CSRD : quid du retour sur investissement ?
La directive CSRD impose un cadre exigeant aux entreprises européennes. Face aux investissements humains et financiers qu'elle implique, la question du retour sur investissement, notamment en matière d'accès au financement, reste ouverte.

La directive CSRD mobilise des ressources humaines et financières considérables dans les entreprises. Pensée comme un levier vertueux pour renforcer la transparence et la performance RSE, cette réglementation vise à mieux outiller les parties prenantes, notamment les investisseurs, dans leurs décisions. Mais quel est réellement le retour sur investissement ? « Il y a cinq ans, nous avons constaté une évolution marquante dans les attentes des investisseurs : les questions sur les performances extra-financières devenaient de plus en plus fréquentes et pressantes lors des roadshows financiers », se rappelle Laurent Morel, associé chez PwC France et Maghreb. De même, le monde bancaire semble également enclin à favoriser les entreprises perçues comme vertueuses sur le plan ESG. « Certaines banques réfléchissent à accorder des conditions préférentielles - comme des taux bonifiés - aux entreprises titulaires d'un label ESG », explique Philippe Vachet, directeur général de l'Agence Lucie, une agence de labellisation RSE.
Un désintérêt des investisseurs ?
Néanmoins, plusieurs directeurs financiers expriment un certain scepticisme quant à l'impact direct de la CSRD sur la valorisation boursière ou le coût du capital. Ils regrettent que, malgré les efforts fournis en matière de reporting extra-financier et de conformité réglementaire, les marchés n'intègrent pas encore ces éléments de manière significative dans la valorisation des entreprises. Certains soulignent aussi l'absence de "green premium". Les entreprises les plus avancées sur les sujets ESG ne semblent pas bénéficier d'un traitement plus favorable de la part des investisseurs sur le court terme. Un exemple marquant : l'année dernière, le fonds de gestion d'actifs BlackRock a annoncé une réduction de son soutien aux propositions d'actionnaires liées aux enjeux environnementaux et sociaux. Avant ce revirement, Larry Fink, p-dg de BlackRock, était connu pour encourager fortement les entreprises à intégrer les critères ESG au coeur de leur stratégie. Le désengagement de ce fonds reflète une tendance plus large parmi les grandes sociétés d'investissement, qui prennent progressivement leurs distances avec les critères ESG.
Assurer la pérennité de l'entreprise
« Je suis assez d'accord sur le fait que les investisseurs ne valorisent pas suffisamment les efforts ESG des entreprises. Cependant, il est important de pas raisonner uniquement à court terme. Les entreprises qui ne font pas évoluer leur modèle économique dès maintenant risquent de ne plus pouvoir se financer à l'avenir », met en garde Laurent Morel. La conformité à la CSRD est donc vue comme une condition d'accès durable au marché, plus qu'un levier immédiat de valorisation. « Sur le fond, le retour sur investissement viendra à travers une meilleure résilience des entreprises dans le temps », confirme Philippe Vachet.
Mieux standardiser les critères ESG
Ce dernier pointe cependant une limite : l'absence de référentiel d'évaluation commun. « Dans le monde bancaire, il n'existe pas encore de critères ESG standardisés. Cela fonctionne mieux dans un contexte local, avec des banquiers qui connaissent bien les entreprises », indique-t-il. Dans le cadre d'investissements plus globaux, l'approche est plus complexe : les investisseurs ont besoin de ratios, de données mesurables, et souhaitent comprendre l'intérêt réel de la démarche, ainsi que les risques anticipés. « Pour aller plus loin, il est également important de mieux valoriser les démarches volontaires des entreprises, telles que l'obtention de labels RSE. Ces initiatives, bien qu'elles ne soient pas toujours obligatoires, traduisent un engagement réel et doivent être reconnues à leur juste valeur », estime Philippe Vachet. L'impact du reporting extra-financier sur l'accès au financement dépend aussi du secteur d'activité et du modèle économique. « Dans le BtoC, l'image, la réputation et la communication ESG jouent un rôle central », note Laurent Morel. Dans le BtoB, les chaînes de valeur sont plus longues, les interactions avec les clients finaux sont indirectes, et la pression extérieure est souvent moins immédiate. L'intérêt stratégique du reporting extra-financier doit donc être évalué de manière plus ciblée. Si la CSRD ne garantit pas un retour sur investissement immédiat, elle pose les bases d'une transformation plus durable. Un enjeu stratégique pour rester dans la course.
Où en sont les entreprises ?
Dans le cadre de la CSRD, la première étape a consisté à mettre en oeuvre l'analyse de double matérialité. « Cet exercice a plutôt été bien accueilli par les groupes, notamment ceux ayant déjà une maturité sur les enjeux ESG en France. Les DAF ont été pleinement impliqués dans la démarche », constate Laurent Morel. La seconde phase, plus complexe, concerne la mise en oeuvre opérationnelle de la directive et la préparation au reporting. « Cela nécessite beaucoup de travail en interne, avec une remise à plat de la qualité des données, une réflexion sur les responsabilités internes, et une mobilisation importante des équipes », relate Laurent Morel. Un des risques est de s'enliser dans un exercice long, complexe et potentiellement décourageant. « Néanmoins, les grands groupes ont dans l'ensemble réussi à franchir cette étape, grâce à un fort investissement et une mobilisation interne importante. Pour les ETI (en vague 2), l'effort sera à adapter correctement par rapport à leurs enjeux et leurs moyens », observe l'associé de PwC France et Maghreb. A noter que fin avril, le Parlement européen et le Conseil de l'UE ont décidé de repousser l'entrée en vigueur de cette directive de deux ans. Initialement prévue pour 2026, son application est désormais reportée à 2028 pour les grandes entreprises. Pour les PME cotées, la mise en oeuvre interviendra en 2029, au lieu de 2027 comme prévu à l'origine.
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