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Vers une gouvernance fiscale pour les entreprises françaises?

Certes, il n'existe pas (encore) en droit français d'obligations de gouvernance fiscale. Mais une entreprise française, si elle est implantée dans un pays où un tel cadre existe, doit s'y conformer. Elle doit aussi aborder la question fiscale au niveau groupe. Conseils sur la marche à suivre.

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Vers une gouvernance fiscale pour les entreprises françaises?

En imposant aux entreprises la mise en place de mesures internes de prévention et de détection de faits de corruption ou de trafic d'influence, la loi Sapin 2 sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique allonge la liste des obligations des entreprises en matière de gouvernance juridique et pénale. S'il n'existe pas encore en droit positif français d'obligations de "bonne gouvernance" en fiscalité, on se dirige assurément, sous l'influence de l'OCDE, de la Commission européenne et des initiatives toujours plus nombreuses des États, vers une véritable gouvernance fiscale d'entreprise.

La gouvernance fiscale, que l'on peut définir comme la "gouvernance d'entreprise appliquée à la fiscalité", intéresse deux types de parties prenantes. Les administrations fiscales, d'une part, qui y voient un moyen de concentrer les contrôles fiscaux sur certains contribuables "à risques" et ainsi de mieux gérer leurs ressources. Et les entreprises, d'autre part, qui par ce biais bénéficient d'une plus grande sécurité juridique et peuvent mieux maîtriser leurs enjeux financiers et réputationnels.

La gouvernance fiscale et les entreprises françaises

L'OCDE a publié en mai 2016 un guide (Co-operative Tax Compliance - Building Better Tax Control Frameworks), dans lequel elle définit un cadre de gouvernance (Tax Control Framework) permettant d'aboutir à une confiance réciproque entre les entreprises et les administrations. Ce cadre comprend différents blocs:

  • une stratégie fiscale définie sous le contrôle et la responsabilité des organes exécutifs;
  • une application de cette vision de la fiscalité à tous les niveaux de l'entreprise;
  • l'établissement et l'attribution de responsabilités claires;
  • une documentation des processus complète et claire;
  • des vérifications et mises à jour régulières de l'organisation et des processus mis en place.

Construire un cadre de gouvernance fiscale conduit à exiger de la part des acteurs économiques une maîtrise des processus, humains comme techniques. C'est la donnée dans son ensemble qui génère l'information fiscale, et le cadre a pour vocation d'octroyer des garanties à l'Administration sur la cohérence de cette information. Et s'il n'existe pas encore de cadre de gouvernance fiscale en droit français, les entreprises françaises n'en sont pas dispensées pour autant. Pour les acteurs économiques français, la thématique de la gouvernance est une préoccupation concrète en raison de la nécessité de se conformer à des cadres locaux existant dans leurs différents pays d'implantation, souvent ignorés depuis la France.

Certaines administrations ont opté pour une approche passant par la responsabilisation des organes exécutifs (Allemagne, Royaume-Uni). D'autres insistent sur les aspects processuels et de gestion du risque (Espagne, Italie, États-Unis, Pays-Bas). Les autorités fiscales de l'Australie, pays très en avance sur le sujet, ont quant à elles mis en place l'ensemble de ces aspects et publié des recommandations de "bonnes pratiques" très fouillées (Tax Risk Management and Governance Self Assessment Procedures, 26 juillet 2016) devant permettre à chaque redevable de procéder à son self-­assessment, qu'il devra communiquer aux autorités fiscales en amont de tout contrôle. Nous détaillons ci-après quelques exemples concrets d'obligations de gouvernance fiscale mis en place dans des États voisins de la France.

La genèse des règles de gouvernance fiscale

Conséquence d'une succession de scandales et de crises, depuis le début des années 2000, les réglementations autour du sujet de la gouvernance se sont multipliées. La gouvernance fiscale propose une nouvelle grille de lecture de la fiscalité dans l'entreprise, qui passe par une vision stratégique de la fiscalité, mais aussi par la responsabilisation des dirigeants et des organes exécutifs. Les bonnes pratiques en matière de gouvernance fiscale ont été pensées en lien avec les travaux de l'OCDE sur BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) visant à lutter contre l'érosion des bases fiscales, et font suite à l'initiative portant le nom de Cooperative Tax Compliance. Il découle de ces travaux des recommandations et obligations variées à la charge des entreprises, et l'on assiste donc à l'éclosion d'un cadre de gouvernance fiscale ("Tax Control Framework").

Le thème de la gouvernance fiscale est aujourd'hui central pour le G20, le FMI et l'OCDE. Ainsi, dans le rapport OCDE / FMI du 1er mars 2017 sur la sécurité fiscale, l'accent a été mis sur les programmes de coopération volontaire comme vecteurs de sécurité juridique pour les acteurs économiques (rapport OCDE / FMI "Tax Certainty", mars 2017, p. 22).

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Entreprises implantées en Allemagne et au Royaume-Uni

Le Royaume-Uni a récemment introduit une obligation pour les entités situées sur son sol dont le chiffre d'affaires est supérieur à 200 millions de livres sterling ou dont l'actif brut est supérieur à 2 milliards de livres de publier chaque année leur stratégie fiscale. En présence de groupes de sociétés, ces seuils s'appliquent au niveau du groupe. En outre, les sociétés qui rentrent dans le champ des obligations en matière de déclarations pays par pays, c'est-à-dire les sociétés dont le chiffre d'affaires global est supérieur à 750 millions d'euros, sont visées par cette obligation. Les filiales ou établissements stables britanniques de sociétés étrangères sont également concernés.

La première publication aura lieu en 2017 pour les exercices ouverts à compter du 15 septembre 2016. Si les pénalités applicables en cas de manquement à l'obligation de publication sont assez peu significatives (7 500 £ pour les 6 premiers mois, à nouveau 7 500 £ pour les 6 mois suivants, puis 7 500 £ par mois après 12 mois), la portée du dispositif n'est pas seulement symbolique. En effet, le défaut de publication ou la négligence dans la définition de sa stratégie ne manquera pas d'attirer l'attention de l'administration fiscale britannique et pourrait déboucher sur un contrôle.

L'Allemagne poursuit également de tels objectifs, par le biais de la mise en place d'un "Tax Compliance Management System". Ce cadre de gouvernance fiscale fait écho à la volonté du ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble, et fit l'objet de recommandations en relation avec la conformité fiscale de la part du comité des experts-comptables. L'idée sous-jacente est de vérifier au sein de l'entreprise si la prise en compte de la fiscalité est cohérente à un niveau global, ceci afin de permettre ou non d'écarter des présomptions de responsabilité pesant sur les représentants légaux.

Entreprises implantées en Espagne et en Italie

L'Espagne a également adopté, en 2015, des éléments de gouvernance fiscale, plus spécifiquement en matière de responsabilité au sein des sociétés cotées. La législation espagnole prévoit désormais que le conseil d'administration des sociétés cotées doit nécessairement définir la stratégie fiscale ainsi que la politique de contrôle et de gestion des risques, y compris fiscaux, de la société. De son côté, la commission des risques doit superviser l'efficacité du contrôle interne de la société et des systèmes de gestion des risques, y compris les risques fiscaux.

L'Italie a introduit récemment un régime de coopération volontaire globale, impliquant notamment l'instauration d'un cadre de gouvernance fiscale ainsi qu'une relation de transparence et de confiance avec l'administration fiscale italienne. Ce régime a toutefois une portée limitée, dans la mesure où il ne concerne que les très gros contribuables - résidents ou non-résidents - dont le chiffre d'affaires est supérieur à 10 milliards d'euros (1 milliard d'euros si les sociétés ont participé au programme pilote de 2013).

De la publication de la stratégie fiscale au Royaume-Uni à la responsabilité individuelle des organes exécutifs en Allemagne, en passant par l'obligation pour les organes exécutifs de définir la stratégie fiscale et la politique interne de gestion des risques fiscaux en Espagne, le cadre de gouvernance fiscale auquel est confrontée une entreprise multi­nationale est dorénavant une mosaïque complexe dont les composantes pourront être perçues soit comme des opportunités (car venant rajouter de la sécurité), soit comme des contraintes (car venant alourdir sa gestion opérationnelle quotidienne).

Nota bene Ajouter un bloc de gouvernance fiscale aux autres blocs de gouvernance en matière juridique et pénale, au moment où la loi Sapin 2 entre en vigueur (1er juin 2017), permettra à l'entreprise de bénéficier d'une grille de lecture stratégique et opérationnelle et de mieux gérer son risque fiscal, financier et réputationnel.

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Comment (et pourquoi) construire un cadre de gouvernance fiscale

Les entreprises se développant à l'international ont donc un double enjeu immédiat en matière de gouvernance fiscale. Le premier résulte du développement des réglementations au niveau international, qui nécessitent de veiller au respect par leurs filiales des contraintes posées par les différents cadres de gouvernance fiscale dans leurs pays d'implantation, et le second est de s'assurer d'une cohérence globale au niveau du groupe. Pour s'assurer d'une cohérence globale, et par la même occasion anticiper une évolution des règles au niveau français, les entreprises françaises devraient donc, à notre avis, s'interroger sur la situation actuelle leur propre cadre de gouvernance fiscale interne.

En effet, s'il n'existe pas encore de cadre de gouvernance fiscale en droit français, il y a de fortes chances pour que des éléments de gouvernance fiscale soient introduits dans notre droit à court ou moyen terme. Les entreprises doivent donc anticiper et engager une réflexion sur leur stratégie fiscale et les aspects organisation et procédures fiscales internes, avec pour objectif de pouvoir à terme les formaliser.

Pour ce faire, il est possible de s'inspirer du cadre mis en place par l'OCDE et des obligations existant dans les différents États. En particulier des préconisations organisationnelles aux termes desquelles il convient par exemple d'attribuer formellement des rôles clairs au sein de l'entreprise dans la gestion des aspects fiscaux. S'agissant de l'aspect processuel, l'entreprise doit pouvoir démontrer que l'ensemble des processus relatifs aux politiques fiscales, aux règles et aux procédures sont documentés (appréciation type SOX), que ce soit pour les opérations quotidiennes ou exceptionnelles. Cette formalisation de l'existant permettra, sans générer de contraintes ou de coûts excessifs:

  • de sécuriser les procédures existantes;
  • de détecter d'éventuelles faiblesses - et d'y remédier dans un cadre déjà existant;
  • d'anticiper à leur rythme les contraintes futures, et
  • de capitaliser sur les obligations mises à la charge de leurs filiales étrangères.

Les auteurs


Nathalie Cordier Deltour, avocat associé, François Warcollier, juriste, et Charlotte Delsol, avocat

Composé de plus de 400 avocats et juristes, le département droit fiscal de Fidal conseille les entreprises et organismes de toutes tailles et leurs dirigeants, des groupes internationaux aux entreprises du middle market, afin de répondre à l'ensemble de leurs problématiques fiscales, notamment celles liées à la gestion et stratégie fiscale des entreprises, la fiscalité internationale, les prix de transfert, les TVA et taxes indirectes, la fiscalité du patrimoine et l'accompagnement du dirigeant, l'évaluation d'entreprises et expertise, la fiscalité immobilière, la fiscalité de la recherche et de l'innovation, la fiscalité locale, l'assistance en matière de contrôle et de contentieux, les droits de douane.



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