Gestion du cash : une activité clé pour la résilience des entreprises
Hausse des coûts, tensions sur les financements, allongement des délais de paiement : la trésorerie n'est plus juste un sujet comptable. Elle conditionne la capacité à résister aux chocs, à saisir les opportunités et à arbitrer les priorités. Elle peut devenir une-clé de performance et de pérennité, expliquent Sereen Nassar, directrice chez Julhiet Sterwen, experte en finance, risque & réglementaire et Thuy-Trang Doan, partner Finance chez Julhiet Sterwen, dans cette tribune exclusive.

Malgré une récente stabilisation, l'inflation reste au-dessus du niveau d'avant-crise. Les taux directeurs élevés alourdissent le coût de la dette. Les perturbations logistiques, les tensions géopolitiques et la volatilité des matières premières accroissent l'imprévisibilité des cycles d'encaissement et de décaissement. Dans ce climat incertain, les marges d'ajustement se réduisent, et la solidité de la trésorerie devient une condition préalable à la prise de risque maîtrisée.
Ce contexte a alimenté une prise de conscience chez les chefs d'entreprise. Selon une publication récente de la Banque de France, les crises récentes les ont poussés à revoir à la hausse le niveau de trésorerie nécessaire pour piloter leurs activités[1]. Celui-ci reste apprécié dans une vision nette des PGE[2] à rembourser d'ici 2026. Elle garantit la continuité d'activité et facilite les négociations, alors que la baisse post-covid des délais de paiement fournisseurs s'est arrêtée[3].
Cette réalité économique redéfinit les critères d'évaluation du risque et les leviers d'accès au financement. Dans ce cadre, la cotation Banque de France est plus que jamais LE baromètre scruté par les établissements de crédit et les partenaires commerciaux. Fondée notamment sur la liquidité et le respect des délais fournisseurs, elle peut favoriser ou au contraire freiner l'accès aux financements, voire la contractualisation avec les différents partenaires. Une gouvernance solide de la trésorerie peut devenir un argument de négociation et de solidité dans les relations bancaires.
Ce point est d'autant plus important que les entreprises françaises restent très dépendantes des banques[4], avec un accès au crédit sensible aux variations de leur notation. Une trésorerie mal maîtrisée peut rapidement devenir un facteur de fragilité, en particulier lorsque le besoin en fonds de roulement s'allonge sous l'effet des retards de paiement clients.
Pourtant, le rôle crucial de la trésorerie ne se reflète pas toujours dans les moyens mis en oeuvre pour sa gestion.
Une gestion du cash encore trop rudimentaire dans de nombreuses entreprises
Malgré des taux élevés en 2024, profitables pour les entreprises excédentaires en cash mais pénalisantes pour les emprunteuses, la gestion du cash reste souvent abordée de manière rudimentaire : tableur, éclatement par Business Units... Cela pose de nombreuses limites.
Les fondamentaux d'un pilotage prévisionnel du cash, qui intègrent une vision prédictive du marché, des taux, des clients, des fournisseurs et font le lien avec la stratégie d'investissement peuvent faire défaut. Le manque de rolling forecast, d'outils adaptés et d'une lecture en temps réel empêche un suivi rigoureux des écarts entre facturation et encaissement. L'organisation se prive ainsi de leviers décisionnels rapides pour s'offrir des choix d'actions concrètes d'amélioration du cash. Appliquer de bonnes pratiques suppose de repenser l'organisation et les outils.
Vers une structuration de la gestion du cash plus stratégique, intégrée et temps réel
Le pilotage du BFR[5] repose sur des clés de réussite de plusieurs ordres.
En vue d'orienter efficacement les décisions, deux piliers sont nécessaires : une prévision opérationnelle et des données mises à jour. Dans un contexte volatil, cela suppose des prévisions glissantes, souvent hebdomadaires, alimentées par des outils comme les Treasury Management Systems, connectés aux ERP et outils de paiement. Une vision en temps réel des flux fournisseurs, clients et banques est un élément clef pour réaliser une revue de BFR consolidée auprès de la Direction Générale avec des indicateurs simples et transverse : DSO[6], DPO[7] et cycle de conversion du cash.
Cette revue peut être institutionnalisée. Elle s'appuie sur une prévision consolidée et à jour, élaborée conjointement par la trésorerie, le recouvrement, le contrôle de gestion, et les patrons de BU/Divisions. Au-delà de la qualité de l'information cash, les fonctions opérationnelles, comme les ventes, les achats, la production, restent peu sensibilisées par rapport à l'impact de leur action sur la trésorerie. L'absence d'indicateurs communs et d'incitations financières liées à la performance cash ne favorisent pas la « culture du cash ». Elle doit devenir une responsabilité collective appuyée par une gouvernance sponsorisée au COMEX.
La réforme de la facturation électronique : un accélérateur de transformation
Pour aller plus loin que les tableurs et dépasser le manque d'indicateurs, il y a un accélérateur : la facturation électronique.
Cette réforme, dont l'entrée en vigueur est prévue pour septembre 2026, représente un tournant. En généralisant la transmission via les PDP[8] et en assurant une traçabilité complète, elle va améliorer la qualité et la rapidité des données de facturation. Pour les directions financières, c'est l'occasion de fiabiliser les prévisions de cash, de réduire les litiges de facturation et de déclencher plus rapidement les actions de recouvrement. Elle permettra aussi d'industrialiser les alertes liées aux factures rejetées ou en attente, créant un socle d'analyse commun entre les fonctions comptables, commerciales et de trésorerie. Cette transformation structurelle appelle une adaptation des outils mais surtout une révision des gouvernances internes dans lesquelles la fonction finance se positionne comme un acteur central.
Rôle de la fonction finance : résilience financière
Le cash devient un indicateur de performance globale. À l'égal du chiffre d'affaires ou du résultat, il doit être intégré dans les tableaux de bord de pilotage, dans les revues d'activité, et dans les décisions d'investissement. La mise en place de structures dédiées à la gestion du cash cycle qui traversent les silos traditionnels de la finance devient un levier d'efficacité. La collaboration entre trésorier, contrôle de gestion, achats et commerce n'est plus une option mais un pilier de survie dans un écosystème instable. Dans ce contexte, la gestion du cash n'est pas une variable d'ajustement : elle est devenue une boussole stratégique.
Des solutions de bout-en-bout doivent se déployer dans les entreprises pour optimiser le pilotage du cash, accélérée par les contraintes réglementaires et la recherche d'efficience. Mais ces outils ne valent que par la qualité des processus en amont : délais de facturation, exhaustivité des saisies, qualité des référentiels, rigueur du suivi des litiges...Structurer une gouvernance claire autour du cash devient incontournable. Faire évoluer les indicateurs de performance et impliquer toutes les fonctions permet d'aligner les objectifs entre métiers. L'enjeu est donc finalement autant technique que culturel... alors que, dans de nombreuses organisations, la trésorerie reste perçue comme une affaire de spécialistes. Or, chaque décision opérationnelle affecte la trésorerie : un contrat mal négocié, une livraison décalée, une facture incomplète sont autant de grains de sable dans le rouage financier.
[1] « Trésorerie des entreprises : comprendre l'écart entre données agrégées et perceptions ». (Banque de France, Novembre 2024)
[2] Prêts Garantis par l'Etat
[3] Bulletin Banque de France septembre-octobre 2024
[4] « Le financement des entreprises » (Fédération Bancaire Française, Août 2023)
[5] besoin en fond de roulement
[6] Days Sales Outstanding : délai moyen de paiement des clients
[7] Days Payable Outstanding : délai moyen de paiement des fournisseurs
[8] PDP : plateforme de dématérialisation partenaire
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