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[DOSSIER] Fournisseurs : attention, risques !

[DOSSIER] Fournisseurs : attention, risques !

Sommaire :

1. Les multiples visages des risques fournisseurs

2. Orange se dote d'une entité dédiée à la surveillance du risque fournisseurs

3. Gestion du risque fournisseur : accepter de faire autrement

1. Les multiples visages des risques fournisseurs

Si la crise sanitaire que nous avons vécu, a mis en exergue le risque d'approvisionnement, étant données les pénuries que nous avons pu connaître, il ne s'agit pas là du seul risque fournisseur existant. Cyber, qualité, financier ou encore RSE... les risques fournisseurs sont multiples et il s'agit de bien les identifier avant d'agir.

La crise sanitaire, et notamment le premier confinement ont fait émerger la question des risques fournisseurs. Et plus particulièrement un risque fournisseur : celui du défaut d'approvisionnement. En effet, avec la mise en place d'un confinement international, de nombreuses usines ont fermé, les transporteurs ont réduit leurs livraisons, des frontières, aussi, ont été bouclées... Si bien que certains produits n'ont pas pu être acheminés jusqu'aux entreprises clientes qui n'ont pas pu, de leur côté, livrer leurs clients. Parallèlement, certains produits comme les masques, le gel hydro-alcoolique, le paracétamol mais aussi la farine, les pâtes ou le papier toilette ont connu une forte hausse de la demande, ce qui a créé, là aussi, des pénuries.

Mais si la situation a pénalisé de nombreuses entreprises, elle a également permis de mettre en avant l'importance des risques fournisseurs, souvent mis de côté par les dirigeants. « Avec la crise, on a assisté à une accélération de la prise de conscience sur le fait que la supply chain est à la fois un facteur de valeur et un facteur de risque », note Louis-David Magnien, regional managing director chez Kroll. Il faut désormais transformer cette prise de conscience en action.

Douze risques différents liés à la supply-chain

Pour pouvoir agir, encore faut-il bien identifier les risques fournisseurs. Or, ils sont mal pris en compte au sein des entreprises. « Les entreprises sont conscientes des risques fournisseurs mais ont toujours le réflexe de penser qu'ils sont sous contrôle parce qu'elles connaissent bien leurs sous-traitants. Or, personne n'est à l'abri du défaut d'un fournisseur. Et si ce n'est pas un fournisseur de premier rang, le défaut d'un fournisseur de second rang pourra avoir des impacts très lourds sur la suply-chain », constate François Mirroir, directeur de l'information pour l'Europe de l'Ouest chez Coface. Pour Bertrand Dufour, associé RSM, « les entreprises ont tendance à se focaliser sur le risque client alors que le risque fournisseur peut causer des problématiques d'approvisionnement ou de litiges qui sont très dommageables ». Si la crise a justement permis de prendre conscience des problématiques d'approvisionnement, ce n'est pas le seul risque fournisseur qui existe. Au sein du cabinet de conseil Kroll, 12 risques différents liés à la supply chain ont été identifiés : ceux liés aux contrats, au cyber, à la protection des données, à la finance, au juridique, à la logistique, au droit du travail, à l'opérationnel, à la conformité, à la sécurité physique, au sourcing et au prix de transfert.

Louis-David Magnien pointe un autre risque à ne pas négliger : la contrefaçon. « Les fournisseurs peuvent faire partir les produits dans des réseaux parallèles et faire perdre des ventes. Il s'agit de remonter ces filières existantes pour les faire cesser », précise-t-il. Il parle aussi de la possibilité qu'un fournisseur fasse passer une information stratégique à un concurrent. « En listant ces nombreux risques, on se rend compte que ça ne peut pas être la même personne qui s'occupe de l'ensemble d'entre eux, ce ne sont pas les mêmes compétences », ajoute Louis-David Magnien qui conseille de garder l'ensemble de ses sujets à l'esprit quand on traite avec des tiers. « Il s'agit d'avoir une vision à 360 degrés, un peu comme lorsqu'on fait une due diligence dans le cadre d'une M&A. Le risque est de se retrouver dans des situations compliquées sans y être préparés ».

Cela est d'autant plus vrai que l'écosystème des sous-traitants des entreprises fait rapidement intervenir plusieurs milliers d'acteurs qui sont mal connus par les donneurs d'ordre. L'enquête 2020 de Deloitte auprès des directeurs achats a en effet mis en évidence que seule la moitié de ces derniers bénéficient d'une visibilité élevée ou très élevée sur les fournisseurs de niveau 1, et 90 % des entreprises estiment que leur visibilité sur les réseaux d'approvisionnement étendus est modérée à très faible. « Les entreprises ont une mauvaise visibilité sur leur supply chain, elles ont du mal à identifier à qui elles achètent précisément : dans quelles usines sont produites les pièces, qui sont les fournisseurs de leurs fournisseurs, etc. », remarque Laurent Giordani, associé fondateur de Kyu Associés. Or, comme tous ces sous-traitants agissent en interaction, un problème peut causer un effet domino : Laurent Giordani donne l'exemple de Recticel, qui fabrique des pièces pour l'industrie automobile, dont l'usine de Most (République tchèque) avait brûlé : les chaînes de production des constructeurs automobile européens se sont rapidement retrouvées à l'arrêt entraînant avec elles celles des équipementiers et de leurs sous-traitants... et près d'un milliard d'euros de pertes d'exploitation pour tout un secteur.

Renforcement des risques avec la crise

Cette prise en compte systématique des différents risques fournisseurs est d'autant plus importante que, avec la crise, de nombreux risques se sont renforcés. C'est le constat que fait Kyu Associés, qui a publié en novembre 2020 la seconde édition de son baromètre des risques de la supply chain (voir encadré ci-dessous). « Les risques sanitaires, économiques, financiers et réglementaires se sont renforcés par rapport à l'édition 2019 », précise Laurent Giordani. Nous avons en introduction parlé du risque d'approvisionnement qui a également augmenté au début de la crise sanitaire, induisant des pénuries.

Bertrand Dufour observe quant à lui un renforcement des risques cyber : « Avec le télétravail, les entreprises sont désorganisées, les gens sont moins présents... ce qui laisse une porte d'entrée aux fraudeurs. La relation client-fournisseurs, notamment, devient un canal privilégié de la fraude ». Et ce d'autant plus que la crise sanitaire a renforcé la digitalisation des entreprises qui échangent aujourd'hui plus de documents, d'informations avec leurs fournisseurs de manière dématérialisée... Autant de données que les hackers peuvent dérober si le système n'est pas assez sécurisé et réutiliser par la suite pour parfaire leur scénario de fraude.

Louis Chavanat, expert en credit management et directeur associé de LLBV Management, pointe également le risque de qualité, lié à des conditions de travail dégradées chez les fournisseurs : télétravail, confinements et couvre-feux, etc... « Les relations avec les prestataires de service, notamment, se sont détériorées. Il est par exemple difficile de les contacter et, par ailleurs, ils n'ont pas tous les documents, toutes les informations sous la main », constate-t-il. Il note aussi un risque accru que les prestations ne soient accomplies que partiellement par certains sous-traitants.

Attention aux défaillances et au risque RSE dans le futur

Et demain ? C'est le risque de défaillance qui inquiète le plus. « Si globalement, les supply chain ont pour le moment plutôt bien résisté à la crise, le pire est probablement à venir avec la multiplication annoncée des faillites d'entreprises. Jusqu'à présent, les secteurs qui ont été épargnés (grande distribution, industrie pharmaceutique...) ont su trouver les solutions pour éviter les ruptures quand ceux qui ont été durement touchés (automobile, aéronautique...) ont absorbé le choc « grâce » à la chute de la demande. Avec la fin des aides de l'État (PGE, report de charges fiscales et sociales...) qui ont maintenu artificiellement en vie bon nombre d'entreprises, je m'attends à des défaillances financières en cascade qui vont survenir au moment où la reprise nécessitera de disposer de capacités de production importantes », rapporte Laurent Giordani. Même constat du côté de Coface qui n'a pas observé de nouveaux risques sur les chaînes d'approvisionnement induits par la crise sanitaire mais qui prédit sur une hausse du taux de défaut des entreprises, aujourd'hui historiquement bas.

En effet, en 2020, nous avons assisté à une baisse des défaillances en France : près de 31 000 ont été répertoriées contre 50 000 en 2019. « La question est aujourd'hui de savoir si les entreprises sont en capacité d'appréhender la reprise économique. On sait que le développement de l'activité peut avoir un effet négatif sur la trésorerie car elle peut provoquer un gonflement du besoin en fonds de roulement, dont la mauvaise gestion est la 1ère cause de défaillance des entreprises en France. Dans un contexte de fortes tensions sur les prix, les fournisseurs vont devoir à la fois réinvestir pour se réapprovisionner en termes de stock et faire face au premier remboursement de leur PGE » analyse Alain Luminel, responsable du pôle analyse financière d'Ellisphere. Il va donc falloir suivre de près la santé financière de ses prestataires.

Le risque de défaillance lié à la crise sanitaire n'est pas le seul risque fournisseur à noircir l'horizon. Que penser des risques liés à la responsabilité sociale et environnementale (RSE) ? Pour Bernadette Bulacan, vice-présidente et lead global evangelist chez Icertis, si nous finirons bien par sortir de la crise, il ne faudra pas pour autant relâcher notre vigilance : « Des perturbations majeures au sein de la chaîne d'approvisionnement seront toujours présentes - qu'il s'agisse de catastrophes naturelles, de changements climatiques, sur le plan réglementaire ou de guerres commerciales entre les pays - et les entreprises doivent donc être prêtes à faire à réagir en conséquence ». Elle a notamment suivi de près la manière dont les valeurs sociales, la RSE et les initiatives ESG affectent la csupply-chain. « "L'approvisionnement ciblé" sera le nouveau risque auquel les entreprises devront faire face. Les consommateurs désireux de comprendre l'impact environnemental et social des biens et produits achetés sont en effet de plus en plus nombreux. Cela signifie que les professionnels de la chaîne d'approvisionnement et des achats ont besoin d'une meilleure visibilité et d'une plus grande transparence tout au long de leur cycle », juge-t-elle. Une visibilité essentielle pour gérer l'ensemble des risques fournisseurs.

Le "top ten" des risques fournisseurs

D'après les responsables achats, supply chain et risk managers interrogés par Kyu Associés pour établir son Baromètre des risques de la supply-chain, les principaux risques fournisseurs sont ceux liés à la crise économique, au manque de visibilité pour planifier les besoins, aux tensions sur les flux logistiques, à la qualité des produits achetés, aux évolutions réglementaires, à la crise sanitaire, à la multiplication des attaques cyber, aux difficultés de sourcing de certains produits, à la fragilité financière des entreprises et au manque de capacité pour soutenir la reprise

2. Orange se dote d'une entité dédiée à la surveillance du risque fournisseurs

Pour se prémunir des risques fournisseurs, pourquoi ne pas créer une entité dédiée à ce sujet ? C'est la décision qu'a pris la direction Global Procurement and Supply Chain d'Orange. Objectif : avoir une vision holistique des risques au niveau de la direction achats et de la supply chain : conformité, corruption, solidité financière, RSE, etc... « C'est un projet qui était déjà dans les cartons avant la pandémie, précise Christophe Marneffe, qui va prendre la direction de cette nouvelle entité. Construite à partir des compétences qui existent déjà au sein de l'entreprise, cette structure va leur permettre de mieux travailler ensemble ».

Deux niveaux d'analyse des risques

Cette meilleure collaboration va permettre en particulier de mieux alimenter la dimension « risques » de l'outil de sourcing d'Orange afin de fournir à tout acheteur qui lance un appel d'offre une vision des risques dans les domaines de la conformité, de la solidité financière - grâce aux bases de données de Bureau van Dijk - , de la RSE, de la sécurité SI, etc à travers un onglet spécifique. « Nous avons un système à deux étages avec un premier niveau d'analyse grâce à cet onglet puis un deuxième niveau, d'expertise cette fois. Le premier niveau d'analyse permet de traiter un volume important de fournisseurs. Nous avons des dizaines de milliers de fournisseurs référencés, il est donc important d'automatiser cette première étape qui offre un premier filtre. Mais s'il convient de faire une analyse plus approfondie, on donne la main à des experts dans des équipes internes spécialisées, qui qualifient le risque et font des recommandations. On ne peut pas tout automatiser », décrit Christophe Marneffe.

Avant même de se poser la question de l'outil ou des expertises, Christophe Marneffe tient à ce que la gestion du risque soit un sujet partagé au sein de l'entreprise. "Les acheteurs doivent être partie prenante de ce sujet", explique-t-il. C'est en effet le partage de l'information qui permet de couvrir le maximum de risques.

Utiliser les signaux faibles

Christophe Marneffe met cependant en garde contre l'abondance d'informations. « L'exhaustivité de l'information et sa mise à jour régulière sont clé. Mais il ne faut pas se perdre dans l'information et réussir à vraiment utiliser les signaux faibles. C'est encore un axe de progrès dans tout dispositif d'information » explique-t-il. L'utilisation des signaux faibles est en effet clé en cette période d'incertitude, et face à des risques fournisseurs qui évoluent. « La crise sanitaire n'a pas créé de nouveaux risques mais a matérialisé des risques qui étaient présents sur la cartographie des risques. Par ailleurs, des risques se sont trouvés augmentés ; le risque de défaillance financière par exemple pourrait s'accroître, voire celui de défaillance en chaîne », analyse Christophe Marneffe.

Le directeur de l'entité dédiée aux risques fournisseurs juge par ailleurs que certains risques resteront toujours difficilement maîtrisables ou quantifiables : « Par exemple le risque géopolitique peut augmenter. Par ailleurs, la situation évoluant, nous nous attendons à une consolidation d'acteurs dans certains domaines, ce qui augmenterait notre risque de dépendance vis à vis de certains fournisseurs », avance-t-il. Avec sa nouvelle entité dédiée aux risques fournisseurs, Orange espère bien anticiper ces nouvelles problématiques.

3. Gestion du risque fournisseur : accepter de faire autrement

Renforcement de certains risques, incertitudes face à l'avenir... La gestion des risques fournisseurs devient de plus en plus fondamentale. Surtout, elle doit évoluer pour s'adapter à la situation actuelle, devenir plus agile, plus exhaustive, également, et se faire en partenariat avec les autres services et surtout les fournisseurs eux-mêmes.

La crise remet en cause la façon de gérer les risques fournisseurs. En effet, certains risques sont apparus, ou sont en train d'émerger, et dont les donneurs d'ordre n'avaient pas conscience. Par ailleurs, beaucoup des outils utilisés jusqu'alors ont montré leurs limites, notamment pour surveiller la solidité financière des sous-traitants : quand tout évolue très rapidement, en rester aux publications semestrielles n'a plus aucun sens ! Il est donc temps de repenser sa gestion des risques fournisseurs, afin de mettre en place une surveillance à la fois plus fine et plus agile. Et de transformer la relation avec ses fournisseurs en véritable partenariat offrant des opportunités lucratives.

Élargir la surveillance du risque

Repenser sa gestion des risques fournisseurs c'est avant tout accepter de faire évoluer les outils utilisés. Concernant le risque de défaillance, par exemple, de nombreuses sociétés spécialisées dans l'information économique n'ont d'ailleurs pas hésité à revoir leur copie. A l'instar de Bureau van Dijk qui a fait évoluer ses bases de données pour s'adapter à la situation actuelle. « Nous avons augmenté les données analysées. Nous ne nous restreignons pas aux liasses qui ont souvent un an mais nous faisons appel à Moodys qui offre une vision à la fois géographique et par secteurs. Nous étudions aussi l'adverse média afin de faire émerger des signaux faibles et moins faibles », rapporte Georgy Sicaire, directeur commercial de Bureau van Dijk. Et lorsque les informations par ces biais sont trop minces, des renseignements sont cherchés directement auprès des fournisseurs. L'objectif est de mieux anticiper le risque de défaillance en écoutant des informations jusqu'alors ignorées. « Le challenge est d'avoir de l'information sur ses fournisseurs directs mais aussi les fournisseurs de ses fournisseurs », ajoute Georgy Sicaire.

Coface, également, s'est adapté à la situation et analyse au quotidien le risque de défaillances : son évaluation prend en compte les indicateurs financiers et extra financiers sur les entreprises, mais aussi des indicateurs macro-économiques (risque pays, risque sectoriel...). « Nous faisons appel à des fournisseurs qui nous donnent un jeu de données de base sur les entreprises. Nous les enrichissons grâce aux informations dont nous disposons de par notre métier d'assureur-crédit, notamment en termes de comportement de paiement. Puis des analystes crédit prennent contact avec les entreprises, mènent des interviews pour avoir une vision la plus proche possible de la réalité », décrit François Mirroir, directeur de l'information pour l'Europe de l'Ouest chez Coface. Être plus proche de la réalité des sous-traitants, c'est aujourd'hui l'objectif à atteindre pour vraiment surveiller les risques fournisseurs. Les entreprises en sont d'ailleurs bien conscientes : c'est à la demande de certains clients que Coface a développé un dashboard de gestion de risque fournisseurs lors du premier confinement.

Ellisphere a aussi créé un indicateur sectoriel, s'appuyant sur son référentiel qui lui permet d'apprécier les volumes d'affaires et un suivi des défaillances par activités. « Cet indicateur permet de catégoriser 3 niveaux de risques : « très risqués », « sensibles » et « nuls ». Il est primordial de rester agile et de pouvoir rapidement cibler les populations à risque pour réagir en amont de la défaillance », pense Alain Luminel. Pour lui, il est également essentiel de surveiller les délais de paiement, en suivant des indicateurs statiques (analyse de la variation des 3 marqueurs principaux « stocks », « clients » et « fournisseurs », au travers du poids qu'ils représentent dans le BFR) mais aussi dynamiques (captation des balances âgées clients et fournisseurs pour déterminer des profils de payeurs récents). « On peut supposer que les sociétés en mauvaise situation financière vont devoir s'appuyer sur le crédit inter-entreprises pour sauvegarder leur trésorerie », pointe-t-il.

Louis-David Magnien, regional managing director de Kroll, met en garde : « Il faut réussir à dépasser le seul cadre financier et comptable pour comprendre l'environnement de ses fournisseurs : un prestataire peut avoir de bonnes données financières et comptables mais, parallèlement, des sociétés soeurs ou filles ou mères peuvent être dans de moins bonnes conditions et finir par affaiblir la société saine avec laquelle vous traitez ». Il invite donc à adopter une approche globale afin d'identifier toutes les zones de risque. Son cabinet, Kroll, a développé un portail automatisé qui permet de faire une revue des risques de l'ensemble des fournisseurs à partir de bases de données mais aussi des réseaux sociaux, des médias... Et ce pas uniquement sur des problématiques de défaillance mais bien sur l'ensemble des risques. « L'objectif est de mettre en place un plan d'action dès que quelque chose est remonté », explique Louis-David Magnien, qui précise que ce n'est pas fait systématiquement mais soit de manière aléatoire soit de manière raisonnée en fonction du risque, le tout de manière automatisée. « L'objectif n'est pas d'éviter tous les risques mais d'en identifier au moins quelques-uns pour avoir une vision réelle de l'écosystème avec lequel on travaille ».

Il ne faudrait en effet pas crouler sous un nombre ingérable d'alertes. « Tout et n'importe quoi peut être mis sous alerte mais on peut se retrouver très vite submergés par l'information. Il faut donc mettre des niveaux d'alerte en fonction des fournisseurs. Pour les fournisseurs stratégiques on peut écouter jusqu'aux rumeurs ; mais pour les fournitures de bureau, par exemple, il y a quand même moins de risque pour l'entreprise », conseille Georgy Sicaire.

Autre bonne pratique : s'assurer que les données des fournisseurs ne sont pas stockées de manière disparate au sein de l'entreprise ou encore dans des tableurs mis à jour manuellement. « Les entreprises doivent se transformer pour créer des lacs de données profonds, travailler avec des technologies qui peuvent s'intégrer facilement les unes aux autres afin que la prise de décision basée sur les données puisse se faire sans douleur et, plus important encore, rapidement », souligne Bernadette Bulacan, vice-présidente et lead global evangelist chez Icertis. « Le sujet des risques fournisseurs concerne de multiples services au sein de entreprises. Il faut qu'une discussion inter-services, de la collaboration se mette en place sur ce sujet », complète Bertrand Dufour, associé RSM.



Sortir du zéro stock et du mono-sourcing

Reste aussi à savoir quoi faire de toutes ces informations recueillies. « Le challenge n'est pas de trouver l'information mais de l'analyser », souligne Georgy Sicaire. Il ne faut en effet pas arrêter la gestion des risques fournisseurs à la seule surveillance. Laurent Giordani, associé-fondateur Kyu Associés, a établi trois axes sur lesquels les entreprises doivent travailler vis-à-vis du risque fournisseurs : améliorer la visibilité sur la supply chain, c'est-à-dire à identifier l'ensemble des acteurs, leurs liens d'interdépendance et les impacts d'une défaillance ; adapter la politique industrielle pour être plus agile en cas de problème en disposant de solutions alternatives (multi-sourcing, make or buy, stocks...) ; renforcer le dispositif de continuité d'activité en le coordonnant avec l'ensemble de l'écosystème.

Les pénuries d'approvisionnement qui sont apparues avec la crise ont en effet poussé de nombreuses entreprises à repenser leur manière de faire. Notamment au niveau des stocks. Laurent Giordani incite en effet pour certaines activités à sortir du dogme « zéro stock ». « On a fini par oublier qu'au-delà d'immobiliser du capital, le stock servait à amortir les aléas de supply-chain de plus en plus complexes. Cette année, cela va être un enjeu majeur en particulier pour les activités saisonnières car le réassort en cours de saison va être très problématique du fait des tensions sur les flux logistiques internationaux. »



Est apparu également le sujet de la relocalisation, de s'approvisionner en France pour ne plus avoir à dépendre des pays d'Asie et notamment de la Chine. Dans les faits, cela est difficile à mettre en place, certaines compétences n'existant plus en France. Se pose aussi la question de la rentabilité, les coûts de production étant plus élevés en France. Mais des entreprises cherchent à s'approvisionner dans des pays plus proches de nos frontières, en Europe de l'Est par exemple. L'objectif est surtout de sortir du mono-sourcing, de ne plus avoir qu'un seul fournisseur pour certaines catégories d'achat. « Nous avons constaté un intérêt accru pour le double approvisionnement afin de réduire les risques et de faire intervenir des fournisseurs nouveaux et supplémentaires dans une zone géographique spécifique pour limiter les risques. En outre, même si elles sont généralement considérées comme trop coûteuses et prohibitives, de nombreuses entreprises se sont tournées vers des relations "on-shore" ou "near-shore" », rapporte Bernadette Bulacan. Les directions achats doivent montrer qu'on peut travailler différemment, faire des achats locaux mais aussi aller chercher des fournisseurs innovants dans la phase de sourcing. Juliette Guillemin-Dupille, experte achats responsables au sein du groupe Afnor, pense qu'il est en effet nécessaire d'élargir son portefeuille achats. "Aujourd'hui, avoir en back-up un ou deux fournisseurs qu'on fait travailler de temps en temps permet de sécuriser la chaîne d'approvisionnement", note Juliette Guillemin. Elle insiste cependant sur le fait qu'il ne faut pas laisser tomber ses anciens fournisseurs mais au contraire favoriser les relations long terme avec ses prestataires. « En cas de problème, le fournisseur servira en premier le client avec lequel il a noué une relation de confiance. »

Remettre l'humain au centre de la relation fournisseurs

Cette relation de confiance peut passer par la mise en place de solutions comme le paiement d'acomptes, le paiement par virement commercial mobilisable (VCOM), l'affacturage inversé, etc... « Il ne faut pas avoir peur de l'affacturage inversé qui est une solution qui existe depuis longtemps et qui fonctionne très bien. Si on a peu de fournisseurs en difficulté, le VCOM peut être activé, également sans risque. Au-delà de ces réponses techniques, les donneurs d'ordre peuvent de façon volontaire décider de payer des avances mais aussi de ne pas bloquer une facture entière si juste une partie est en litige », avance Louis Chavanat, expert en credit management et directeur associé de LLBV Management. Ce sont des questions sur lesquelles le Daf peut intervenir, même s'il n'est pas en charge des achats au sein de son entreprise. « Le Daf devra répondre à la question de payer les fournisseurs en avance ou non, de leur proposer un escompte », avance Bertrand Dufour. Cet engagement auprès des fournisseurs doit, selon Juliette Guillemin, dépasser ceux de rang 1.



Au-delà de la mise en place de ces solutions de soutien, Louis Chavanat invite à être proche de ses fournisseurs, notamment pour récupérer des informations directement auprès de ses partenaires : « Se satisfaire d'une commande par mail une fois par mois n'est plus suffisant. Il faut multiplier les relations humaines, par téléphone ou même via des visites physiques. Cela va permettre non seulement de renforcer la relation, la confiance mais aussi d'obtenir des informations sur la façon de travailler du prestataire, le nombre de gens au chômage partiel, l'état des stocks, l'état d'esprit du partenaire, ses projets, etc. L'idée est de remettre l'humain au centre de la relation fournisseurs. » Ces moments d'échange peuvent être le moment de poser la question sur la bonne gestion de la crise par ses fournisseurs : ont-ils réussi leur transition vers davantage de travail à distance ? combien de personnes sont au chômage partiel ou absentes pour cause de fragilité face au virus ? Pour Bertrand Dufour, il est important d'analyser l'ensemble des problématiques de défaillance organisationnelle : la distance, certes, mais aussi la livraison, les équipements informatique, etc. Une fois les problématiques identifiées, pourquoi ne pas proposer un accompagnement à son fournisseur, notamment sur la partie digitalisation ? Cela permettra de limiter les risques tout en renforçant la relation.

Même si nous avons parlé de l'importance des relations humaines, il est intéressant de déployer des outils pour pouvoir communiquer de manière plus fluide avec les fournisseurs, échanger des documents de manière dématérialisée. Cela rend la relation plus performante « Cela permet de plus d'avoir des données fournisseurs de meilleure qualité, plus pointues... ce qui permet non seulement de réduire les coûts de traitement mais aussi de gagner en visibilité, de faire des prévisions de trésorerie voire même d'aborder des questions de logistique, de marché... », énumère Bertrand Dufour. Pour bien gérer les risques, la relation fournisseur de demain devra être un mélange d'humain et de nouvelles technologies saupoudrée d'une dose d'agilité et de collaboration.

A retenir

- la crise a renforcé certains risques fournisseurs, notamment celui de défaut d'approvisionnement

- des incertitudes demeurent quant à l'issue de la crise : est-ce que nous devons nous attendre à des défaillances en cascade de certains fournisseurs ?

- face à cette nouvelle donne, il est nécessaire de faire évoluer sa gestion des risques fournisseurs : la surveillance des prestataires doit être élargie à de nouvelles sources de données, à de nouveaux risques et aux fournisseurs de rang 2 et 3

- c'est également l'occasion de revoir sa stratégie achat en matière de stocks et de sourcing notamment

- la gestion des risques fournisseurs doit également passer par une relation plus humaine avec ses fournisseurs

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