Piloter l'entreprise en temps d'incertitude : le CFO, garant de la création de valeur
Tensions géopolitiques, incertitudes politiques nationales, flou fiscal... ce contexte mouvant n'est jamais propice à la stabilité d'une entreprise. Comment les directeurs financiers, garants du pilotage de la création de valeur, ajustent-ils leurs prévisions ? Décryptage avec Kévin Guezennec, associé responsable de l'activité Transformation Finance chez PwC France et Maghreb.

Les crises successives - sanitaires, géopolitiques, économiques - ont mis à l'ordre du jour l'incertitude comme une donnée permanente dans le paysage de l'entreprise. Dans ce contexte, le directeur financier confirme sa place d'acteur central, bien au-delà de sa mission traditionnelle de gardien des équilibres financiers. Son rôle est devenu complexe. Garantir la stabilité tout en incarnant l'agilité, deux impératifs apparemment contradictoires mais désormais indissociables. Le Daf n'est plus seulement un contrôleur, mais un stratège de la création de valeur, capable de transformer les contraintes en opportunités. « Le Daf devient un business partner. Le financier est plus qu'un comptable, il aura son mot à dire dans le choix de nouveaux produits ou de services. Il devra être dans les discussions en amont, pour les questions de R&D, en marketing, sur le choix du bon prix qui permet d'avoir le bon niveau de marge attendu par les investisseurs », nous explique tout d'abord Kévin Guezennec, associé responsable de l'activité Transformation Finance chez PwC France et Maghreb.
Back to basics : se recentrer sur les leviers de valeur
En période de turbulences, la règle d'or est souvent très simple. Concentrer les ressources sur l'essentiel sans se disperser. Cela implique un retour aux fondamentaux, mais avec une approche ciblée. Le coeur de métier et les partenaires clés (clients, fournisseurs, banquiers, actionnaires, équipes) deviennent des priorités absolues. Les projets retenus doivent être générateurs de valeur qu'elle soit financière, opérationnelle ou stratégique.
« Le Daf est de plus en plus proche des équipes commerciales. C'est devenu obligatoire pour qu'on tienne bien le niveau de rentabilité dans la durée », souligne Kévin Guezennec. Les processus et les outils doivent être épurés, avec une préférence pour des solutions pragmatiques. L'objectif ? Gagner en agilité sans alourdir les structures. Le contrôle opérationnel peut être allégé, mais le suivi des coûts et les modèles de prévision doivent, eux, être renforcés pour anticiper les chocs. Cette approche minimaliste permet de se débarrasser du superflu, l'entreprise libère ainsi des marges de manoeuvre pour investir là où la création de valeur est la plus forte.
Gouvernance et communication : les piliers en temps de crise
Le Daf doit désormais piloter le changement en continu, en gérant simultanément plusieurs horizons temporels : l'urgence du jour, les ajustements hebdomadaires, les objectifs annuels et les perspectives à trois ans. « Dans ce contexte incertain, les directeurs financiers sont de plus en plus challengés par leur direction générale. Certains parlent de VUCA World (Volatilité, Incertitude, Complexité et Ambiguïté), entre les conflits dans certaines zones du monde, le président Donald Trump qui joue au chaud et au froid avec les droits de douane, etc. », détaille l'expert.
Transparence et alignement sont les maîtres-mots. Chaque mois, une feuille de route claire doit être partagée avec tous les services, afin que chacun comprenne les priorités et son rôle dans la construction de la valeur. Le CFO n'est plus seulement un technicien des chiffres ; il devient un communicant stratégique, capable de fédérer les équipes autour d'une vision commune, même dans l'incertitude.
Un contexte qui fait évoluer le rôle du Daf ?
Face à ces changements, le Daf est une pierre essentiel à l'édifice. « Ses décisions vont être de plus en plus transverses. J'observe deux grandes tendances, une première qui consiste à réduire les cycles budgétaires, historiquement étalés sur plusieurs mois, qui ne sont plus adaptés dans un environnement très volatil. Deuxième tendance, c'est la capacité à faire des scénarios « What-If », à partir d'un scénario de base, comment on en prévoit un autre dégradé selon les changements de cap comme les droits de douane qui augmentent brusquement de 30 %, par exemple », ajoute-t-il.
L'ère de l'incertitude permanente redéfinit donc le métier du Daf. Son expertise financière reste cruciale, mais son vrai défi consiste désormais à articuler stabilité et adaptation, tout en identifiant et activant les leviers de création de valeur. En recentrant l'entreprise sur l'essentiel, en simplifiant les processus et en instaurant une gouvernance agile, il transforme les crises en tremplins pour la performance.
3 conseils pour piloter dans l'incertitude
Pour Kévin Guezennec, le directeur administratif et financier doit adopter une posture à la fois rigoureuse et proactive, bien au-delà de sa fonction traditionnelle. Trois priorités s'imposent selon lui :
1. La préservation du cash comme priorité absolue. La trésorerie redevient la variable critique. Sans liquidités, une entreprise ne peut honorer ses engagements sociaux, fournisseurs ou fiscaux. Le Daf doit donc sécuriser en amont les flux de trésorerie, en instaurant des mécanismes de suivi en temps réel et en anticipant les besoins de financement. Cette vigilance doit primer sur toute autre considération, car elle conditionne la survie même de l'entreprise.
2. Une analyse granulaire de la rentabilité, au-delà des apparences. La rentabilité ne peut plus se contenter d'une approche globale ou approximative. Le Daf doit disséquer la marge par produit, par gamme, voire par ligne de production, en collaboration avec les opérationnels. Cela implique un examen critique des coûts de production, en remettant en cause parfois la pertinence de chaque référence (certains produits, historiquement maintenus, peuvent s'avérer structurellement déficitaires). Autre variable d'ajustement, la remise en question des allocations de coûts, souvent biaisées par des habitudes ou des répartitions arbitraires.
3. L'instauration d'une culture financière agile et réactive. Dans un contexte marqué par la volatilité géopolitique et la fin d'un cycle de croissance "mécanique", le Daf doit diffuser une culture de la « reprévision » permanente. Cela suppose une agilité comptable face à tout événement opérationnel (retard de production, pénurie, changement réglementaire) qui doit immédiatement être évalué en termes d'impact financier, avec des ajustements en conséquence. Autre point d'attention, le pilotage rigoureux des coûts. En effet, il devient crucial de décortiquer le P&L pour identifier les postes de dépenses dont la progression dépasse celle des revenus. Enfin, le Daf doit exploiter les outils analytiques avancés et l'IA Gen, pour transformer les données en leviers d'optimisation, en temps réel.
En définitive, le DAF n'est plus un simple gestionnaire des chiffres, mais un stratège clé, capable de lier performance opérationnelle et santé financière. « Son rôle, surtout en période d'incertitude, est d'être le bras droit du dirigeant, en éclairant les décisions par une analyse à la fois précise et prospective. Les entreprises qui en sortent renforcées sont celles où le financier dépasse son périmètre traditionnel pour embrasser l'ensemble des enjeux business », conclut-il.
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