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L'IP Box ou l'attraction de la fiscalité de la propriété intellectuelle

Les voix de l'OCDE sont impénétrables...Après un demi siècle de statu quo, la loi de finances 2018-1317 du 28 décembre 2018 pour 2019 a complètement modifié le régime fiscal antérieur, entrainant de facto une véritable cataclysme dans le paysage de la propriété intellectuelle.

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L'IP Box ou l'attraction de la fiscalité de la propriété intellectuelle
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La réforme d'ampleur du régime fiscal de la propriété intellectuelle française pour mettre notre droit interne en conformité avec le droit de l'Union européenne et les principes établis par l'OCDE a indiscutablement marqué la fin d'une ère. Fort de ce constat, il est apparu indispensable pour les groupes détenant, gérant ou développant de la propriété intellectuelle d'intégrer les nouvelles règles tant pour sécuriser le business model existant que pour saisir de nouvelles opportunités pouvant se révéler très attractives.

L'immatériel devient incontournable dans la gestion juridico fiscale des groupes

Déjà le poids de l'immatériel et en particulier des actifs immatériels relevant de la propriété intellectuelle dans la valeur des entreprises a cru, en l'espace de 42 ans, de façon exponentielle passant de 17% en 1975 pour atteindre 84% en 2017 (Profil financier du CAC40 12ème Edition).

La transposition en droit interne de la nouvelle législation du " lien " a parachevé cette évolution prenant l'effet d'une révolution dans l'écosystème de la propriété intellectuelle : désormais, le taux effectif d'imposition des produits de cession et de licence de certains actifs éligibles (brevets, logiciels protégés par un droit d'auteur, certificat d'utilité végétale, procédés de fabrication adossés à un brevet etc.) de 10% sera directement conditionné par les dépenses de recherches et développement et en particulier, par le lieu de leur réalisation (France ou étranger) et la qualité de la société les ayant réalisées (société tierce ou liée). Cette nouvelle approche dite " Nexus " impulsée par l'action 5 du programme BEPS (Base Erosion & Profit Shifting) de l'OCDE a remis la propriété intellectuelle au centre de l'échiquier.

Loin d'être acculés à des changements radicaux et défavorables, les groupes au contraire bénéficient du choix des armes dès lors qu'il s'agit pour l'essentiel de régimes optionnels (CIR, Nexus) avec à la clef des économies fiscales considérables.

Seule une approche 360° permet d'ajuster, de piloter stratégiquement sa politique en matière d'IP.

L'apport d'une expertise croisée s'avèrera pertinente que ce soit pour valider le business model existant ou pour statuer sur les opérations de croissance externe : ai-je intérêt à acquérir la cible ou seulement une famille d'actifs qu'elle abrite ou encore seulement un actif isolé ? La réponse à cette question dépendra de la combinaison subtile de règles autonomes parfois en interaction avec à la clef des arbitrages déterminants quant à l'efficacité et à la viabilité du business model retenu.

Déductibilité des redevances : attention aux mirages

Une attention particulière doit cependant être portée quant à la déductibilité intégrale des redevances payées par le licencié français au concédant étranger.

En effet, la loi de finances pour 2019, outre procéder à la transposition en droit français de l'approche Nexus, a porté un sérieux coup de frein à la déductibilité des redevances versées par les sociétés françaises aux entités liées situées hors de France et de l'Espace Economique Européen (EEE) dans un Etat jugé " dommageable fiscalement par l'OCDE " selon l'expression consacrée par l'OCDE, entendez non " Nexus compliant " dès lors que les redevances versées y sont imposées à un taux effectif inférieur à 25%.

L'OCDE ayant fixé la date butoir pour se mettre en conformité avec le régime Nexus au 30 juin 2021, la nouvelle règle codifiée à l'article 39-12 Ter du Code Général des Impôts limitant la déductibilité des redevances payées depuis la France à un Etat qui n'a pas transposé l'approche Nexus pourrait donc susciter rapidement des problématiques significatives de remise en cause de la pleine déductibilité des redevances. A titre d'exemple, les Etats-Unis ont pour l'heure un régime jugé dommageable fiscalement ce qui pourrait complexifier les flux franco-américains à horizon été 2021. La note pourrait s'avérer salée puisque la déductibilité remise en cause correspond à un pourcentage des redevances versées égal au produit desdites redevances par le rapport entre (i) la différence entre le taux plancher de référence de 25% et le taux d'imposition effectif local (ii) sur le taux plancher de référence de 25%.

La propriété intellectuelle au service de la trésorerie

A l'heure de la pandémie où les besoins en trésorerie s'avèrent plus que jamais importants voire vitaux, où le spectre d'une faillite plane, là encore la propriété intellectuelle va se révéler être un allié précieux permettant par exemple par le biais de la monétisation de certains actifs (concessions, sous-concessions, voire désinvestissements) de régénérer une trésorerie exsangue, de faire entrer des liquidités ou de se désendetter.

La concession d'actifs incorporels représente en elle-même intrinsèquement une forme de monétisation desdits actifs puisqu'elle permet pour le concédant s'il est français de percevoir des revenus (certes fiscalisés mais pouvant bénéficier potentiellement d'une fiscalité avantageuse - approche Nexus applicable aux actifs éligibles) et pour le licencié également national de déduire les redevances payées réduisant mécaniquement la base d'imposition soumise au taux de droit commun.

La propriété Intellectuelle à l'épreuve du Covid

Dans le contexte de la pandémie, nombre de groupes risquent malheureusement d'être confrontés voire acculés à des procédures de faillite.

En cas de procédure de redressement judiciaire pouvant conduire à la liquidation, les enjeux de la propriété intellectuelle prendront là encore une ampleur considérable. Il s'agira de pouvoir procéder valablement à la déclaration de tous les intangibles lors de l'ouverture de la procédure collective. La question de la valorisation des créances attenantes à certains actifs à faire valoir à l'ouverture de la procédure judiciaire de même que celle de la valorisation des actifs sous-jacents eux-mêmes sera déterminante notamment pour calculer l'assiette fiscale des sorties d'actifs et les coûts fiscaux liés. Les garanties telles que les nantissements de marque devront être purgées. La question de la conservation /succession dans les droits d'auteur devra être tranchée.

Enfin, fort est de constater que les arbitrages et choix retenus rayonneront bien au-delà de la sphère fiscalo-juridique pouvant avoir des implications économiques, sociales (influence sur le quantum de participation des salariés, par exemple).

Autant de raisons pour sérieusement revoir sa " flotte " de propriété intellectuelle afin de valider la conformité du business model existant au corps de nouvelles règles et procéder, dans le cas contraire, aux ajustements nécessaires mais aussi afin de saisir les nouvelles opportunités qu'offre le nouveau régime.

Pour en savoir plus

Pascale Farey Da Rin est directrice de mission au sein de l'équipe fiscalité impôts directs chez Fidal. Au cours de ces dernières années, Pascale a plus particulièrement travaillé sur la fiscalité des fonds et sur des problématiques de fiscalité financière. Elle a en outre développé une expertise complète en matière de fiscalité de la propriété intellectuelle proposant une approche juridico fiscale stratégique de concert avec les pratiques CIR, prix de transfert et M&A.

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