 2008 n°299203 ; CE 4 décembre 2009 n°329173
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