Julien Jollivet, un Daf expatrié au Québec à la recherche de profils bilingues !
Rencontre avec Julien Jollivet, Daf de l'entreprise MIGSO-PCUBED, filiale du groupe Alten, au Québec. Après avoir endossé plusieurs postes en direction financière aux quatre coins du globe, la rédaction a voulu en savoir plus sur les enjeux et spécificités d'un directeur financier en Amérique du Nord.

En charge de la direction financière et informatique du groupe MIGSO-PCUBED, filiale du groupe Alten, Julien Jollivet est le Daf de l'entité au Québec depuis un an. L'entreprise est spécialisée en PMO et Project Controls, et est présente dans 15 pays avec plus de 3 000 collaborateurs et 300M d'euros de CA en 2024. Français d'origine, le directeur financier a quitté la France il y a 18 ans pour travailler à l'international au sein de deux grandes entreprises françaises et ses filiales à l'étranger dans la construction, Bouygues et Vinci.
Comment avez-vous débuté votre carrière dans la construction et à l'étranger ?
Julien Jollivet : Je suis arrivé dans la construction après un premier stage chez Bouygues Construction, au service consolidation. Mon manager de l'époque m'avait informé que Bouygues avait des projets partout dans le monde. C'est ainsi que j'ai débuté une mission de contrôleur financier à Madagascar dans leur filiale. J'ai tout de suite adoré le pays, la fonction, et le groupe. Puis, je suis parti à l'île Maurice en tant que Daf adjoint, numéro deux de la fonction finance. Je suis parti ensuite en Afrique de l'Ouest, pour être Daf de la filiale du Burkina Faso. Pendant cette période, j'ai également eu des missions au Mali, en Côte d'Ivoire, au Bénin et au Togo.
Comment avez-vous évolué au sein des différents pays ?
J. J : J'ai occupé une fonction Finance au sens large. J'avais le titre de Daf, mais dans les faits j'étais plutôt « « secrétaire général ». En plus de la finance, mon périmètre couvrait les achats, l'IT et les ressources humaines. C'est souvent un poste très généraliste, c'est ce qui le rend challengeant.
Ensuite, je suis parti prendre la direction financière- avec les ressources humaines, l'informatique et les achats, de la filiale en Guyane. Je manageais une vingtaine de personne. C'est à ce moment-là que mon ancien manager de chez Bouygues à l'île Maurice m'a proposé de devenir directeur du contrôle financier pour Eurovia (filiale de Vinci Construction aujourd'hui) et de m'expatrier à Saskatchewan au Canada. J'ai pris en charge un périmètre de contrôleur de gestion, pour gérer un projet qui faisait plus d'un milliard de dollars canadiens à l'époque.
Qu'est ce qui est différent dans le métier de Daf au Canada ?
J. J. : La culture nord-américaine est très différente. J'ai dû switcher à un moment donné dans ma façon de faire. En Europe, et même en Afrique, ou dans l'Océan Indien, j'étais dirigé par une entité basée à Paris, donc la culture était très franco-française. On suit la réglementation, la conformité, les chiffres doivent aller dans la bonne case. En Amérique du Nord, le Daf raconte une histoire. Au-delà du reporting, il y a toute une narration autour des chiffres, et le plan d'action qui en découle. Je découvre ainsi que le directeur financier est un véritable business partner, bras droit du CEO.
Quelles sont les principaux enjeux ?
J. J. : Le métier est beaucoup plus stimulant. Et la réglementation est beaucoup plus simple qu'en Europe, notamment sur la RSE et l'ESG. Aujourd'hui, aucune société américaine n'est tenue légalement de divulguer des informations sur l'environnement et les politiques de recrutement. Les rapports annuels RSE ne sont pas du tout obligatoires. Cependant, on y vient car de grandes entreprises américaines sont détenues par des investisseurs européens et c'est de plus en plus considéré comme un argument de vente auprès des clients. Mais pour l'instant, que ce soient les États-Unis ou le Canada, ils n'ont pas légiféré dessus. On s'aperçoit qu'il y a des niveaux de maturité différents entre les groupes.
Où en êtes-vous dans votre entreprise concernant la RSE ?
J. J. : Je travaille dans une filiale du groupe Alten, un groupe français qui est coté en bourse, spécialiste du management de projets, en ingénierie. Nous avons des filiales à l'international, et nous sommes donc tenus par ce cadre légal européen. Mon périmètre à la direction financière a en charge la partie RSE, Finances et IT. La RSE est un effort collectif. Chaque département, y compris la finance, contribue à ces initiatives - qu'il s'agisse de réduire notre empreinte carbone, de favoriser la diversité ou d'améliorer le bien-être au travail. Nous en sommes aux prémices au Canada, mais la dynamique est déjà bien enclenchée.
L'IA s'invite de plus en plus dans les directions financières françaises. Et vous, quelles utilisations en faîtes-vous ?
J. J. : Il y a déjà beaucoup de choses qui ont été automatisées au fil des années et on ne parlait pas d'intelligence artificielle. À l'époque, Microsoft, avec Power Automate qui permet d'envoyer des courriels directement quand il y a des alertes, c'est déjà de l'intelligence artificielle. Quand on reçoit une facture dans SAP qui se comptabilise toute seule, on a déjà supprimé un tas de tâches considérées comme manuelles à l'époque. À mon avis, et de beaucoup de Daf au Québec, c'est un sujet dont tout le monde parle, mais dès qu'on veut le mettre en place, il n'y a pas de cas concrets. Aujourd'hui, tout ce qu'on fait est déjà très automatisé. C'est une évolution, mais pas une révolution. Le cas le plus concret serait ChatGPT, qui devient un assistant personnel pour des e-mails, pour des lectures de contrats, mais c'est tout. Aujourd'hui, la comptabilité en elle-même n'est pas impactée, ni les reporting.
Quel est LE grand sujet au Québec concernant les Daf ?
J. J. : Le vrai sujet est celui du recrutement de Daf bilingues. Nous manquons de profils financiers bilingues. Le Québec compte environ 9 millions d'habitants et 42 millions au Canada (chiffres 2024). Il y a beaucoup de grands groupes qui sont venus s'installer en Amérique du Nord, des entreprises européennes et asiatiques. Mais il n'y a pas assez de ressources humaines en finances.
On peut dire que vous êtes un véritable Daf globe-trotter, qu'est-ce cela vous a apporté d'exercé aux quatre coins du globe ?
J. J. : Une ouverture d'esprit qui s'est développée au fil des expériences. Personnellement, j'ai cette capacité à me challenger. Quand il y a des process à mettre en place, je suis capable de dire en Afrique, en Europe, on faisait de cette façon. C'est une richesse. J'apporte un peu de valeur ajoutée à mon poste et c'est ce qui le rend aussi passionnant.
Ce qui rend le métier de Daf challengeant en Amérique, c'est qu'il y a beaucoup de Daf qui deviennent CEO. Quand on est Daf, c'est vraiment l'étape d'après, être numéro un, aussi bien dans une petite ou grande structure.
Justement, comment vous voyez-vous dans quatre ou cinq ans ?
J. J. : Sans dire que j'ai fait le tour évidemment du métier de Daf, cela serait de devenir un opérationnel avec cette double casquette, le business et l'envers du décor, avec une vue à 360 sur le métier. C'est l'étape d'après.
Mais alors, qu'est-ce qui distingue concrètement un Daf d'un CEO d'après vous ?
J. J. : C'est une très bonne question. Je pense qu'il y aura, de toute façon, même si le Daf devient CEO, besoin d'un directeur financier. Je pense qu'on a besoin des deux postes. Il y a une passerelle entre le numéro 2 qui peut devenir le numéro 1. Cela se voit beaucoup en Amérique, du fait que le financier est dans le business au quotidien. Le CEO a besoin d'un bras droit sur qui s'appuyer. Le Daf joue également un rôle de contre-pouvoir. Il doit pourvoir dire au CEO que certaines propositions ou certains projets ne sont pas réalisables. Il y a une confiance qui est mutuelle, l'un va aider l'autre. Et c'est ainsi que les métiers deviennent intéressants, à mon sens.
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