Fiscalité internationale - La fin du verrou de Bercy, quelle conséquence sur les contrôles ?
En faisant sauter le verrou de Bercy et par l'entrée en vigueur de nouvelles règles fiscales, l'Etat semble donner de nouveaux outils de contrôle à l'administration. Mais cet apparent renforcement du pouvoir de contrainte de l'administration n'est peut-être qu'un miroir aux alouettes.
Les statistiques des contrôles fiscaux pour 2018, publiées à l'occasion du vote sur le projet de loi de finances pour 2019, montrent que 85% des sommes redressées sur cette année ont porté sur des problématiques de prix de transfert ou d'établissements stables.
Dans un tel contexte, la fin du verrou de Bercy et l'entrée en vigueur de nouvelles règles dans le prolongement de BEPS permettent à l'administration de disposer de nouveaux outils pour obtenir des concessions des contribuables.
Prix de transfert : de nouvelles informations à disposition de l'administration
L'influence du plan BEPS de l'OCDE se fait de plus en plus sentir à l'échelle nationale, et permet à l'administration de disposer d'informations précises et détaillées sur les entreprises et leurs activités.
Le nouveau modèle de documentation édicté par l'action 13, qui s'applique aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2018, est entré en vigueur. Il est marqué par un formalisme fort et requiert des informations de plus en plus précises.
Ce nouveau modèle s'inscrit parmi les avancées en matière de contrôle des prix de transfert qui avait déjà été renforcé par l'obligation pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 50 M€, de déclarer annuellement les informations relatives aux prix de transfert (modèle allégé de la documentation) depuis le 1er janvier 2017.
Par ailleurs, l'administration fiscale dispose d'une capacité de vérification largement facilitée par l'obligation imposée aux entreprises de fournir, en cas de contrôle sur pièces, les fichiers informatisés de leur comptabilité (FEC), mais également les fichiers des différentes informations financières de la documentation prix de transfert.
Au plan international, la tendance est à l'échange automatique d'informations et à l'amélioration des procédures amiables pour le règlement des situations de double imposition, en permettant aux administrations fiscales d'effectuer des contrôles coordonnés.
Le CbCR, soit l'échange automatique entre Etats des informations relatives aux prix de transfert de toutes les filiales d'un groupe international dont le chiffre d'affaires annuel consolidé est supérieur à 750 M€, est applicable depuis le 1er janvier 2018 et permet aux administrations de disposer d'une vue d'ensemble de la politique prix de transfert.
De nouveaux critères de définition de l'établissement stable
Depuis le 1er janvier 2019, l'instrument multilatéral est entré en vigueur en France. Cette convention multilatérale a vocation à modifier automatiquement les conventions fiscales bilatérales signées entre deux pays ayant ratifié l'instrument. L'impact sur les conventions fiscales bilatérales varie en fonction des options et réserves notifiées par chacun des Etats.
Cet instrument a notamment permis de préciser les critères de définition de l'établissement stable, en limitant les mesures visant à éviter artificiellement le statut d'établissement stable et en prévoyant une nouvelle définition d'une personne étroitement liée à une entreprise.
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D'un point de vue français, l'instrument multilatéral a modifié, à ce jour, les conventions avec 12 pays : Australie, Autriche, Israël, Japon, Lituanie, Nouvelle-Zélande, Pologne, Royaume-Uni, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède.
La menace de la poursuite pénale, une arme à double tranchant
En pratique, lors d'un redressement de prix de transfert ou d'un établissement stable, l'entreprise devra désormais gérer deux problématiques distinctes : le sujet " au fond " du redressement fiscal et, en cas de pénalités fiscales lourdes, une éventuelle poursuite pénale concernant le caractère intentionnel de l'évitement de l'impôt.
A ce titre, la fraude fiscale, définie à l'article 1741 du CGI, se caractérise par la réunion de deux éléments : un élément matériel, qui sera systématiquement caractérisé lors des redressements de prix de transfert ou d'établissement stable, et un élément intentionnel, c'est-à-dire la volonté de frauder.
Le risque pénal est renforcé par l'entrée en vigueur de la loi de lutte contre la fraude du 23 octobre 2018, qui a mis fin au " verrou de Bercy ", en rendant obligatoire la transmission au Parquet des redressements fiscaux les plus graves, pour lesquels le seuil de 100 000 € d'impôts redressés est dépassé.
Sont considérés comme " graves " les redressements pour lesquels l'administration applique :
La majoration de 100% (opposition à contrôle) ;
La majoration de 80% (activité occulte, manoeuvres frauduleuses ou abus de droit, non déclaration de compte, assurance-vie ou trust à l'étranger, trafic illicite) ;
Ou encore la majoration de 40% (manquement délibéré, abus de droit ou défaut de déclaration suite à une mise en demeure) si, au cours des six années précédentes, le contribuable s'est vu appliquer une des majorations précitées ou s'il a fait l'objet d'une plainte pour fraude fiscale.
Or, en matière de prix de transfert ou d'établissement stable, les rectifications proposées par l'administration s'accompagnaient jusqu'alors quasi-systématiquement de majorations d'au moins 40%, et le seuil de 100 000 € de droits éludés était souvent atteint.
Face à ce risque à la fois financier et en termes d'image, le contribuable-entreprise aura une alternative au moment du contrôle : soit s'assurer qu'il disposera de solides arguments pour défendre le caractère non-intentionnel de sa faute face au juge pénal, soit utiliser un des modes alternatifs de résolution du litige à sa disposition (" plaider coupable ", convention judiciaire d'intérêt public ou transaction fiscale).
Chaque solution devra être envisagée avec prudence, au cas par cas. Par exemple, le " plaider coupable " entraîne la reconnaissance du délit et donc un affaiblissement de la position du contribuable dans le cadre du contentieux fiscal. Il sera donc a priori préférable de privilégier la voie de la transaction avec l'administration fiscale, pour obtenir une atténuation des pénalités fiscales et l'absence de poursuites pénales. Pour que cette stratégie fonctionne, encore faudra-t-il transmettre la demande de transaction avant la fin de la procédure de rectification.
En tout état de cause, si le contribuable ne peut accepter la position de l'administration, la procédure fiscale sera bloquée pour trouver une solution. L'arroseur sera-t-il au final arrosé si le juge pénal ne retenait finalement pas l'intention frauduleuse ?
Cyril Maucour est Avocat Associé et responsable du département fiscal au sein du cabinet Bignon Lebray. Il accompagne les entreprises sur les sujets fiscaux tant en France qu'à l'international.
Jessica Benchetrit est Avocat au sein du département fiscal du cabinet Bignon Lebray. Elle travaille tout particulièrement sur les questions fiscales (France et international) ainsi que sur les problématiques des prix de transfert.
Philippe Brisson est avocat au sein du département fiscal du cabinet Bignon Lebray. Il intervient principalement sur des opérations de restructuration d'entreprises et de fiscalité de groupes, ainsi qu'en matière de fiscalité immobilière et de fiscalité des dirigeants.
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