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DossierLa direction administrative et financière et l'organisation interne de l'entreprise

Délégués du personnel, CHSCT..., le Daf est souvent l'interlocuteur de ces IRP, essentielles dans la vie de l'entreprise. À ce titre il peut recevoir une délégation de pouvoirs, transfert bien souvent traité trop légèrement.

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La direction administrative et financière et l'organisation interne de l'entreprise

1 Élection des délégués du personnel : procédez étape par étape

Élus pour quatre ans (sauf accord de branche spécifique), les délégués du personnel (DP) sont les "porte-voix" des salariés. Ils ont pour mission de présenter les réclamations individuelles ou collectives à la direction et peuvent, dans les entreprises de moins de 200 salariés, représenter le personnel au comité d'entreprise (CE). On parle alors de "délégation unique" (DP et CE), accordée en une seule fois, lors de la même élection.

2 1. Affichez la date du scrutin

Le point de départ de l'élection est l'annonce du scrutin. Les dates, horaires et lieu doivent être affichés dans l'entreprise et le calendrier se base sur la fin du mandat des délégués en exercice (avec un premier tour dans la quinzaine précédant l'expiration). Si votre entreprise part de zéro, vous pouvez choisir la date librement. Le premier tour du scrutin doit avoir lieu quarante-cinq jours après l'affichage : " Mais attention : les entreprises qui ont franchi pour la première fois le seuil de 11 salariés, à compter du 17 juin 2013, disposent d'un délai de 90 jours, selon la loi du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi ", prévient Me Virginie Devos, avocate spécialiste en droit social, associée au cabinet parisien August & Debouzy. Simultanément à l'affichage, l'employeur doit inviter les syndicats présents dans l'entreprise à négocier le protocole électoral, ainsi que les autres syndicats existants, s'ils sont légalement organisés depuis au moins deux ans et si leur champ d'action géographique ou professionnel couvre celui de l'entreprise. L'invitation des syndicats représentatifs dans l'entreprise se fait par courrier, de même pour ceux adhérant à une organisation représentative au plan national, et, pour les autres, par affichage. Elle doit se faire au moins un mois avant l'expiration du mandat des représentants en place, s'il s'agit d'un renouvellement.

3 2. Convoquez une réunion protocolaire

La négociation du protocole électoral est un point-clé de l'élection des DP, car elle répond à une série de questions juridiques et pratiques concernant le scrutin. Quel est l'effectif à prendre en compte? Comment se répartissent les sièges entre les différents collèges de salariés (cadres, techniciens et employés)? Quels syndicats peuvent légitimement se présenter à l'élection? Qui composera le bureau de l'élection chargé d'en suivre le bon déroulement? La réunion protocolaire rassemble direction et syndicats. La validité du protocole est soumise (à quelques exceptions près) à une double majorité:celle des syndicats ayant participé à la réunion et celle des syndicats majoritaires dans l'entreprise. "Le protocole ne dure, en principe, que pour une élection donnée, mais, à défaut de dénonciation, il peut demeurer valable pour les élections suivantes", précise Sylvie Lagabrielle, spécialiste du droit social aux éditions juridiques Francis Lefebvre.

4 3. Informez le personnel

Une fois le protocole d'accord signé, il faut afficher un appel à candidatures et informer le personnel sur le dépôt des listes. Pour être éligible, un salarié doit être électeur, âgé de 18 ans révolus, travailler dans l'entreprise depuis un an au moins et ne pas être lié à l'employeur. Autrement dit, les membres de la famille de l'employeur ou ses associés ne peuvent être candidats. Quant à l'électeur, il doit être âgé de plus de 16 ans, travailler depuis trois mois au moins dans l'entreprise et ne pas être déchu de ses droits civiques. "Les salariés mis à disposition, par exemple les sous-traitants chargés du nettoyage, peuvent être électeurs s'ils ont travaillé pendant douze mois continus et éligibles s'ils ont été présents pendant vingt-quatre mois", ajoute Me Virginie Devos. L'élection des DP est un scrutin de liste, proportionnel à deux tours. Les listes sont établies par collège et leur date de dépôt est fixée par le protocole électoral.

5 4. Prévoyez la logistique

Adressez-vous à la mairie du lieu des élections pour récupérer le matériel électoral (urnes, isoloir, etc.) et mettez à jour les listes électorales (elles doivent être affichées quatre jours avant le scrutin). Il faut aussi ouvrir une boîte postale en cas de vote par correspondance. Au moins deux semaines avant le premier tour, envoyez les enveloppes de vote par correspondance aux salariés concernés: ceux absents le jour du scrutin, ceux qui ne travaillent pas dans l'établissement où se tient l'élection, ou ceux qui pratiquent le télétravail. "Le vote par correspondance obéit à un certain formalisme, il faut donc être très vigilant", prévient Me Virginie Devos. En particulier, il faut prévoir la signature de l'électeur sur l'enveloppe affranchie.

6 5- Organisez le scrutin

L'élection des délégués a donc lieu en deux tours dont le premier est réservé aux candidats syndiqués. Si aucun syndicat ne se présente, vous devrez dresser un procès-verbal de carence, l'envoyer sous quinze jours à la Direccte (direction régionale des entreprises) et en afficher une copie dans l'entreprise. Ce sera alors un premier tour "théorique", les salariés ne votant pas. Si tous les sièges n'ont pas été pourvus au premier tour ou si le quorum * n'est pas atteint, vous avez deux semaines pour organiser un second tour, ouvert, quant à lui, à tous les candidats. À l'issue du vote, le procès-verbal doit être signé par les membres du bureau et le dirigeant de l'entreprise, et envoyé à la Direccte. Affiché dans l'entreprise, le résultat pourra être contesté dans un délai maximal de quinze jours.

* Quorum = nombre minimal de suffrages valablement exprimés, en l'occurrence au moins égal à la moitié du nombre des électeurs inscrits. Il s'apprécie par collège électoral et par liste avec titulaires et suppléants. Pour en savoir plus: Code du travail, articles L2314-2 à L2314-4 et L2324-3 à L2324-5.

Obligatoire à partir de 11 salariés, l'élection des délégués du personnel est une échéance que l'employeur doit organiser avec soin. Procédez étape par étape en respectant les formalités pour ne pas risquer la nullité du scrutin.

7 [Témoignage] Sophie Dupuich, Daf à temps partagé : "Se renseigner auprès des syndicats patronaux"

Sophie Dupuich est Daf à temps partagé auprès de nombreuses PME et a notamment organisé, à deux reprises, l'élection des représentants du personnel d'un de ses clients éditeur de logiciels. " Il s'agit d'une PME de 70 salariés, nous avons donc opté pour une Délégation Unique ", explique la Daf, qui a mis un point d'honneur à informer et sensibiliser le personnel. " Outre l'affichage, nous avons envoyé des e-mails à tout le personnel, expliquant le rôle des représentants, ce qu'est une DU et le déroulement de l'élection. " Il y avait l'an dernier, trois postes à pourvoir... et le double de candidats, ce qui prouve que la communication a fonctionné. Le taux de participation a d'ailleurs atteint 70%, pour le collège unique.

Avec son regard de consultante, Sophie Dupuich estime que l'élection comporte beaucoup de formalisme et de lourdeurs et peut effrayer les PME. "Il ne faut pas hésiter à solliciter les syndicats patronaux lorsqu'ils proposent une hot line juridique sur ce sujet. En tant qu'adhérent du GIM - Groupement des Industries de la Métallurgie - mon client a pu se renseigner à deux ou trois reprises sur des points de formalisme, afin de bien respecter les modalités du vote et de ne pas risquer sa nullité. "

Daf à temps partagé, Sophie Dupuich a organisé à deux reprises des élections des représentants du personnel. Pour cette consultante, il est important, d'une part, d'informer les collaborateurs et, d'autre part, de ne pas hésiter à solliciter les syndicats patronaux sur des points juridiques.

8 Élection des DP : focus juridique

9 1. Gare au délit d'entrave

Si l'employeur n'organise pas les élections conformément à la loi, ou s'il empêche l'un des candidats de faire sa propagande électorale, il peut être pénalement tenu responsable de délit d'entrave. La personne morale peut être également poursuivie, de même que le Daf, si l'employeur lui a délégué ses pouvoirs pour l'organisation des élections. Le délit d'entrave est puni d'une amende et, potentiellement, d'une peine de prison.

10 2. Combien de délégués élire ?

Le Code du travail précise que le nombre de délégués dépend de l'effectif de l'entreprise. Par exemple, entre 75 et 99 salariés, vous élirez 3 titulaires et 3 suppléants. En cas de délégation unique, le nombre de représentants augmente. Il passe ainsi à 4 titulaires et 4 suppléants dans l'exemple cité.

Voir site Web du ministère du travail : www.travail-emploi-sante.gouv.fr

11 3. Ce que dit la loi : un peu plus de clarté sur les suffrages

La circulaire du ministère du Travail DGT n° 06, du 27 juillet 2011, précise, sous forme de questions-réponses, les règles applicables aux élections des représentants du personnel. L'objectif est d'éclaircir certains points relatifs à la comptabilisation des suffrages, à la validité des accords collectifs et aux conditions de désignation des représentants. Exemples :
- Que se passe-t-il lorsqu'un seul syndicat négocie et signe le protocole préélectoral alors même que l'employeur a préalablement satisfait à ses obligations de convocation?
La circulaire répond que la signature est valable même s'il n'y a qu'un négociateur.
- Comment interpréter la notion de majorité si deux syndicats (pour lesquels on ne dispose pas de suffrages exprimés) négocient et qu'un seul signe?
Selon la circulaire, le protocole n'est pas valable, car la condition de majorité n'est pas remplie.

Délit d'entrave, comptabilisation des suffrages, nombre de délégués à élire... Le point sur les questions juridiques.

12 Le CHSCT, un partenaire incontournable

Le rôle du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail CHSCT est de contribuer à la protection de la santé physique et mentale et à la sécurité des travailleurs de l'établissement. Il participe à l'amélioration des conditions de travail et veille au respect des prescriptions légales de son domaine de compétence. " Le réflexe de s'appuyer sur les instances représentatives du personnel n'est pas encore naturel pour un Daf. Pourtant, le CHSCT constitue un interlocuteur précieux, avec lequel les relations sont bien plus aisées qu'avec le comité d'entreprise ", résume Xavier de Saint Marc, associé de DSM Gestion et Daf à temps partagé.

" Nous n'avons pas de contacts avec la direction financière, car nos interlocuteurs directs sont le président ou le service des relations humaines ", confirme ­Bertrand Belly, membre du CHSCT depuis cinq ans au sein du cabinet d'expertise comptable Strego (900 collaborateurs).

Rappelons que le CHSCT n'a aucun pouvoir décisionnel et que c'est à la direction de déterminer sa politique de santé et sécurité (Code du travail, art. L. 230-2).

13 Le CHSCT doit être impliqué dans la ­gestion des risques

Le Daf peut s'appuyer sur ce comité afin de mettre en place une politique de prévention des risques au sein de l'entreprise. En effet, ce dernier est chargé d'analyser les conditions de travail et les risques professionnels auxquels peuvent être confrontés les travailleurs de l'établissement, leur exposition à des facteurs de pénibilité. Plus généralement, son rôle consiste à promouvoir la prévention des risques professionnels et à formuler des propositions d'amélioration. " Dans mon entreprise, le CHSCT a longtemps été cantonné à des questions matérielles, tels l'entretien et le nettoyage des locaux, témoigne Béatrice B., une élue du CHSCT d'une entreprise parisienne de plus de 300?salariés. Le fait que nous nous emparions d'un sujet tel que l'analyse des facteurs de stress et de risques psychologiques dans un service de 20 personnes, au sein duquel les conditions de travail s'étaient fortement détériorées, a plutôt surpris. "

Pour Maître Géraud Salabelle, avocat Vaughan et associés, " si les entreprises du secteur de l'industrie ont une véritable gestion des risques avec, souvent, un responsable sécurité ad hoc, rien de tel dans le secteur tertiaire où, parfois, le document unique n'est même pas rédigé. Le CHSCT a, dans ce cadre, un vrai rôle de sensibilisation à jouer ".

Mieux vaut donc collaborer et que le Daf en ait l'initiative. Car le CHSCT peut procéder à des inspections des lieux de travail, proposer des actions de prévention contre le harcèlement moral et sexuel, réaliser des enquêtes, notamment à la suite d'accidents du travail, en cas de maladies professionnelles, ou alerter en cas de danger grave et imminent... Le CHSCT doit d'ailleurs être informé par l'employeur des visites de l'inspecteur du Travail et peut présenter ses observations à ce dernier. Ces missions très larges peuvent d'ailleurs créer des ambiguïtés. " Nous venons de mener un audit au sein d'une équipe sur les conditions de travail. À l'issue de cette analyse, nous avons réalisé qu'il n'y avait pas de risque psychosocial, de harcèlement ou de stress au travail, mais qu'on se trouvait face à des difficultés managériales. Or, il ne nous appartient pas de résoudre des conflits hiérarchiques. Ce type de question est plus du ressort du CE ", illustre Bertrand Belly.

14 Quand saisir le CHSCT ?

Le CHSCT est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail. Il s'agit notamment des hypothèses de transformation des postes de travail à la suite de modifications de l'outillage, d'un changement de produit ou d'organisation du travail, de modification des cadences et des normes de productivité, de mise en oeuvre de mutations technologiques importantes et rapides, etc. Il peut être saisi par l'employeur, le CE et les délégués du personnel.

" Nous venons d'être sollicités à propos du projet de déménagement de notre entreprise, témoigne Béatrice B. Localisation du nouveau site, impact sur les temps et conditions de transport des salariés, aménagement du nouveau bâtiment, travail en open space, système de chauffage et de ventilation, etc. Sur tous ces choix, il nous appartiendra d'avoir un avis éclairé. Les heures de délégation dont nous disposons pour exercer notre mission n'y suffiront pas. " Précisons que les élus du CHSCT peuvent bénéficier de formations pour accomplir leurs missions, voire faire appel à un expert quand un risque grave est identifié dans l'établissement, mais également en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou de travail.

15 Une institution qui devient ­progressivement incontournable

" La CHSCT est une institution qui monte en puissance ", constate Maître Géraud Salabelle. Un arrêt rendu le 4 juillet dernier par la Cour de cassation reconnaît au CE la possibilité de contester la régularité de la procédure d'information/consultation menée devant lui, lorsqu'il ne dispose pas d'un avis régulier émis préalablement par le CHSCT. " Le dirigeant devra être attentif au calendrier de consultation. Un oubli risque d'être très préjudiciable, certains comités d'entreprise n'hésitant pas à instrumentaliser le CHSCT pour bloquer une réorganisation ", avertit l'avocat. " Longtemps, le CE a monopolisé l'attention de l'employeur. Le CHSCT devient progressivement un acteur incontournable pour la direction financière, notamment en matière de restructuration ", analyse, de son côté, Xavier de Saint Marc.

Dernier conseil : face à la recrudescence des contentieux en matière de risques psychosociaux et de harcèlement, le dirigeant, sur proposition du Daf, peut demander aux membres du CHSCT de participer à l'audition des salariés (victime, témoins, supérieur hiérarchique). " Cela permet souvent de neutraliser et de dépassionner le débat ", analyse Maître Géraud Salabelle.

Encore (trop) peu consulté, le comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail peut se révéler un?allié précieux pour le Daf. Avec pour objectif, notamment, la prévention des risques et l'amélioration des conditions de travail. Explications.

16 La délégation de pouvoirs : quelles conditions respecter ?

Outil de prévention des risques de par son impact en termes d'organisation interne, la délégation de pouvoirs est surtout connue pour son effet en matière de transfert de responsabilité pénale des épaules du délégant à celles du délégataire. Mais mal prescrit, ce remède peut rapidement voir ses mérites neutralisés tant les organisations matricielles et les habilitations mises en place s'éloignent de la notion d'entité juridique. Pire, des effets secondaires peuvent s'avérer aussi inattendus que contreproductifs. La décision rendue par la Cour de cassation en octobre dernier confirme cette exigence de bonne prescription.

17 Des conditions de validité difficiles à ajuster en pratique

Traditionnellement, la mise en place d'un système de délégation de pouvoirs s'accompagne d'une mise en garde quant aux conditions de validité de ce mécanisme. Ce sont souvent celles attachées à la personne du délégataire qui sont mises en exergue. Ce dernier, nous dit la jurisprudence (Cass. crim., 11 mars 1993, n° 91-80.598 ; Cass. crim., 19 sept. 2007 ; n° 06-85.899), doit être un collaborateur disposant, d'une part, de toute la compétence requise par les responsabilités qu'il doit assumer et, d'autre part, d'une réelle autonomie dans son travail. Ce dernier point suppose, notamment, des moyens budgétaires adaptés, mais aussi l'absence d'immixtion du délégant dans le périmètre délégué hormis les contrôles visant à s'assurer que la délégation est correctement mise en oeuvre.

Ces conditions peuvent sembler aisées à respecter. Mais elles donnent lieu à bien des difficultés d'ajustement. Le délégataire doit-il disposer de la faculté d'engager librement les dépenses appropriées à sa mission? Peut-on encadrer cette liberté en la limitant aux dépenses qui ont été budgétées et, à ce titre, validées par la société? Peut-on contraindre le délégataire, lorsqu'il engage ces dépenses, à se soumettre à un contrôle prenant la forme d'une double signature? etc. La réponse varie selon les domaines de compétence délégués. Ainsi, en matière d'hygiène et de sécurité, la jurisprudence semble s'accorder pour exiger que le délégataire dispose d'une liberté plus grande pour engager les budgets indispensables à sa mission. Loin d'être une simple formalité, la mise en place de ces mécanismes peut donc rapidement s'avérer un casse-tête important, notamment pour le Daf qui doit veiller au respect d'un minimum de cohérence par rapport à son dispositif d'engagement des dépenses et de contrôle budgétaire.

A ces conditions,il est d'usage d'ajouter la formation du délégataire et son information quant à la nature pénale des risques attachés aux fonctions déléguées. Sans ces éléments, il y a fort à parier que le juge sera tenté de rejeter la délégation de pouvoirs et de retenir la responsabilité pénale d'une primo délégant.

18 L'exigence d'absence d'interférences ne vise pas que le seul délégant

L'expérience démontre que, si ces conditions de validité ne sont pas toujours respectées, elles sont à tout le moins connues. Et, en règle générale, les dirigeants tentent de les respecter. En revanche, c'est plus rarement le cas pour la condition liée à l'absence d'interférences, dans le champ de compétences déléguées, d'intervenants autres que le délégant.

C'est ainsi que les organisations dites matricielles sont fréquemment à l'origine de difficultés dans la mise en oeuvre des délégations de pouvoirs et, d'une manière plus générale, des habilitations. Dans ce mode de management, la personne morale n'est plus le "driver" principal de l'organisation. Les pouvoirs se déploient par métiers, par marchés et/ou par zones géographiques, sans que soient pris en compte les liens d'appartenance des collaborateurs aux structures juridiques qui constituent pourtant l'ossature du groupe.

Quelle est, dans ces conditions, l'efficacité d'une délégation de pouvoirs accordée par le directeur général d'une filiale lyonnaise d'un groupe international à son n - 1, responsable des approvisionnements, lorsque ce dernier répond également dans son quotidien aux instructions générales, voire aux consignes particulières, d'un responsable logistique Europe qui se trouve basé dans une autre filiale, à Londres? Le moment venu, en cas de faute pénale commise au sein de la filiale lyonnaise dans les entrepôts placés sous la responsabilité de notre délégataire, ce dernier ne pourra-t-il pas, pour échapper à la responsabilité qui lui a été déléguée, soutenir que son autonomie n'était qu'apparente puisque, en réalité, si son directeur général la respectait, il répondait malgré tout étroitement aux instructions venues de Londres et qu'il n'était donc pas totalement maître de son champ de compétences? Ce qui peut conduire à l'exonérer de toute responsabilité pénale au titre des pouvoirs qui lui avaient été délégués.

Face à ces organisations matricielles, il est naturel que les délégations de pouvoirs, dont le principe a été mis au point à une époque où la personne morale était la base même de l'organisation, nécessitent des efforts d'adaptation. Ces derniers passent notamment par des combinaisons de délégations et par des préambules clairs qui s'attachent à coordonner les différentes interventions dans le champ de compétences concerné.

L'enjeu est important. Il ne s'agit pas tant de protéger à tout prix la responsabilité pénale des dirigeants que de veiller à ce que les organisations mises en place soient lisibles, cohérentes et qu'elles couvrent l'ensemble des sujets à risque qui, à ce titre, méritent d'être pris en compte.

A noter : pas d'exigence de durée déterminée pour une délégation de pouvoirs
Le directeur administratif et financier d'une société avait fait opposition à une ordonnance d'injonction de payer rendue au profit d'une autre société. Cette dernière avait demandé en justice que cette opposition soit annulée au motif que la délégation de pouvoirs de représenter la société en justice dont bénéficiait le Daf n'était pas valable, faute d'être limitée dans le temps. En vain : lire la décision ( Cour de cassation, ch. com. , 17 janv. 2012, n° 10-24.811)

Le 11 octobre 2011, la Chambre criminelle de la Cour de cassation rendait une décision qui redonne une importance cruciale au statut du délégataire pour engager la responsabilité pénale de l'entreprise. Retour sur les conditions à respecter pour une délégation valide et efficace.

19 Les clés d'une délégation de pouvoirs réussie

Une délégation de pouvoirs efficace est une délégation sélective. Il convient cependant de ne pas tomber dans l'excès inverse qui consisterait à déployer des organisations internes où la délégation de pouvoirs régnerait en maître absolu. En effet, trop de délégation peut rapidement s'avérer aussi contre-productif que pas de délégation du tout.

Contre-productif tout d'abord, parce que la jurisprudence (Cass. crim., 2 fév. 1993, n°92-80.672 ; Cass. crim., 20 oct. 1999, n° 98-83.562) se refuse à reconnaître la validité des systèmes de distribution des pouvoirs dans lesquels le dirigeant délègue l'intégralité de ses pouvoirs. Le délégataire ne saurait avoir le même champ de compétences que le directeur général. Il est indispensable que le délégant soit sélectif et qu'il opère un choix dans les compétences qu'il entend déléguer. Il doit demeurer le dirigeant et, à ce titre, ne déléguer ses pouvoirs qu'avec parcimonie.

Contre-productif ensuite, parce que l'apparition du concept de responsabilité pénale des personnes morales a conduit le législateur à créer un lien direct entre l'auteur de la faute pénale, ce qui suppose a priori de connaître son identité, et la mise en cause pénale de la responsabilité de la personne morale. C'est ainsi que l'article 121-2 du Code pénal dispose que: "Les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions [ ...] des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. "

20 Le grand retour du risque pénal pour la personne morale

La responsabilité pénale de la personne morale est engagée si, et seulement si, il est établi que la faute a été commise par une personne disposant de la capacité d'engager la société. Et cette qualité ne se présume pas. L'intéressé doit donc disposer soit d'un mandat social, soit d'un pouvoir de représenter la société (Cass. crim., 1er déc. 1998, n°97-80.560). Le développement du recours à la délégation de pouvoirs accroît donc l'exposition au risque pénal de la personne morale, laquelle est, en outre, confrontée à des sanctions maximales plus lourdes que les personnes physiques et à un risque de récidive accentué.

Cet effet contre-productif de la délégation de pouvoirs avait perdu de sa vigueur, la Cour de cassation ayant, in fine, admis que certaines fautes ne pouvaient être engagées que par des représentants de l'entreprise, sans même qu'il soit nécessaire de les identifier. Dès lors, l'existence ou non d'une délégation de pouvoirs perdait tout caractère pénalisant pour la personne morale, puisque cette présomption dispensait de s'interroger sur l'identité et donc, a fortiori, sur la qualité réelle de l'intéressé.

C'est cette jurisprudence, au demeurant difficilement compréhensible, qu'un arrêt de la Cour de cassation est venu remettre en question (Cass. crim., 11 oct. 2011, n° 10-87.212 ; voir l'encadré ci-contre). Par cet arrêt, qui semble bien indiquer un revirement de jurisprudence, la Cour signifie aux juges du fond la nécessité, qui est de nouveau la leur, d'identifier l'auteur de la faute. Dès lors, la question de savoir si cet auteur disposait du statut nécessaire pour engager la responsabilité de l'entreprise redevient inévitable. En conséquence de quoi, la question de l'existence ou non d'une délégation de pouvoirs devra de nouveau être posée, raison supplémentaire, donc, pour n'utiliser ces délégations qu'à bon escient, sans excès et de manière adaptée."

Pour qu'elle soit efficace, une délégation de pouvoirs doit être sélective. Il est donc primordial d'opérer un choix dans les compétences que le dirigeant entend déléguer. Surtout que le recours à la délégation de pouvoirs accroît l'exposition au risque pénal de la personne morale.

21 Daf, n'oubliez pas votre propre responsabilité

22 Sur quelles actions du Daf sa responsabilité peut-elle être engagée ?

Sa responsabilité peut être engagée, en tant que Daf, comme responsable des fonctions supports rentrant dans son périmètre, voire comme dirigeant de fait. Et si le lien de subordination, avéré, inhérent au statut de salarié, peut exclure la qualification de dirigeant de fait, la responsabilité du Daf peut être recherchée comme complice de l'infraction principale. Pour être complice, pas besoin d'un acte positif : la seule abstention ou omission suffit. De plus, la posture de dirigeant de fait est appréciée très largement pour un Daf d'entreprise en difficulté car il agit en gestionnaire vis-à-vis de l'extérieur et sort de son périmètre. Et ce que les juges reprochent au Daf, c'est de ne pas avoir su dire non : non à une mesure de gestion, non à la communication d'une information trop optimiste, non à tel encours financier... ; en conséquence, les Daf doivent veiller à bien faire définir leur poste (fiche de mission et périmètre), à se faire préciser à qui ils reportent et à reporter. Car le reporting, s'il est traçable, témoigne de ce que la décision est du ressort des dirigeants. Reste l'épineuse question de la délégation de pouvoirs.

23 Face à une délégation de pouvoirs, quels sont les points de vigilance ?

Une délégation de pouvoirs constitue une exonération de responsabilité civile et pénale du déléguant. Les tribunaux sont donc très vigilants, voire pointilleux, et apprécient la réalité de la délégation au regard de l'organisation de l'entreprise ainsi que son effectivité. Surtout, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle régulièrement que " la délégation de pouvoirs est une obligation, non une faculté " pour une entreprise ayant atteint un certain nombre de salariés, de sites, d'établissements... Ces critères ne sont pas exhaustifs ni même précis. En fait, le risque pour le dirigeant est de se voir reprocher de ne pas avoir su apprécier sa propre capacité de gestion directe. Le Daf qui se retrouve délégataire ou délégant doit veiller à ce que cette délégation soit cohérente avec les contrats de travail des intéressés, l'organigramme et l'organisation réelle de l'entreprise.

24 Hors redressement ou liquidation judiciaire, comment la responsabilité pénale du Daf peut-elle être mise en cause ?

À titre d'exemples, par le biais d'une dénonciation au parquet par un salarié mécontent ou des actionnaires minoritaires ou bien encore par un tiers intéressé de l'entreprise (banques, fournisseurs, clients). Ce mode d'interpellation de la Justice est lié aux hypothèses de sociétés en cessation de paiements ou juste avant. Et le parquet ouvre quasi systématiquement une enquête en ce cas. Si le risque de poursuite ou de condamnation de l'entreprise et du Daf existent, le risque le plus prégnant pour le Daf est sans nul doute le risque d'investigation par la police financière, qui bouscule l'entreprise dans son quotidien, sollicite énormément la direction administrative et financière et peut s'étaler sur plusieurs mois. L'autre cas vise les sociétés qui ne publient pas leurs comptes : une injonction en référé de publication des comptes par un concurrent ou un créancier. Ici, l'intérêt à agir, première condition de la recevabilité de la demande, est examiné largement et la non-publication des comptes équivaut bien souvent pour la Justice à une présomption de mauvaise santé financière. Or, avec la multiplication des procédures de redressement judiciaire, le parquet a à coeur d'agir le plus en amont possible.

Philippe Bouchez El Ghozi répond aux questions de Daf magazine sur la responsabilité civile et pénale de la profession. Périmètre d'actions, délégation de pouvoirs, risque d'investigation, peines encourues, l'avocat associé du cabinet Paul Hastings fait le point.

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