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Pouvoir de modulation de la pénalité fiscale par le juge de l'impôt

La Cour de cassation réaffirme la possibilité pour le juge judiciaire de moduler le taux de la pénalité fiscale édictée par l'administration fiscale au regard du comportement du contribuable. Quels enjeux pour les Daf ? Tribune exclusive de Guillaume Massé, avocat associé et Vincent Pantaloni, avocat, chez Alverny Avocats.

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Pouvoir de modulation de la pénalité fiscale par le juge de l'impôt
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L'arrêt du 12 février 2025 de la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle, au visa de l'article 6 de la CESDH (Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et libertés fondamentales), que le juge judiciaire doit vérifier la proportionnalité de la pénalité fiscale au regard du comportement du contribuable.

En l'espèce, l'administration fiscale refusait le bénéfice du régime de faveur de l'article 1115 du CGI (exonération des droits de mutation) à l'égard d'une société et écartait, sur le terrain de l'abus de droit, la revente d'un immeuble en appliquant la majoration de 80%.

En défense, le pourvoi de la société soutenait que la cour d'appel avait violé les dispositions de l'article 6 de la CESDH relatives au droit à un procès équitable, car elle se bornait à affirmer que la sanction fiscale de 80% (pour abus de droit) était proportionnée, mais sans appréciation concrète des agissements du contribuable.

La Cour de cassation casse, sur ce moyen, l'arrêt d'appel en rappelant que le juge judiciaire « doit vérifier que la pénalité fiscale est proportionnée au comportement du contribuable dans les circonstances de l'espèce ». Au-delà de cette confirmation jurisprudentielle, c'est le pouvoir de modulation de la sanction fiscale par le juge de l'impôt qui mérite, au travers de cet arrêt, d'être analysé.

Nature juridique de la pénalité fiscale

Le Conseil constitutionnel a, plusieurs fois, affirmé qu'une pénalité fiscale revêt « le caractère d'une punition » impliquant le respect des principes fondamentaux du droit répressif.

Parmi ces libertés fondamentales, figure l'article 6 de la CESDH relatif au droit à un procès équitable, au terme duquel, tant le Conseil d'Etat que la Cour de cassation reconnaissent son applicabilité à l'égard des sanctions fiscales édictées par l'administration.

Selon la CEDH, le droit à un procès équitable vise à garantir, lorsqu'une sanction relevant de la matière pénale est prononcée par une autorité administrative, qu'un tribunal puisse procéder à un contrôle de pleine juridiction de la régularité de cette décision, ce qui implique d'apprécier, en fait et en droit, le bien-fondé d'une sanction dans un cadre légal donné.

Toutefois, le débat sur la portée du droit à un procès équitable à progressivement glissé d'un contrôle de pleine juridiction vers celui d'une individualisation au cas par cas de la peine et vers celui de la capacité du juge à proportionner, lui-même, selon ses propres critères, le niveau de la sanction.

Or, sur la question du pouvoir de modulation du juge, c'est-à-dire celle de savoir si l'article 6 de la CESDH autorise, ou non, le juge de l'impôt à moduler le taux de la sanction prévue par la loi pour tenir compte de la gravité de la faute, les deux ordres juridictionnels concernés traitent, paradoxalement, cette question de manière différente.

Pouvoir de modulation de la pénalité fiscale par le juge de l'impôt

Le juge administratif a toujours considéré que l'article 6 de la CESDH ne permet pas de moduler une pénalité fiscale dès lors que la loi ne lui conférait pas un tel pouvoir. En effet, selon le Conseil d'Etat, si le droit à un procès équitable lui impose bien un contrôle « entier » des motifs de la sanction, l'article 6 de la CESDH ne va pas jusqu'à lui permettre d'écarter les taux de pénalité prévus par la loi.

Concrètement, le juge administratif estime que le contrôle de pleine juridiction est garanti par un contrôle, en fait et en droit, sur la qualification du comportement du contribuable retenue par l'administration fiscale (manquement délibéré, manoeuvre frauduleuse...) le conduisant soit à maintenir le taux, soit à substituer un taux inférieur / supérieur pour autant que la loi le prévoie.

Cette approche « conservatrice » du Conseil d'Etat a été validée par la CEDH qui considère que l'absence de pouvoir de modulation ne viole pas l'article 6 de la CESDH dès lors que la loi elle-même proportionne l'amende fixée en pourcentage des droits éludés, à la gravité du comportement du contribuable et que le taux de cette amende n'apparaît pas disproportionné.

A l'inverse, la Cour de cassation opte pour une approche « constructive » de l'article 6 de la CESDH en considérant que le droit à un procès équitable implique que le tribunal se prononce sur le principe et le montant de l'amende qui a été infligée au contribuable, même lorsque la loi elle-même a prévu une échelle de sanctions.

A l'instar de la décision du 12 février 2025, la Cour de cassation interprète les dispositions de la CESDH comme lui permettant d'écarter les taux prévus par la loi, afin, le cas échéant, de substituer à la pénalité administrative une pénalité dont le montant lui semblerait davantage proportionné à l'infraction. Ici, c'est en ces mêmes termes que la Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel pour défaut de base légale en rappelant que les juges du fond n'avaient pas apprécié « concrètement la proportionnalité de la pénalité aux circonstances de l'espèce ».

Au travers de cette nouvelle décision, le juge judiciaire, compétent en matière de succession, droits d'enregistrement ou encore d'impôt sur la fortune immobilière (IFI), confirme son approche audacieuse de l'article 6 de la CESDH sur la question de la modulation des taux de sanctions.

Au final, si l'on peut se féliciter de la constance de cette approche préservant de prime abord les droits des contribuables, on regrettera l'absence de lignes directrices communes entre les deux ordres juridictionnels, chaque juridiction forgeant, en la matière, sa propre analyse, ce qui ne va pas dans le sens d'un traitement égal du contribuable selon les impôts concernés.

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