DossierPrélèvement à la source : la dernière ligne droite
Après avoir été le feuilleton de la rentrée, le prélèvement à la source sera une réalité dès janvier 2019. Or, malgré les messages rassurants de la Direction générale des finances publiques (DGFIP), c'est une vraie révolution technique, organisationnelle et humaine. Des mois cruciaux sont à venir.

Sommaire
- Pourquoi le gouvernement a-t-il hésité ?
- Peur d'une impréparation psychologique des Français
- Êtes-vous prêts ?
- Mettre en place la simulation avec son éditeur
- Imaginer les procédures et la charge de travail
- Lister les points d'attention pour s'y préparer
- La checklist
- Avant tout un sujet RH
- Anticiper par de l'information en amont
- Guides explicatifs et sessions d'informations
- Rassurer quant à la confidentialité
- Se préparer à des demandes d'ordre salarial
- " Il faut être capable de répondre aux questions des salariés sur le net fiscal "
- Dispositif plus complexe car tripartite
- Charge de travail supplémentaire de 5 %
1 Pourquoi le gouvernement a-t-il hésité ?
Mardi 4 septembre, au 20h de TF1, le chef du gouvernement Édouard Philippe a annoncé la nouvelle : le prélèvement à la source sera bien mis en place au 1er janvier 2019. Une décision attendue : quelques jours auparavant, Emmanuel Macron avait émis des doutes quant à l'instauration effective de cette réforme. Mais pourquoi le président a-t-il commencé à douter, à quelques mois de la mise en place de cette réforme ? Les avantages (notamment une meilleure captation des impôts) n'étaient peut-être plus aussi visibles par rapport aux difficultés. Parmi les "réponses précises" qu'attendait l'exécutif, se trouvaient sans aucun doute des questions d'ordre technique : l'administration fiscale et les entreprises sont-elles prêtes ? En effet, tout le monde a en tête les fiascos informatiques de l'État tels que le logiciel de paie des militaires (Louvois). Pour ne rassurer personne, une note de la DGFIP, que s'est procurée Le Parisien, aurait pointé de nombreux bugs lors des phases de tests. Et le Medef et la CPME insistaient sur les difficultés de certaines entreprises à mettre en place cette réforme...
2 Peur d'une impréparation psychologique des Français
Le ministère de l'Action et des Comptes publics semble avoir rassuré le président sur ce point et Gérald Darmanin a assuré par tous les moyens que l'administration était techniquement prête. Quant aux entreprises, celles de moins de 20 salariés pourront déléguer ce prélèvement à l'Urssaf via le dispositif Titre emploi service entreprise (Tese). Les autres, par contre, doivent se tenir prêtes ! Autre difficulté soulevée : les particularités du système fiscal tricolore. " Notre système d'imposition par foyer et ses nombreuses niches et réductions d'impôt ne facilitent pas le passage au prélèvement à la source ", estime Béatrice Hingand, directrice de la rédaction des Editions Francis Lefebvre et spécialiste des questions fiscales : pour elle, il aurait fallu commencer par réformer le système fiscal français. Concernant les crédits d'impôt, le gouvernement a pris les devants en annonçant le versement d'un acompte de 60 % du crédit d'impôt de l'année précédente pour les services à domicile, garde d'enfants, investissements locatifs ou encore dons à des associations.
Enfin, l'Elysée aurait redouté l'impact psychologique de ce gros changement sur le moral des Français. En effet, les salariés sont-ils prêts à voir leur salaire imputé de l'impôt ? La mesure ne risque-t-elle pas d'impacter négativement la consommation des ménages ? La vraie réponse sera connue en 2019.
À savoir
Quel aurait été le coût d'un abandon ?
Un abandon de la réforme aurait été une catastrophe d'un point de vue économique. Le gouvernement avait en effet avancé déjà énormément de frais pour mettre en place le prélèvement à la source. Christian Eckert, ancien secrétaire d'État chargé du Budget et des Comptes publics, a confié à nos confrères de Capital que le coût d'un éventuel abandon représenterait entre 100 et 200 millions d'euros : " Ce type de fourchette me paraît assez raisonnable, assure-t-il à Capital. On peut facilement compter plusieurs dizaines de millions d'euros de logiciels, idem pour la formation des agents fiscaux et plusieurs millions pour la communication. Sans parler du temps de travail des agents qui travaillent dessus depuis des années ". Les entreprises, également, avaient déjà engagé des sommes considérables, notamment les éditeurs de logiciels. " Les éditeurs ont investi en R&D et en ressources humaines depuis deux ans et attendent un retour sur investissements ", pointe Guillaume Rejou, Senior Alliance Manager chez Sage, qui souligne également l'investissement des entreprises depuis le début de l'année.
Le prélèvement à la source a bien failli ne jamais voir le jour. Quelques mois avant la mis en place de la réforme, Emmanuel Macron a émis des doutes. Avant d'être visiblement rassuré par le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin. Des hésitations d'ordre avant tout politique.
3 Êtes-vous prêts ?
Face aux nombreuses levées de bouclier contre la réforme du prélèvement à la source, des entreprises ont pu tomber dans un certain attentisme, pensant qu'elle ne verrait pas le jour. Les derniers doutes présidentiels ont failli leur donner raison... Mais non ! La réforme sera bien appliquée à partir du 1er janvier 2019 et il est donc plus que temps de se pencher sur sa mise en oeuvre. Car même si l'administration fiscale se veut rassurante quant à la simplicité de la mise en oeuvre, le prélèvement à la source nécessite une certaine préparation. En effet, avec le prélèvement à la source, les entreprises deviennent des acteurs de l'impôt. C'est à elles qu'incombe le rôle de "tiers collecteurs" , c'est-à-dire de recevoir et d'appliquer le taux qui permet de calculer le montant de l'impôt, mais également de prélever les sommes des salaires et de les transmettre à l'administration fiscale. Un rôle qui ne s'improvise pas. Alors, êtes-vous prêt ?
4 Mettre en place la simulation avec son éditeur
"À quelques mois de la mise en place du prélèvement à la source, il n'est plus temps de se demander de quoi on parle. Il faut se demander rapidement qu'est-ce que cette réforme va apporter comme changements dans son entreprise", pointe Maître Colin Bernier, avocat associé chez EY Société d'Avocats. Première étape essentielle : se rapprocher de son éditeur de logiciel de paye. "Sur le sujet du prélèvement à la source, les entreprises sont dépendantes des éditeurs car ce sont eux qui vont traiter les données. Il faut donc se renseigner pour savoir comment cela va fonctionner, ne serait-ce que pour savoir quels moyens humains mettre en oeuvre", estime Émeline Aubry, responsable sociale et juriste chez Exco.
Entrer en contact avec son éditeur permet aussi de se rassurer sur sa préparation. Stéphane Couderc, adjoint au directeur du projet prélèvement à la source de la DGFIP, conseille de demander à son éditeur s'il a bien signé la charte avec la DGFIP, de connaître le calendrier de livraison, de savoir si la préfiguration peut être mise en place, etc... "Il s'agit donc de poser à votre fournisseur des questions précises sur ce qu'il a fait pour préparer le basculement". Dans cette dernière ligne droite, il est également important de lui demander une simulation. En effet, à partir d'octobre, il sera possible de faire apparaître l'impôt à la source sur les fiches de paie. De quoi s'assurer que tout fonctionne convenablement.
Mis à part ce calage avec son éditeur, la partie technique du prélèvement à la source ne présente pas de difficultés. "D'un point de vue technique, c'est simple ! Beaucoup plus, d'ailleurs, que la DSN, qui a nécessité trois ans de mise en oeuvre", commente Guillaume Rejou, Senior Alliance Manager chez Sage France. C'est d'ailleurs la DSN (déclaration sociale nominative) qui va permettre la communication avec l'administration fiscale : si celle-ci fonctionne correctement, le prélèvement à la source ne représentera que quelques paramétrages supplémentaires. La phase 3 de la DSN doit donc avoir été bouclée avec succès.
5 Imaginer les procédures et la charge de travail
Pourtant, cette réforme va demander de gros efforts organisationnels de la part des entreprises, qui vont recevoir, de l'administration fiscale, le taux à appliquer pour chaque salarié, l'appliquer correctement aux salaires, reverser à l'État le montant prélevé... Et traquer les éventuelles erreurs. "Il faut absolument mettre en place des contrôles pour s'assurer que les sommes qui vont être prélevées sont les bonnes et que les prélèvements sur les salaires ont bien été faits", souligne Colin Bernier. Si les erreurs en défaveur de l'administration fiscale vous exposent à un risque de sanction (voir encadré), le contraire est tout aussi dommageable... Évidemment.
Ce sont ces nouvelles procédures qui vont demander le plus de temps aux entreprises et leur coûter le plus d'argent. Un rapport du Sénat a évalué le coût de mise en place de la mesure à environ 1,2 milliard d'euros la première année. Le coût récurrent serait ensuite de l'ordre de 100 millions d'euros. Car même si c'est la mise en place qui demandera la plus d'effort, il ne faut pas oublier que ces nouvelles procédures devront être mises en place tous les mois. Et que des changements de taux pourront avoir lieu toute l'année : changement de situation, employé au taux neutre passant au taux individualisé, etc.
Jean-François Cottin, expert-comptable et commissaire aux comptes, associé du cabinet Fideliance, craint que la mise en place soit encore plus compliquée que prévue. "En théorie il n'y a qu'à appuyer sur un bouton mais en pratique, ce sera plus compliqué", développe-t-il. Il est convaincu que les paramétrages des logiciels de paie ne permettront pas d'intégrer automatiquement les taux transmis par l'administration fiscale et que des saisies manuelles seront à faire. Pour ne pas être prises au dépourvu, les entreprises vont devoir se projeter en 2019 et imaginer quelles vont être toutes ces nouvelles tâches supplémentaires pour budgéter le coût supplémentaire mais aussi préparer les équipes, réorganiser les plannings et même embaucher si besoin.
La formation des équipes, également, doit être au programme, afin d'avoir une bonne vision de la réforme et de pouvoir dialoguer avec les différents interlocuteurs : éditeurs, gestionnaires de paie, DGFIP mais également salariés. "L'idée n'est pas qu'ils deviennent des conseillers fiscaux mais qu'ils puissent accompagner au mieux les collaborateurs tout au long de la mise en oeuvre de la réforme", explique Maître Vanessa Calderoni, avocat associée chez Taj. Pour ce faire, il peut être intéressant de bâtir une équipe projet afin d'identifier les tâches et les interrogations liées au prélèvement à la source. "L'objectif est de s'y mettre au plus vite afin de ne pas gérer cette mise en place dans l'urgence", précise Colin Bernier.
6 Lister les points d'attention pour s'y préparer
Se préparer au prélèvement à la source, c'est également se préparer aux éventuels dysfonctionnements liés à la réforme. De nombreux points d'attention existent, comme les salariés expatriés et impatriés, les contrats courts, les apprentis, etc. "Des situations particulières qui vont nécessiter une vigilance accrue de la part des entreprises, même si les logiciels sont censés les prendre en compte", note Béatrice Hingrand, directrice des rédactions des Éditions Francis Lefebvre et à l'origine d'un guide sur le prélèvement à la source. Pour les contrats courts, par exemple, un abattement d'un demi-Smic sera soumis au net fiscal. Quant aux apprentis, ils seront exonérés d'impôt jusqu'à un certain montant de salaire annuel, seuil qu'il faudra surveiller pour appliquer l'impôt en cas de dépassement. Les nouveaux salariés, également, vont poser problème : l'employeur devra appliquer un taux neutre le temps de recevoir leur taux. "La situation va devenir vraiment complexe lorsqu'un salarié changera de situation, voire vivra plusieurs événements consécutifs de nature à impacter son taux", renchérit Sophie Manacho, expert SVP en fiscalité et vie des affaires. C'est pourquoi les experts vous conseillent de cartographier toutes les situations atypiques.
L'année "blanche", également, doit faire l'objet d'attentions : en effet, les revenus de 2018 ne seront pas imposés pour que les contribuables n'aient pas à payer deux fois l'impôt en 2019. Mais il ne s'agit pas pour autant de verser des primes exceptionnelles non imposables à ses employés car l'administration fiscale sera très vigilante. "Les revenus exceptionnels imposables à l'impôt sur le revenu resteront imposés au titre de l'année de transition. Ce sera le cas par exemple d'une prime de départ à la retraite perçue en 2018. En revanche, une prime dès lors que son calcul et ses modalités de versement sont prévues par le contrat de travail pourra bénéficier de l'effacement d'impôt au titre de l'année de transition", explicite Stéphane Couderc. Les primes non prévues dans le contrat, si elles sont liées à l'activité et régulières, peuvent également échapper à l'impôt pour l'année de transition. Attention donc aux primes versées pour la première fois. Une notion de "revenus exceptionnels" qui intrigue, bien entendu, les entreprises et leurs salariés... "Sur ce point, il est difficile de donner une réponse générale car il n'existe que des cas particuliers", prévient Maître Christophe Leclère, avocat fiscaliste chez CMS Francis Lefebvre Avocats. De manière générale, il conseille, en cas de doute, de contacter l'administration fiscale, qui devrait se rendre disponible pour accompagner les entreprises dans ce grand changement.
Focus
Quels risques pour l'entreprise en cas d'erreur dans le calcul et la collecte de l'impôt ?
En devenant tiers collecteurs, les entreprises sont soumises à de nouvelles obligations dont les manquements peuvent être sanctionnés par des amendes. Par exemple, en cas d'erreur dans la collecte du prélèvement à la source, à savoir une omission ou une insuffisance liée à une assiette de prélèvement inférieure au revenu net imposable ou à un taux de prélèvement inférieur à celui transmis par l'administration fiscale, l'employeur est passible d'une amende de 5 % du montant de prélèvement à la source omis avec un minimum de 250 euros.
7 La checklist
- -s'assurer du bon fonctionnement de sa DSN
- -contacter son éditeur pour mettre en place une phase de test
- -définir une équipe projet chargée de suivre cette mise en place
- -budgéter les dépenses supplémentaires liées à la mise en place de la réforme
- -former et informer ses collaborateurs
- -mettre en place de nouvelles procédures
- -estimer le nombre d'heures supplémentaires nécessaires et embaucher le cas échéant
- -anticiper et lister les difficultés
- -contacter l'administration fiscale en cas de problème
À quelques mois de la mise en place du prélèvement à la source, la question n'est plus de savoir si on doit y aller - le Gouvernement a récemment répondu à cette question - mais comment. Il s'agit de s'assurer que l'on est prêt techniquement et de commencer à adopter une nouvelle organisation.
8 Avant tout un sujet RH
Et si, malgré les nombreux questionnements d'ordre technique, le prélèvement à la source était avant tout un sujet de ressources humaines ? En effet, face à ce changement majeur, les salariés vont avoir de nombreuses questions. "Le salaire est un sujet ultra-sensible", rappelle Maître Colin Bernier, avocat chez EY. Si certains vont avoir le réflexe de décrocher leur téléphone pour appeler l'administration fiscale, comme le suggère la grande campagne de communication lancée depuis la rentrée, beaucoup vont se tourner vers leur employeur.
Pour savoir comment est calculé et appliqué le taux, rapporter une erreur... mais aussi parler des crédits d'impôt ou encore de leurs obligations en tant que particulier employeur. Ce qui va assurément créer du travail supplémentaire pour les personnes auxquelles les salariés inquiets vont s'adresser : les managers, les équipes RH et celles en charge de la paie au sein des entreprises. Quelle attitude adopter face à ces questionnements ? L'employeur doit-il y répondre ou renvoyer vers l'administration fiscale ? Et face aux inquiétudes par rapport à la baisse de salaire, comment réagir ? La clé est d'anticiper en communiquant. "Le prélèvement à la source est un enjeu de communication avant tout", estime Guillaume Rejou, Senior Alliance Manager Enterprise Market chez Sage. Et c'est dès maintenant qu'il faut s'y employer. En janvier 2019, il sera trop tard !
9 Anticiper par de l'information en amont
La DGFIP ne cesse de le marteler : l'employeur ne doit pas répondre aux questions des salariés sur le prélèvement à la source mais les rediriger vers l'administration fiscale. Un bien beau discours qui cache une toute autre réalité : les employeurs vont crouler sous les questions de leurs collaborateurs angoissés - si ce n'est pas déjà le cas - et il paraît difficile de les balayer sèchement en leur disant de se tourner vers l'administration fiscale sans calmer leurs inquiétudes. Le prélèvement à la source est quand même très technique et les salariés risquent de s'y perdre. De plus, "l'amputation du salaire peut avoir un impact sur la motivation au travail et polluer le fonctionnement de l'entreprise", met en garde Béatrice Hingand, directrice de la rédaction des Éditions Francis Lefebvre, et spécialiste des questions fiscales.
Impossible, donc, de balayer d'un revers de la main les inquiétudes des salariés. Mais pour éviter de se retrouver noyé sous les questions, la clé est l'anticipation : des actions de communication doivent être menées en amont. "La première des choses à faire est de rassurer en déclarant que l'entreprise s'est bien saisie du sujet", recommande Maître Colin Bernier. Les dernières publications dans la presse concernant les nombreux bugs en phase de test peuvent en effet avoir inquiété certaines personnes. De ce point de vue, la simulation sur les fiches de paie peut être d'une grande aide : cela leur démontre qu'il n'y a aucune erreur et les prépare également à leur nouveau net. Guillaume Rejou conseille d'expliquer dans les détails la façon dont l'employeur intervient dans le prélèvement à la source. "Il faut bien rappeler que le taux n'est pas décidé par l'employeur et qu'en cas d'erreur, il faut s'adresser à l'administration fiscale. En revanche, ne pas hésiter à expliquer comment on reçoit le taux, comment on l'applique, etc."
10 Guides explicatifs et sessions d'informations
Pour ce faire, certaines sociétés éditent un livret recensant les principales questions que peuvent se poser les salariés, une newsletter électronique, des affiches rappelant le numéro de l'administration fiscale ou encore organisent des sessions d'information. Maître Gaëlle Menu-Lejeune, avocate associée au sein de Fidal, invite, lors de ces sessions d'informations, à faire intervenir un expert, un avocat fiscaliste par exemple. "Cela permet à l'employeur d'apporter des réponses à ses salariés tout en faisant comprendre qu'il n'est qu'un tiers collecteur qui n'a pas vocation à répondre aux questions sur le prélèvement à la source", indique-t-elle.
Dans le même ordre d'idée, Béatrice Hingand propose d'envoyer les guides explicatifs et autres livrets sur le prélèvement à la source à l'adresse postale personnelle du salarié et non de les distribuer au bureau. "Cela leur permet d'avoir le guide chez eux à portée de main lorsqu'ils se poseront davantage de questions en janvier et, surtout, cela permet de faire sortir le sujet de leur lieu de travail et d'éviter de penser que toutes les réponses se trouvent dans l'entreprise", indique Béatrice Hingand. Quelle que soit la forme choisie, il est essentiel de communiquer massivement, de façon à ce qu'aucune question ni aucun doute ne subsiste avant le 1er janvier 2019. "Il est important de participer activement à la communication de l'administration fiscale afin d'éviter les éventuels effets de panique des salariés", souligne Maître Vanessa Calderoni, avocate associée chez Taj. Mais attention, ces actions de communication ont pour but de répondre avec anticipation aux questions que pourraient se poser les salariés quant au prélèvement à la source... Rien de plus. Il faut rappeler que l'administration fiscale reste le premier interlocuteur.
11 Rassurer quant à la confidentialité
Surtout, les équipes paie n'ont aucune vocation à délivrer des conseils fiscaux. "Les équipes ressources humaines ou paie doivent pouvoir apporter de premiers éléments de réponse et surtout réorienter vers la bonne personne. Elles ne doivent pas se pencher sur la façon dont est calculé le taux de chaque employé. D'autant qu'il y a une question de confidentialité", rappelle François de Laubier, pdg d'e-paye. La confidentialité est en effet une question soulevée par de nombreux détracteurs du prélèvement à la source et inquiète certainement bon nombre de salariés. Ainsi, l'employeur, s'il a accès au taux d'imposition, ne doit en aucun cas le divulguer et surtout ne pas chercher à en savoir plus sur la situation financière de ses employés.
Les sessions de communication doivent également rassurer les collaborateurs sur cette question de la confidentialité. En leur rappelant que les équipes manipulant les taux de prélèvement de l'impôt sont soumises au secret professionnel et peuvent être sanctionnées en cas de manquement. Et que, comme le souligne Béatrice Hingand, le taux ne dit pas grand-chose sur la situation financière des salariés : "Un même taux de prélèvement peut recouvrir des situations très variées", explique-t-elle. Et c'est la seule information qui est transmise à l'employeur. Les salariés très concernés par cette question de confidentialité peuvent adopter le taux neutre mais les employeurs doivent bien les prévenir qu'une régularisation de leur situation sera alors nécessaire a posteriori et que cela peut représenter des complications bien inutiles.
12 Se préparer à des demandes d'ordre salarial
Au-delà des questions d'ordre technique, les entreprises vont sans aucun doute être confrontées à des demandes d'ordre salarial, de type augmentations ou avances sur salaire. En effet, le salaire mensuel des employés va sensiblement baisser puisque l'impôt sera prélevé tous les mois sur le salaire. Un choc pour ceux qui n'avaient pas déjà opté pour la mensualisation de l'impôt (41,2 % selon les dernières statistiques de la DGFIP). À cela s'ajoutent les crédits d'impôt qui ne seront régularisés qu'en juillet, même si l'État a prévu un acompte pour certaines catégories. Mais ce dernier est calculé sur les crédits d'impôt de l'année précédente et donc sur les déclarations de deux ans auparavant : autant dire que nombre de situations auront changé et que certains contribuables devront avancer des sommes conséquentes. Cela aura un impact non négligeable, surtout sur les foyers modestes. Franck Cheron, associé conseil capital humain chez Deloitte, déconseille de compenser la baisse de salaire par une mensualisation des bonus et/ou du 13e mois, le cas échéant." La mensualisation est une réponse donnée à court terme sans mesurer les conséquences inflationniste à moyen terme".
Les salariés risquent donc de profiter du prélèvement à la source pour négocier des augmentations, dont les montants seront négociés en brut : à salaire brut égal, le salaire net ne sera plus du tout équivalent puisque les taux appliqués seront différents d'un salarié à l'autre. Ce qui peut également perturber les employés. Lors des entretiens d'embauche, si les candidats ont du mal à se projeter, il peut être intéressant de raisonner à partir d'un taux d'imposition moyen. C'est en tout cas un autre système de pensée qu'il va falloir adopter et il s'agit d'aider ses employés à passer ce cap.
Focus
De nombreux guides
Pour aider ses salariés à passer en douceur au prélèvement à la source, s'appuyer sur un document répondant à leurs principales questions peut être utile. Heureusement, de nombreux acteurs du marché ont publié des guides et autres livres blancs sur le sujet. À commencer par l'administration fiscale, qui a fait un énorme effort de communication. Elle met par exemple à disposition des entreprises un "Kit collecteur'' qui inclut des supports pour les salariés. D'autres acteurs du prélèvement à la source se sont emparés du sujet. De nombreux prestataires proposent des guides à destination des employés mais aussi d'intervenir dans les entreprises pour des sessions d'information et/ou de formation. Enfin, à noter le guide très bien fait des Éditions Francis Lefebvre qui répond vraiment à toutes les questions que pourraient se poser les employés. À distribuer d'urgence à ses collaborateurs !
Incompréhension de la réforme, du calcul du taux et son application, choc psychologique de recevoir un salaire moins élevé, peur du risque d'erreur et du non-respect de la confidentialité... De nombreux sujets liés à cette nouvelle mesure peuvent troubler employés et entreprise. Prenez les devants!
13 " Il faut être capable de répondre aux questions des salariés sur le net fiscal "
Afin d'identifier les difficultés techniques et organisationnelles que pourraient rencontrer les différents acteurs impliqués dans le prélèvement à la source (administration, entreprises, éditeurs, collectivités locales, etc.), la direction générale des finances publiques (DGFIP) a lancé différentes phases de test, dès l'été 2017. 600 collecteurs du public et du privé ont participé, dont ADP. " Le prélèvement à la source devait originellement être effectif au 1er janvier 2018. Nous avons donc décidé d'être prêts pour 2018 ", indique Emmanuel Prevost, directeur du pôle veille juridique d'ADP, qui rappelle qu'ADP compte 12 000 clients qui représentent 3 millions de bulletins de salaire. Des chiffres vertigineux qui ne laissent pas de place à l'improvisation. Mieux valait, effectivement, se préparer au plus tôt !
Parmi les éléments testés avec la DGFIP : la cinématique des flux, c'est-à-dire s'assurer du bon échange d'informations entre ADP et l'Administration. " Les choses étaient robustes et fonctionnaient déjà bien. Il y a eu quelques aléas mais cela est tout à fait normal en phase de test ", rapporte Emmanuel Prevost.
14 Dispositif plus complexe car tripartite
L'entreprise a également participé à la 2e phase de tests, qui s'est déroulée entre le 1er mars et le 15 juin 2018. L'objectif était d'éprouver les dernières mises à jour de la DGFIP, développées après la première phase. " Au-delà de la cinématique des flux, nous avons contrôlé le bon fonctionnement de l'ensemble de la DSN mais aussi la bonne application du taux sur la paie ", décrit Emmanuel Prevost.
Le directeur du pôle veille juridique d'ADP se veut rassurant : " Globalement, les choses se passent bien. " Il reconnaît qu'il reste quelques calages à opérer. Comme le déblocage des participations et intéressement. " Ce sera mis en oeuvre en 2020 : le dispositif est un peu plus complexe car tripartite ", explique-t-il. D'autres sujets sont encore incertains, comme la fiscalisation sur les avantages en nature qui fera l'objet d'une régularisation en fin d'année.
15 Charge de travail supplémentaire de 5 %
Pour Emmanuel Prevost, c'est surtout la communication vis-à-vis des salariés qui risque de poser des problèmes. Il invite les employeurs à s'adresser directement à leurs salariés et à ne pas attendre le la DGFIP d'apporter toutes les informations. " Ce n'est pas le métier de la DGFIP de prendre en compte la complexité de la paie. Il faut être capable de répondre aux questions des salariés sur le net fiscal et la façon d'appliquer le taux barème ", insiste-t-il. L'employeur doit donc comprendre l'ensemble du dispositif. Pour répondre aux questions des salariés mais aussi contrôler efficacement que le net fiscal et l'application du prélèvement à la source sont correctes. Ce qui, assurément, engendrera une charge de travail supplémentaire. " L'employeur a une nouvelle tâche à effectuer puisqu'il devient tiers collecteur. Et la paie de nouvelles rubriques à contrôler. " Chez ADP, on estime que cette inflation sera de l'ordre de 5 %.
Pour bien se préparer à cette nouvelle réglementation et aux changements qu'elle occasionne, Emmanuel Prevost invite toutes les entreprises à réaliser une simulation du prélèvement à la source dès cet automne. " Cela permet de toucher du doigt le prélèvement à la source, s'apercevoir si son éditeur est réellement prêt, se former le cas échéant... "
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