Laurent Hert (DAF E'nergys) : « Je suis un Daf de terrain »
Laurent Hert a pris ses fonctions en mars dernier en tant que directeur administratif et financier chez E'nergys, une ETI spécialisée dans la performance énergétique durable des entreprises. Le Daf revient sur la posture de terrain, proche des métiers et des clients, qu'il cultive depuis de nombreuses années. Rencontre.

L'annonce de votre nomination dévoilait une approche de « Business Partner ». Pouvez-vous nous préciser à quoi cela correspond ?
Laurent Hert : L'appellation « business partner » reflète une réalité opérationnelle. Ma conception du métier de directeur administratif et financier s'articule autour d'une relation étroite avec les clients internes que constituent principalement les services commerciaux et la direction générale. Cette approche, bien que correspondant à une évolution récente des fonctions supports, a toujours guidé ma pratique professionnelle.
En effet la fonction financière doit aujourd'hui s'inscrire comme un partenaire stratégique des activités commerciales. La fonction de directeur administratif et financier a considérablement évolué au-delà des missions traditionnelles de comptabilité, de gestion des procédures de facturation ou des relations bancaires. Elle implique désormais une capacité à réorienter stratégiquement l'entreprise, à allouer judicieusement les ressources et à positionner le contrôle de gestion au coeur des activités opérationnelles.
Comment cela se concrétise-t-il ?
L. H. : Cette approche se concrétise notamment par l'accompagnement des services commerciaux dans une logique de création de valeur. Il ne s'agit plus de poursuivre une croissance à tout prix, mais de développer des activités commercialement pertinentes et génératrices de marge. Dans cette perspective, la direction financière joue un rôle clé dans l'orientation des choix stratégiques.
Cette vision étendue de la fonction financière dépasse largement le cadre traditionnel de l'administration et de la gestion financière. Elle intègre pleinement les dimensions du développement commercial, de l'identification de nouvelles opportunités, de la valorisation d'actifs et de la réflexion stratégique sur les métiers de l'entreprise. Cette évolution témoigne de la transformation profonde du rôle du directeur administratif et financier, désormais acteur central de la stratégie d'entreprise.
Le développement d'E'nergys aux niveaux national et international est sur votre feuille de route Quelles vont être vos priorités ?
L. H. : L'entreprise E'nergys s'inscrit dans l'écosystème industriel du groupe familial alsacien Socomec, spécialisé dans le domaine de l'énergie et plus particulièrement dans la fabrication d'onduleurs, de disjoncteurs et d'équipements électriques. L'entreprise propose également des services de conseil en optimisation énergétique, incluant l'amélioration des systèmes de climatisation, la gestion de la consommation de gaz et d'électricité, ainsi que l'optimisation de l'éclairage.
Cette diversité de compétences fait d'E'nergys un intégrateur énergétique complet, opérant actuellement sur le marché national français. Son développement suit une progression méthodique, avec la France comme premier marché cible, suivi par le Canada, et potentiellement d'autres territoires par la suite, en cohérence avec la stratégie du groupe Socomec, qui a su étendre sa présence de l'Alsace à l'Europe, puis à l'Asie et aux États-Unis.
Les annonces du président Trump sur les droits de douane vous impactent-elles ?
L. H. : Dans le domaine de la fabrication de matériel électrique, les décisions protectionnistes telles que les droits de douane instaurés par l'administration américaine peuvent effectivement constituer un facteur de perturbation. Cependant, Socomec bénéficie d'une implantation locale solide qui atténue considérablement l'impact de ces mesures commerciales.
Pour E'nergys, spécialisée dans l'optimisation énergétique, la situation géopolitique actuelle peut paradoxalement représenter une opportunité. Les tensions observées, comme celles affectant actuellement l'Iran, ont pour conséquence directe une augmentation du coût de l'énergie. Cette hausse des prix incite naturellement les industriels à s'interroger sur les moyens de réduire leur consommation énergétique, qu'il s'agisse de gaz, d'électricité ou de solutions de récupération de chaleur. À l'inverse, lorsque les coûts énergétiques sont bas, la motivation à engager des démarches d'économie d'énergie s'en trouve nécessairement diminuée.
Au niveau de la transformation digitale, vous diriez que vous êtes plutôt avancé chez E'nergys ?
L. H. : L'entreprise est assez avancée en termes d'innovation et d'outils d'automatisation. L'entreprise a considérablement réduit son utilisation de supports papier, anticipant ainsi les évolutions réglementaires telles que la dématérialisation des factures prévue pour 2026.
Sur le plan opérationnel, E'nergys s'est dotée d'outils performants dans des domaines clés tels que le recouvrement et le suivi de trésorerie. L'entreprise poursuit actuellement ses efforts d'amélioration, notamment à travers la mise en oeuvre de solutions RH.
Comment abordez-vous l'IA au sein de la fonction finance ? Pensez-vous que cela sera un atout ?
L. H. : Je pense qu'il s'agit d'un outil complémentaire, pas forcément un atout, car l'IA ne fait pas tout. Cela va permettre d'accélérer la lecture de contrats, par exemple, d'écrire des notes plus vite. Et puis l'IA touchera le métier, la gestion technique du bâtiment. Elle arrivera à détecter qu'il n'y a personne et donc décidera de couper la climatisation, le chauffage, ou s'adapter au vent, au soleil, à la pluie, par exemple.
Il est logique que l'IA arrive aussi dans les fonctions de la direction financière. Elle est déjà présente a minima dans la gestion de trésorerie, même s'il est encore nécessaire d'avoir un humain pour vérifier ce qu'elle fait.
Parmi vos premières missions figure, entre autres, la refonte de la fonction recouvrement. Quelles méthodes allez-vous mettre en place pour améliorer ce processus clé ?
L. H. : Le recouvrement est devenu un enjeu majeur dans toutes les entreprises. Nous avons mis en place des outils informatiques pour gérer automatiquement les relances, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années. Il y a aussi toute la partie connaissance clients et le profilage.
L'idée est d'impliquer à la fois les chefs de chantier, le commerce, la direction sur ces enjeux. C'est un travail en amont à mener de prévention, d'anticipation des problèmes d'un client, le comprendre et l'aider aussi à financer ses paiements. Je suis un Daf qui aime sortir sur le terrain, voir les clients, les métiers. À mon sens, c'est une des évolutions de la fonction de Daf.
Comment définiriez-vous votre position de Daf aujourd'hui ?
L. H : Je suis très polyvalent, sur un périmètre très large, avec le juridique, le recouvrement, l'informatique, le commerce. Je dis souvent que je suis un « bras droit » qui s'occupe de tout ce que les autres ne veulent pas faire. Et je suis également très proche du terrain. Je viens du monde agricole, j'aime savoir ce que font les gens, ce qu'est un chantier. La polyvalence a toujours été ma spécificité dans toutes les entreprises où je suis passé, associée à une grande force comptable. J'ai longtemps fait de la comptabilité pure, je connais très bien les métiers de comptable, consolideur, contrôleur de gestion.
Qu'est-ce que cela suppose d'être un « Daf de terrain » ?
L. H. : Je viens d'arriver chez E'nergys, et j'ai prévu de rencontrer les directeurs d'activité, tous les opérationnels qui mettent en oeuvre ce que le commerce vend. Je vais sortir avec eux, voir à quoi correspond une gestion technique de bâtiment, et discuter avec des techniciens, comme je le faisais d'ailleurs auparavant dans le monde agricole où je rencontrais les agriculteurs, les industriels pour comprendre leurs problématiques, les spécificités du métier.
Très souvent, une des critiques envers les Daf est le fait d'être enfermés dans leur bureau, leur « tour d'ivoire ». La finance, ce n'est pas compliqué. Ce n'est qu'une transcription de ce qui se passe sur le terrain. Tout a un impact dans les comptes. Donc forcément, quand on comprend le métier, ce que fait chacun, on sait expliquer facilement à un banquier ou un actionnaire comment cela se traduit dans les comptes.
Comment vous voyez le Daf dans quelques années, qu'est-ce qui pourrait être déterminant dans sa façon de travailler ?
L. H. : Le directeur financier sera sur la création de valeur. Les fonctions comptables vont s'automatiser de plus en plus, les fonctions recouvrement aussi. Le Daf sera encore plus orienté sur la réflexion stratégique et le management de ses équipes pour leur faire prendre le bon chemin, orientées très métier, mais aussi avec une standardisation, une industrialisation de tout ce qui n'apporte pas de valeur.
Les fonctions comptables se sont beaucoup industrialisées, cela va encore s'accentuer et il ne restera que ce qui apporte vraiment de la valeur ajoutée. On va diminuer les équipes pour des tâches moins qualifiées, pour aller vers du personnel beaucoup plus qualifié avec une automatisation des tâches et une accélération de sortie des comptes, de comptabilisation.
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