Harcèlement : comment réagir face à une plainte
Invoquer un harcèlement, moral ou sexuel, est hélas devenu un fait banal. Or, l'inertie serait une caution "de fait" adressée au harceleur potentiel par le dirigeant. La qualité de réaction du Daf dépendra tout d'abord de sa capacité à bien identifier la situation. [Paru dans Daf Magazine n°9]
D'après l'article L. 1152-1 du Code du travail, "aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel". Bien qu'inséré dans le Code du travail depuis 2002, cet article continue d'étonner. D'abord parce qu'il ne définit pas ce qu'est le harcèlement moral.
[Zoom] La nouvelle définition du harcèlement sexuel dans le Code du travail
La loi du 6 août 2012, qui réintroduit dans le Code pénal le délit de harcèlement sexuel à la suite de la décision d'invalidation du Conseil constitutionnel du 4 mai dernier, modifie la définition du harcèlement sexuel figurant dans le Code du travail. L'article L. 1153-1 reprend ainsi la nouvelle définition du Code pénal : "Aucun salarié ne doit subir des faits :
1° - Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° - Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers."
Les peines encourues sont de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende (trois ans et 45 000 euros, en cas de circonstances aggravantes). Enfin, le texte élargit la protection contre la discrimination liée au harcèlement sexuel (ou moral) aux personnes en formation ou en stage et fait obligation à l'employeur d'afficher dans les lieux de travail, ainsi que dans les locaux où se fait l'embauche, le texte de l'article 222-33 du Code pénal.
L. n° 2012-954, 6 août 2012, JO 7 août.
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Le harcèlement moral, ou de la difficulté à distinguer le vrai du faux
La notion est essentiellement décrite par les conséquences qu'elle entraîne, mais n'est pas identifiée en elle-même. Il est évident qu'un harcèlement peut se traduire par une multitude d'actes différents, ce qui rend difficile toute approche globale. Pour autant, il demeure insatisfaisant qu'une notion aujourd'hui si souvent invoquée devant les tribunaux ne soit pas appréhendée par une définition claire, si large soit-elle.
Une seconde remarque permet d'identifier la spécificité de la notion de "harcèlement moral" en droit français : le harcèlement est constitué par des agissements répétés ayant "pour objet ou pour effet" une dégradation des conditions de travail. En d'autres termes : on peut être un harceleur sans le vouloir. La plupart du temps, le harceleur n'a d'ailleurs aucune conscience de l'être et estime agir dans l'intérêt de l'entreprise.
En synthèse, un harcèlement moral sera constitué dès lors que l'on constatera :
a) des agissements répétés du responsable hiérarchique, qui peuvent être de toute nature,
b) une dégradation des conditions de travail du salarié,
c) un rapport de causalité entre ces deux événements.
Le retour de congé de longue durée, une situation "à risque"
Il est assez fréquent que les situations de retour de congé sabbatique ou de congé maternité soient citées dans les affaires pour lesquelles les juges ont reconnu l'existence d'un harcèlement moral.
Une décision de la cour d'appel de Paris du 27 mars 2012, concernant un établissement bancaire, en donne un exemple caractéristique. À son retour de congé sabbatique, le salarié ne retrouve pas son poste, qui a été confié à quelqu'un d'autre. Il interroge l'employeur pour savoir s'il pourra disposer d'un poste équivalent. La direction des ressources humaines lui répond qu'il lui appartient de retrouver seul un autre poste dans l'entreprise. Le salarié restera sans affectation pendant neuf mois... avant de rompre son contrat de travail aux torts de son employeur. Sans surprise, la cour d'appel considère que le harcèlement est établi. D'où l'attention particulière à accorder aux situations de retour d'un congé de longue durée.
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Comprendre les éléments constitutifs du harcèlement
Les "agissements de harcèlement" visés par la loi peuvent prendre les formes les plus variées. Parmi les exemples que la jurisprudence cite le plus fréquemment : le fait de ne plus confier de travail à un salarié et de l'isoler, l'emploi d'un vocabulaire insultant, le fait d'imposer des objectifs irréalisables, l'absence de réponse aux demandes d'explications du salarié.
Cela étant, la loi ne reconnaît l'existence d'un harcèlement que si ces agissements sont "répétés". Pendant de nombreuses années, les entreprises ont demandé au juge de constater l'absence de harcèlement à raison du défaut de répétition des agissements reprochés par le salarié. La jurisprudence récente a souhaité cependant assouplir cette condition. Ainsi, un agissement sera considéré comme "répété" dès lors qu'il aura lieu deux fois, quelle que soit la durée séparant ces deux occurrences. Dès lors : si le salarié a subi deux "agissements" de son responsable, l'existence d'un harcèlement moral peut être retenue, que ces deux agissements aient eu lieu à une journée ou à un an d'intervalle.
Par ailleurs, la reconnaissance d'un harcèlement implique une "dégradation des conditions de travail du salarié". Dans la très grande majorité des cas, cette dégradation consiste en une détérioration de l'état de santé du salarié. Les décisions de justice en cette matière relèvent le plus souvent que le salarié harcelé fait l'objet d'un nombre important d'arrêts maladie. Cette dégradation de l'état de santé sera d'autant plus crédible qu'elle aura été constatée non seulement par le médecin traitant du salarié, mais également par le médecin du travail.
Enfin, la loi indique qu'il doit exister un lien entre les agissements reprochés à l'employeur et la dégradation de la situation du salarié. Dans la plupart des cas, ce lien se déduit de la concomitance entre les faits de harcèlement et la dégradation de la santé du salarié.
Le harcèlement sexuel issu de la loi du 6 août 2012
Le harcèlement sexuel a été redéfini par la loi du 6 août 2012. Aujourd'hui, le harcèlement sexuel recouvre deux types d'actes :
a) soit le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. On retrouve ici une "définition" très proche de celle utilisée par le législateur au sujet du harcèlement moral ; ainsi, le harcèlement sexuel, dans cette première acception, apparaît comme une déclinaison du harcèlement moral ;
b) soit toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers : dans ce cas de figure, le harcèlement sexuel est principalement conçu comme un "chantage" exercé par un salarié à l'égard d'un autre.
Pour aller plus loin, consultez la fiche juridique consacrée au harcèlement sexuel.
Comment l'entreprise doit-elle réagir ?
À l'égard du plaignant, le premier devoir du dirigeant est de "prendre au sérieux" les paroles du salarié. Cela ne signifie pas que le Daf doit considérer comme exactes toutes les indications qui lui sont données, mais qu'il ne doit pas agir dans la précipitation. C'est-à-dire qu'il devra vérifier autant qu'il le peut si les faits avancés par le salarié sont ou non avérés. Nombre d'entreprises y sont réticentes, pour des raisons évidentes : examiner les faits peut conduire à constater que "quelque chose ne va pas", et donc, le cas échéant, engager la responsabilité de l'entreprise. Mais les juges seront plus sévères avec l'entreprise "inerte" qu'avec celle qui aura loyalement examiné la plainte du salarié.
Penser à la médiation
Les actions à engager à l'égard de la victime dépendront du résultat des investigations. Il importe de noter que le salarié qui se plaint à tort de harcèlement ne peut pas être sanctionné, sauf à ce qu'il ait agi de mauvaise foi (ce qui sera difficile à démontrer). Dans un certain nombre de cas, une médiation, confiée le cas échéant à un médiateur agréé, peut permettre de trouver une solution (par exemple : la mise en place de nouvelles "règles de conduite" entre le responsable et son subordonné ou l'institution de réunions plus régulières ; la "bonne solution" dépend à chaque fois du problème donné). Parfois, une mutation du salarié plaignant à tort pourra s'avérer utile : dans ce cas, il est conseillé de déterminer avec le salarié lui-même les conditions de cette mutation, qui devra être concertée et ne pourra en aucun cas constituer une sanction.
À l'égard du harceleur désigné, l'entreprise devra agir avec prudence. Le Daf est en effet "écartelé" entre deux obligations qui peuvent s'avérer difficiles à concilie r: d'une part, protéger la santé du salarié victime en prenant les dispositions qui s'imposent - une éventuelle sanction à l'encontre du harceleur ; mais, d'autre part, il est tout aussi impératif de respecter les droits du harceleur désigné et de ne le sanctionner que si les faits reprochés sont avérés. Dans les faits, il s'agit d'un équilibre subtil.
Quelles actions engager ?
Deux cas de figure sont possibles. Dans un premier cas, les faits de harcèlement sont avérés : c'est l'hypothèse la plus simple. L'employeur devra appliquer la sanction qu'il estime proportionnée (mutation ou, dans la plupart des cas, licenciement) en respectant les règles disciplinaires.
Dans un second cas, un doute subsiste : c'est en pratique l'hypothèse la plus fréquente. En droit, le doute profite au salarié harceleur désigné, ce qui bloque toute possibilité de sanction à son égard. Pour autant, le fait de ne pas pouvoir sanctionner ne signifie pas que l'entreprise doit rester inactive : ici encore, l'hypothèse d'une mutation concertée peut s'avérer judicieuse (encore faudra-t-il que chacun l'accepte...). L'employeur aura également intérêt à s'interroger sur la question de savoir si le responsable hiérarchique pourrait bénéficier d'une formation, notamment en management, avec une sensibilisation renforcée aux risques psychosociaux.
En cas de harcèlement, la responsabilité de l'entreprise peut être engagée. Pour en savoir plus, consultez l'article Harcèlement : responsabilité accrue de l'employeur.
La saisie par les représentants du personnel ou l'inspection du travail
La plainte peut parvenir à l'employeur via les représentants du personnel, car les délégués du personnel, présents dans toute entreprise d'au moins dix salariés, ont notamment pour mission de constater "qu'il existe dans l'entreprise une atteinte injustifiée aux droits des personnes, à leur santé physique ou mentale, ou aux libertés individuelles" et d'en "saisir immédiatement l'employeur". Cela concerne évidemment les cas de harcèlement. L'employeur devra mettre en place une enquête interne dès qu'il sera saisi d'un cas par un délégué du personnel.
Par ailleurs, l'employeur pourra également être confronté à l'inspecteur du travail, qui peut être saisi soit par le salarié, soit par un délégué du personnel. Dans ce cas, le dirigeant devra apporter son concours à l'enquête qui sera menée par l'inspecteur et le tenir régulièrement informé de l'évolution de la situation.
Recourir à une enquête interne
Aucun manuel n'explique à l'employeur comment réaliser une enquête interne destinée à vérifier l'existence d'un harcèlement. L'expérience donne néanmoins quelques enseignements sur le sujet :
a) l'enquête doit être confiée à une personne "neutre" à l'égard du plaignant et du harceleur désigné, en tout état de cause à un salarié qui est étranger à leur milieu professionnel quotidien ;
b) toutes les personnes concernées doivent être entendues par "l'enquêteur" : le salarié plaignant, le harceleur désigné, mais également les témoins éventuels ;
c) dans l'idéal, les entretiens avec les personnes concernées doivent être formalisés par écrit, datés et signés par eux.
Attention, le harcèlement ne suppose pas nécessairement l'existence d'un pouvoir hiérarchique. Un chef de service peut en effet être victime des agissements d'un subordonné...
Les auteurs
Par Florence du Gardier & Pierre Safar, avocats au barreau de Paris, associés de Dupuy et associés.
Dupuy et associés est un cabinet spécialisé en droit social, actif tant en conseil qu'en contentieux. Proche des dirigeants d'entreprise, respecté des partenaires sociaux, Dupuy et associés, alternative de qualité aux grandes structures, s'attache à travailler dans la durée aussi bien avec des PME que des grandes entreprises ou des filiales de sociétés étrangères.
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