DossierBâtir une politique de mobilité à l'international
L'international offre de nombreuses opportunités pour les PME. Mais se lancer dans ce domaine implique de bâtir une solide politique de mobilité. Expatriation, détachement, recrutement local... comment se décider ? Quelles sont les contraintes ? Autant de questions que doit se poser la Daf.

Sommaire
- Les rôles de la Daf dans un projet international
- 1. Prospection : formaliser la stratégie
- 2. Démarrage : contrôler les risques minutieusement
- 3. Phase de croisière : cerner les risques du marché
- Projet international : faut-il miser sur la mobilité ou le recrutement local ?
- L'expatriation, une solution lourde
- Contrat local ou détachement ?
- En local, quel vivier de compétences ?
- Mixer expatriations et embauches locales
- [Zoom] Le recrutement local, une étape incontournable dans les Bric ?
- Embaucher sur place pour la consolidation du marché
- Difficile d'attirer les profils très qualifiés
- Aspects juridiques du statut du collaborateur expatrié ou détaché
- Quel statut juridique choisir ?
- L'impact des contraintes locales
- Et sur le droit applicable ?
- L'expatriation, une situation à haut risque sur le plan familial
- Des risques liés aux spécificités juridiques du pays
- [Cas pratique] Pascal Bérenger, Daf Afrique-Moyen Orient d'EPC
- Un service d'audit rattaché au siège
1 Les rôles de la Daf dans un projet international
Dans le cadre d'un projet international, le travail du Daf commence par une phase de prospection, dont l'objectif sera notamment de collecter et trier un maximum d'informations sur le pays cible, et de chiffrer les différents scénarios. Sera-t-il plus rentable d'installer une filiale, un réseau de distribution, de s'adosser à un partenaire local ? Pour ce faire, le Daf devra s'intéresser aux divers mécanismes d'aide à l'export.
2 1. Prospection : formaliser la stratégie
" Entre les établissements publics, l'État, les collectivités territoriales, on compte pratiquement 50 000 aides différentes, et c'est au Daf de faire le tri, éventuellement en se faisant aider de ses collègues des autres fonctions ", explique Jean-François Dhoury, directeur de mission au sein du cabinet spécialisé en management de transition Objectif Cash.
Il recommande de s'adresser en priorité à Coface et à Ubifrance, ainsi qu'aux services régionaux chargés de distribuer des aides aux entreprises qui veulent exporter ou s'implanter à l'étranger. C'est à moment-là que le Daf devra réaliser la première ébauche de business plan, ce qui lui permettra de faire le tour des partenaires bancaires pour mettre en place les outils de financement. " Il est crucial de procéder à un minimum de formalisation de la stratégie, donc à un chiffrage d'éléments comme le développement des ventes, l'hypothèse de prix de revient, d'effort commercial... " Cette première étape doit aussi permettre d'anticiper un éventuel problème d'inconvertibilité ou de recouvrement de créances. En Chine, par exemple, le rapatriement des capitaux peut être facilité par la création d'une société mère à Hong Kong.
Sogedev, société de conseil aux entreprises, a procédé à une phase de prospection de quatre mois pour préparer son entrée sur le marché brésilien en 2011. L'entreprise, qui travaille principalement dans le domaine de l'obtention d'aides de type CIR, a réalisé une étude de marché poussée portant sur les données macroéconomiques du pays, et sur le secteur de l'innovation dans lequel elle est spécialisée. " L'idée était de déterminer combien le pays compte d'entreprises innovantes, dans quels secteurs. Nous avons aussi mené une étude juridique sur les dispositifs sur lesquels nous intervenons ", précise Charles-Édouard de Cazalet, Daf et cofondateur de la société. Sogedev a ensuite étudié les modalités de son implantation : coûts salariaux des profils qu'elle voulait recruter sur place, frais généraux, loyers, frais télécoms...
Pour définir le besoin en fonds de roulement, Sogedev a procédé à une étude de marché permettant de déterminer quelles compétences devraient être déployées sur place, et donc la masse salariale nécessaire. " Nous avons aussi étudié les charges externes : télécoms, bureaux... Notre tâche a été facilitée du fait que nous ne commercialisons pas de produits, donc nous n'avons pas de notion de stock de produits à acquérir ", souligne le Daf. La société s'est adressée à Ubifrance, mais a aussi rencontré des filiales de clients français au Brésil, des dirigeants de filiales, des avocats, des experts-comptables... " Nous voulions avoir le point de vue de ces différents interlocuteurs sur la manière dont on travaille au Brésil, ce à quoi il fallait nous attendre. Bref, disposer d'une bonne photographie du Brésil pour faire le moins d'erreurs possible ", explique Charles-Édouard de Cazalet.
3 2. Démarrage : contrôler les risques minutieusement
La deuxième étape concerne la phase de démarrage. " C'est la phase la plus critique pour une PME, car c'est celle qui engage des capitaux importants ", commente Jean-François Dhoury (Objectif Cash). Le Daf va alors devoir s'occuper du contrôle de gestion et du contrôle des risques : risque de marché, mais aussi risque de fraude. Les experts recommandent ainsi de mettre en place un système de contrôle de gestion, mais surtout de contrôler l'acheminement et le gardiennage des stocks pour prévenir le vol de marchandises. " Le Daf ne peut pas faire l'économie d'un voyage sur place pour contrôler les opérations, vérifier qu'il n'y ait pas de fuites dans le circuit ", ajoute Jean-François Dhoury. Et de donner l'exemple d'une entreprise française qui avait monté une filiale en Chine, où le manager local avait organisé une autre filière d'approvisionnement que celle souhaitée par la société mère.
Se déplacer a un autre avantage : cela permet aux équipes locales de se sentir impliquées dans la vie du groupe, et non isolées. Cette phase est aussi celle d'un éventuel ajustement du business plan, en raison par exemple d'un besoin en fonds de roulement plus important que prévu : " Chez Sogedev, nous procédons à des ajustements de trésorerie tous les deux ou trois mois environ ", commente Charles-Édouard de Cazalet.
4 3. Phase de croisière : cerner les risques du marché
L'entreprise est installée, elle a trouvé l'équilibre avec le distributeur, l'équipe est stabilisée. Le Daf est alors dans un rôle classique de jalonnement de la performance et de contrôle budgétaire. " Si l'entreprise a beaucoup grossi, il faudra aussi prendre en compte les besoins en BFR et les flux de financement à long terme, qui ne seront plus les mêmes, et drainer de nouvelles ressources, ajoute Jean-François Dhoury (Objectif Cash). La phase de croisière est également le moment où le Daf devra mettre en place des mécanismes de rapatriement des fonds pour assurer le retour sur investissement. " Il est impératif de rester vigilant durant cette période, car l'entreprise peut être confrontée à un regain de concurrence.
Lire aussi : Les démarches indispensables pour ouvrir un commerce
" Une fois qu'on a fait bouger les lignes, l'entreprise va attirer des convoitises locales, résume Jean-François Dhoury. En Chine, on trouve aussi le risque de la perte de contrôle de l'entreprise. Lorsque ça commence à bien marcher, un représentant des autorités locales vient taper à la porte pour vous contraindre à vous associer avec un partenaire local. " Mais la concurrence peut aussi venir d'entreprises étrangères et exportatrices. Le Daf devra donc bien cerner les risques de marché que pourront constituer de nouveaux entrants, ou les barrières que pourraient poser les autorités locales.
Quelques articles pour aller plus loin sur le thème de l'implantation à l'international :
International : la fiscalité du financement d'une filiale ou d'une succursale
Comment se faire accompagner à l'export
Réussir à l'international
En amont de la mise en place d'une politique de mobilité internationale, la Daf joue un rôle majeur dans le lancement du projet international en lui-même. Pour cela, les spécialistes distinguent trois étapes-clés : prospection, démarrage et phase de croisière.
5 Projet international : faut-il miser sur la mobilité ou le recrutement local ?
Face à un contexte économique toujours dégradé à domicile, les entreprises françaises sont contraintes d'aller chercher la croissance hors de nos frontières. Selon une étude publiée par DHL Express et Ubifrance en juillet 2013, 26 % des PME qui ont des échanges à l'international ont connu une hausse significative de leur activité sur les trois dernières années, contre 13 % pour celles qui se cantonnent au marché domestique.
La conquête de ces parts de marché s'accompagne souvent de l'ouverture de filiales, et donc du personnel dédié.
6 L'expatriation, une solution lourde
Le coût de l'opération constitue un premier élément de réflexion. Or, l'expatriation est une option onéreuse : elle inclut généralement un "package" comprenant un salaire versé par la filiale assorti d'une prime d'expatriation, la prise en charge du déménagement, la mise à disposition d'un logement, les frais de scolarité des enfants, une voiture de fonction, parfois un chauffeur personnel...
" Les grandes entreprises disposent d'équipes entières qui gèrent ce personnel en mobilité. Les PME, confrontées aux mêmes problématiques mais avec des ressources plus limitées, doivent donc impérativement se faire aider par un prestataire de services ", recommande Maître Céline Huet, avocate associée chez CW Associés. Ce dernier pourra structurer l'opération, orienter l'entreprise vers les contacts adéquats et mettre en place les différents paramètres, comme l'établissement de certificats de travail ou la mise en place de la paie sur place.
7 Contrat local ou détachement ?
Pour limiter les frais, les petites entreprises désireuses d'employer du personnel français à l'international peuvent recourir à des contrats locaux afin de s'affranchir de la prime d'expatriation et de l'égalisation fiscale.
C'est la solution que privilégie Vincent Breuil, Daf de la société de commerce électronique Nexway, qui réalise 70 % de son chiffre d'affaires à l'étranger et a recruté un responsable commercial dans sa filiale brésilienne suivant ce schéma. " Il s'agit lors de la création d'une filiale de suspendre le contrat français et de mettre en place un contrat local, sujet à évolution en fonction des résultats de la filiale, avec un rapatriement en France dans le cas où les résultats ne sont pas au rendez-vous " , détaille-t-il.
Autre solution : le détachement de salarié, qui permet de continuer à salarier l'employé au sein de l'entreprise française. Celui-ci reste affilié à la Sécurité sociale et continue à payer ses impôts en France. " Une formule très pratique, mais liée à des accords bilatéraux qui créent des limites dans le temps ", tempère le Daf. Le détachement est donc en général privilégié pour des missions dont la durée n'excède pas un ou deux ans sur place.
8 En local, quel vivier de compétences ?
Une autre solution consiste à se tourner vers des profils 100 % locaux. S'ils ne représentent pas de vraie différence en termes de salaire en Allemagne aux États-Unis, ils peuvent permettre de réduire les coûts dans des pays comme la Chine. Le recrutement de personnel local présente aussi un autre avantage : " Lorsque nous avons effectué un rachat au Japon, nous avons fait le choix de laisser à la tête de cette filiale son fondateur, qui est canado-japonais. Sa connaissance du marché et de la culture locale a été fondamentale pour la réussite de cette opération ", éclaire Vincent Breuil.
" La tendance de fond est de diminuer au maximum le nombre d'expatriés pour des raisons économiques, souligne Paul Mercier, dg de Michael Page Africa. C'est d'autant plus facile que l'écart se réduit entre le savoir-faire qu'on trouve en Occident et dans le reste du monde. On commence à trouver les mêmes compétences partout, ou presque. "
Certaines régions demeurent toutefois plus difficiles d'accès au niveau du recrutement. Paul Mercier cite l'exemple de la Sierra Leone ou de l'Angola, où les problèmes géopolitiques ont entraîné un déficit de personnel qualifié, ou encore les pays du Golfe, où le poids économique est disproportionné par rapport à la taille de la population locale.
D'autres pays en forte croissance, comme le Brésil, connaissent par ailleurs une importante demande de personnel qualifié qui fait monter les salaires des postes à responsabilité. " Il y est souvent moins coûteux de recourir à un contrat d'expatriation que d'embaucher en local sur les fonctions exécutives, où les salaires peuvent être supérieurs de 40 % à ce qui se pratique en Occident ", souligne Frédéric Ronflard, managing director Brésil pour le cabinet de recrutement Robert Walters.
9 Mixer expatriations et embauches locales
De nombreuses sociétés font donc le choix d'un mix entre expatriés pour les fonctions opérationnelles et personnel local pour les fonctions RH et administratives, ainsi que pour le back-office.
C'est le cas de Gregori International, une PME spécialisé dans la construction de terrains de sport, dont 100 % du chiffre d'affaires provient de ses activités internationales. Le groupe, présent au Maroc, en Guinée équatoriale, au Gabon, à Dubaï, ou encore en Polynésie française, a fait " le choix de l'expatriation pour le personnel d'encadrement, qui représente 30 personnes. En revanche, tout le back-office est constitué de personnel local ", explique Sandrine Courty, responsable RH de la société, qui évoque la nécessité d'avoir des personnes fiables et opérationnelles immédiatement. " Nous sommes parfois confrontés à des régions où il est impossible de trouver des moyens humains performants dans notre coeur de métier, ce qui nous pousse à avoir nos expatriés sur place ", fait-elle valoir.
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Ne pas négliger le contrôle de gestion
Certaines zones géographiques posent également la question du contrôle de gestion. " Les problèmes de corruption sont connus en Europe de l'Est, et notamment en Russie, témoigne Maître Céline Huet, avocate associée chez CW Associés. Dans de tels schémas, les entreprises préfèrent en général recourir à l'expatriation plutôt que faire appel à du staff local, même s'il est compétent. " L'ONG Transparency International communique chaque année son indice de la perception de la corruption par pays, disponible sur son site internet. En 2013, le Danemark, la Nouvelle-Zélande et la Finlande figuraient parmi les pays les plus sûrs, tandis que l'Afghanistan, la Corée du Nord et la Somalie affichaient les notes les plus basses.
Type de structure, secteur d'activité, objectifs de la filiale : le choix d'une embauche locale ou d'une expatriation dépend de nombreux facteurs. Si l'embauche de personnel sur place se révèle généralement moins coûteuse, elle n'est pas recommandée dans tous les projets internationaux.
11 [Zoom] Le recrutement local, une étape incontournable dans les Bric ?
La question du recrutement, notamment dans les pays à forte croissance comme les Bric, est un choix complexe où vont entrer en compte non seulement les données économiques, mais aussi la culture du pays et les impératifs réglementaires. Ainsi, les barrières administratives en Chine sont importantes. Pour recruter une personne étrangère, l'entreprise doit justifier que le travail en question ne pourrait pas être réalisé par un Chinois.
12 Embaucher sur place pour la consolidation du marché
" Toute entreprise désireuse de réussir sur le marché chinois est de toute façon obligée de recruter sur place, commente Wei Hsu, managing director chez INS Global Consulting, une société spécialisée dans la gestion du personnel offrant des services de portage administratif et salarial. Le fait de faire venir du personnel étranger est un choix compréhensible, surtout pour l'étape initiale. Cependant, pour le développement et la consolidation du marché, procéder à des embauches sur place est incontournable. Le marché chinois est très complexe, et le personnel local est plus apte à comprendre ses enjeux ", ajoute-t-il.
Les Bric, à l'instar de la plupart des pays à forte croissance, partagent par ailleurs une caractéristique commune : s'il est en général facile et peu coûteux de trouver localement des employés pour occuper les fonctions de base, le recrutement de postes très qualifiés peut se révéler plus délicat à gérer. Il sera par ailleurs plus difficile qu'en France de retenir les personnes-clés. " En Inde, les gens n'ont jamais connu l'emploi à vie, rappelle Priti Marteil-Agarwal, spécialiste de l'Inde chez Primafi Partners. La mobilité est une réalité, au sein d'une ville ou même d'une région. "
Le contexte est similaire au Brésil. " Ici, il n'est pas choquant de connaître dix postes différents en dix ans ", explique Frédéric Ronflard, managing director Brésil au sein de l'agence de recrutement Robert Walters.
13 Difficile d'attirer les profils très qualifiés
Johann Wasserer est Daf de LM Farma, une société brésilienne spécialisée dans les produits de cicatrisation, acquise en 2011 par le groupe Viva Santé. L'entreprise, qui comptait 101 employés lors du rachat, est forte désormais de 153 salariés. " Comme partout dans les Bric, les gens profitent du boum et n'hésitent pas à changer d'emploi. Ils attendent des augmentations, explique-t-il. Nous n'avons pas rencontré beaucoup de difficultés à trouver des candidats pour des postes comme la production ou les fonctions support, parce que nous offrons une rémunération assez attrayante au regard d'autres industries. Mais il est très difficile de trouver des personnes très compétentes en respectant nos budgets ", ajoute-t-il.
L'effet combiné de la forte croissance (et donc de l'inflation), du plein-emploi et de la rareté des profils très qualifiés a pour résultante un écart type important entre les salaires les plus bas et les plus élevés. " Sur les fonctions de base, les salaires coûtent deux fois moins cher qu'en France, mais sur le management et la direction, on atteint facilement des niveaux de rémunération de 30 % à 40 % plus élevés ", indique Johann Wasserer. Il peut ainsi être intéressant financièrement d'avoir recours à des expatriés pour certaines fonctions à haute responsabilité.
À lire aussi : Les émergents, clé du commerce international de demain ?
Dans les Bric, faut-il recruter en local ou recourir à l'expatriation ? Pour se décider, le Daf doit tenir compte de plusieurs paramètres dont, bien évidemment, le profil du poste. Reste que fidéliser les salariés dans les Bric est très difficile.
14 Aspects juridiques du statut du collaborateur expatrié ou détaché
Expatrié ou détaché, le statut juridique du collaborateur est généralement lié à la logique économique de l'envoi à l'étranger : il est plutôt en détachement lorsqu'il effectue sa mission pour le compte de l'employeur français et en expatriation si la mission s'effectue pour le compte de l'entité étrangère.
Des nuances sont à apporter selon la structuration ou non du groupe, l'existence d'un établissement et les obligations sociales et fiscales pouvant interférer dans le choix du schéma. Quel que soit le statut choisi, il conviendra de respecter les règles de droit du travail international et les dispositions des conventions collectives... si elles existent.
15 Quel statut juridique choisir ?
En cas de mission à l'étranger, le lien avec l'employeur d'origine peut soit être maintenu - on parle alors de détachement -, soit être mis en sommeil - il s'agira alors d'une expatriation ou "mise à disposition".
Le salarié peut être détaché pour une mission de courte durée, auquel cas une simple lettre de mission est nécessaire - il faut alors fixer la durée de la mission, son lieu et les suppléments de rémunération éventuellement versés - ou pour une mission de longue durée, ce qui nécessite la rédaction d'un avenant de détachement détaillé. En pratique, le collaborateur détaché exerce sa mission pour le compte de son employeur d'origine, son coût est donc conservé dans la société française.
L'expatriation correspond aux situations où le contrat d'origine est suspendu, tandis qu'un contrat local prend le relais avec la société d'accueil. L'employeur local conclut un contrat pour la durée de l'expatriation, tandis que l'avenant d'expatriation est rédigé pour régir la relation, dite "dormante", avec l'employeur français.
16 L'impact des contraintes locales
Il arrive que les contraintes locales obligent à rédiger un contrat local, alors que le salarié continue à travailler pour son employeur d'origine. Il en est ainsi lorsque le visa de travail local doit obligatoirement être sponsorisé par une société locale ou lorsqu'un statut spécial de visa existe, qui nécessite un contrat local. La Russie, par exemple, facilite l'immigration des personnels hautement qualifiés, mais à la condition d'une rémunération minimum en roubles et de la rédaction d'un contrat local. Il en est ainsi lorsqu'une paie locale doit obligatoirement être établie pour précompter l'impôt ou les cotisations locales, comme au Brésil ou en Indonésie.
Pour autant, le contrat local ne confère pas le statut d'expatrié à ces salariés qui restent sous la subordination juridique de l'employeur français. Ce dernier garde les prérogatives de l'employeur, le contrat local étant purement administratif.
17 Et sur le droit applicable ?
Les autres aspects à encadrer dans l'avenant sont la loi applicable concernant le rapatriement et la réintégration, la fin de la mission, la durée du travail et des congés payés.
La durée du travail et des congés payés à respecter est, en principe, celle du pays d'accueil. Avec une exception : les dispositions impératives plus favorables françaises doivent continuer à s'appliquer pour les salariés détachés. Il n'est pas exclu que la jurisprudence se renforce sur ce point, compte tenu de la réglementation européenne, et impose le respect du droit du travail français, y compris pour les expatriés.
S'agissant des conditions de rapatriement et de réintégration, des dispositions sont prévues par le Code du travail, mais uniquement en cas d'expatriation par une société mère vers une filiale étrangère. La réintégration doit alors être effectuée à un poste équivalent à celui que le salarié occupait au sein de la société mère avant son départ. Certaines conventions collectives sont plus favorables et prennent en compte l'expérience acquise à l'étranger.
Enfin, il est également important d'encadrer la fin de la mission, qui intervient soit à l'échéance prévue, soit par anticipation, du fait de la rupture du contrat à l'initiative du salarié ou de l'employeur. À cet égard, les situations d'expatriation sont plus complexes à gérer, puisqu'il existe deux contrats de travail. S'il démissionne, le salarié doit présenter sa démission aux deux employeurs. Si c'est la société française qui souhaite se séparer de son salarié, elle doit veiller à rompre le contrat local avant de s'aviser de rompre le contrat d'origine.
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Expatriation ou détachement, les conséquences sur la rémunération des salariés
La distinction expatriation / détachement n'a pas d'incidence sur le "package" de rémunération. Pour les salariés en mission de longue durée, la structuration du package s'articule entre la rémunération proprement dite et les mesures dites d'accompagnement. Que le salarié soit détaché ou expatrié, il convient de définir un salaire de référence, qui servira de base à la réintégration du salarié, et un salaire réel, qui correspond au salaire versé pendant la mission et qui tient compte du salaire d'origine en cas de détachement, du salaire du pays d'accueil en cas d'expatriation, augmenté des éventuelles primes de mobilité, de difficulté ("hardship") et du différentiel coût de vie.
Les mesures d'accompagnement classiques sont constituées par la prise en charge du logement, en totalité ou par différentiel, des frais d'installation, des frais de voyage avec au moins un retour par an en famille et des frais de scolarité. Les aspects protection sociale et fiscalité sont régis par des textes internationaux qui définissent l'État en droit de précompter les cotisations et l'impôt.
D'un point de vue salarial, l'entreprise aura un choix à faire entre protéger le salarié contre les surcoûts fiscaux et sociaux (on parle "d'égalisation" sociale et fiscale) ou, au contraire, les laisser à sa charge. Ces mesures sont librement fixées par les parties : la loi ne contient aucune disposition impérative.
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Par Maître Sandra Thiry
Avocate associée Vaughan Avocats
Créé en 2005, Vaughan Avocats regroupe une cinquantaine d'avocats en droit des affaires et droit social présents à Paris, Toulouse, Sophia Antipolis, Rennes et Bamako. Ses avocats sont d'abord des entrepreneurs dont la vocation est d'apporter des conseils opérationnels et innovants à leurs clients. Vaughan Avocats travaille avec des partenaires conseils en ressources humaines, audit industriel, économie, financement et affaires publiques.
Lettre de détachement, ordre de mission, lettre de transfert, avenant d'expatriation... La terminologie est vaste et les néophytes, DRH ou Daf, s'y perdent souvent ! Voici quelques clés très simples pour s'y retrouver.
20 L'expatriation, une situation à haut risque sur le plan familial
Bien souvent, l'expatriation de l'un implique le sacrifice de l'emploi de l'autre, généralement l'épouse. Et si cette interruption est parfois bienvenue, vécue par exemple comme permettant de se consacrer quelques années aux enfants, il ne faut pas en sous-estimer les conséquences, en termes de carrière (le retour à l'emploi sera parfois difficile), de retraite (perte de points) et, enfin, au niveau de l'équilibre du couple : comment vivre le fait de se retrouver à la maison et sous la dépendance financière d'un conjoint qui assumera seul la pression économique familiale ? Ajoutez à cela le mal du pays et l'isolement, et on comprend qu'un pourcentage important des couples ne résiste pas à l'expatriation.
Dans cette éventualité, le retour du conjoint en France est un autre sujet, soit pour le parent expatrié qui se retrouve éloigné de ses enfants, soit pour son conjoint qui, faute d'obtenir l'autorisation de rentrer avec les enfants, se retrouve coincé dans un pays étranger. Avoir anticipé facilite les choses. Changer de régime matrimonial pour assurer au conjoint qui sacrifie sa carrière un minimum de protection ou bien mettre en place une assurance-vie pour lui constituer un capital retraite peuvent constituer des solutions préventives pragmatiques. En cas de rupture, un pacte de famille peut prévoir les conditions d'un éventuel retour de la famille.
21 Des risques liés aux spécificités juridiques du pays
Prenons l'exemple du Royaume-Uni. Premier point de vigilance : attention au régime matrimonial. Un couple de Français qui, n'ayant pas fait de contrat de mariage, est persuadé d'être marié sous le régime de la communauté des biens réduite aux acquêts, ignore généralement qu'au bout de dix ans passés dans un autre pays, ce régime matrimonial basculera automatiquement vers le régime légal de ce pays. Ainsi, s'ils divorcent en France après avoir passé 20 ans au Royaume-Uni, le juge français liquidera deux régimes successifs : un premier régime de communauté légale réduite aux acquêts, puis un régime légal anglais assimilé par la jurisprudence française à une séparation des biens.
Autre problème, un contrat de mariage français ne sera pas nécessairement reconnu à l'étranger dans les pays qui ignorent cette notion, comme au Royaume-Uni : ainsi, un contrat de séparation des biens français n'empêchera pas nécessairement un juge britannique, devenu compétent du fait d'une installation au Royaume-Uni, de procéder à une "distribution équitable". Néanmoins, le choix d'un régime matrimonial ou la rédaction d'un contrat de mariage plus lisible pour un juge étranger pourront améliorer la sécurité juridique.
En Chine, comptez avec le désintérêt des juridictions pour ces questions matrimoniales de ressortissants ; or, à l'étranger, les juridictions françaises conservent parfois une compétence concurrente. Avoir le réflexe de saisir les juridictions françaises pour obtenir l'autorisation de rentrer en France avec les enfants permettra parfois à l'épouse d'un expatrié en Chine de lutter contre la réticence des juridictions chinoises à se saisir de la question.
Enfin, dans les pays non laïcs, en cas de problème, l'un des conjoints pourra être tenté de saisir des juridictions locales pour obtenir un divorce/répudiation à moindre coût. L'autre peut alors, du fait de l'application de règles religieuses, se retrouver privé de ses enfants ou de subsides suffisants. Quant au premier, il pourrait, à terme, avoir la désagréable surprise de découvrir que le divorce obtenu dans de telles conditions n'est pas reconnu par sa juridiction nationale.
Par Maître Isabelle Rein Lescastereyres
Avocate associée chez BWG
Créé en 2000, BWG Associés est un cabinet d'avocats exclusivement dédié au droit de la famille. Composé d'une quinzaine d'avocats et de juristes, le cabinet intervient plus particulièrement sur les thématiques liées aux couples, aux enfants, à la protection des majeurs vulnérables, aux successions et à la famille internationale.
Une expatriation, opportunité dont bénéficie souvent l'ensemble de la famille, présente un certain nombre de risques qu'il serait imprudent pour le Daf, parfois chargé des RH, d'ignorer, que ce soit pour lui ou pour les employés dont il a la charge.
22 [Cas pratique] Pascal Bérenger, Daf Afrique-Moyen Orient d'EPC
L'Afrique, Pascal Bérenger connaît bien. En 2006, le Daf part au Gabon pour le groupe Necotrans, spécialisé dans la logistique internationale, avant de rejoindre la Guinée quatre ans plus tard, puis d'être affecté à la gestion de la région Afrique de l'Ouest. Durant cette période, il réorganise l'ensemble des services support en pools communs et met en place des revues budgétaires mensuelles avec les exploitants.
En 2013, il est recruté par le groupe d'explosifs et de forage EPC, pour prendre la direction financière de la zone Afrique-Moyen Orient. " Actuellement basé au Maroc, où le groupe a une activité assez importante, je dois à terme rejoindre la Côte d'Ivoire où nous ouvrons une usine ", explique-t-il.
23 Un service d'audit rattaché au siège
La mission de Pascal Bérenger pour EPC comprend d'importantes responsabilités au niveau des ressources humaines sur l'ensemble des 12 filiales que le groupe compte en Afrique, dont le recrutement de plusieurs équipes au Maroc. Il se dit partisan d'un mix entre recrutement de personnel local et expatriation. " La fonction finance est assez sensible. C'est pourquoi il est préférable de recourir aux expatriés pour les fonctions de management et de direction de filières, détaille-t-il. Et si tous les directeurs financiers d'agences et les chefs comptables que je supervise sont des locaux, il existe un organe de contrôle qui joue a courroie de transmission entre ces filiales et la direction générale du groupe en France. L'alternative consiste à recruter en local sur les postes à haute responsabilité, mais en intégrant un service d'audit rattaché au siège. " Il préconise, par ailleurs, de localiser les postes sur les fonctions ressources humaines et dans les systèmes d'information.
En revanche, dans le cadre de missions ponctuelles, qui concernent principalement les développements techniques, le déploiement de nouvelles procédures ou une assistance ponctuelle sur un dossier délicat, Pascal Bérenger recourt à des détachements de collaborateurs. " Nous optons pour cette solution lorsqu'on peut estimer la durée de la mission et qu'elle ne nécessite pas la présence du collaborateur une fois les objectifs atteints ", indique-t-il.
Côté carrière personnelle, si Pascal Bérenger se dit épanoui en Afrique, il sait qu'un retour en France pourrait s'avérer problématique. " Cette expérience est à la fois un atout et un frein, car travailler sur ce continent est une véritable spécialisation " , confie-t-il. L'expérience africaine rend, en effet, les Daf expatriés plus chers que leurs collègues restés sur le marché français. D'autant plus que travailler en Afrique demande des compétences spécifiques, difficilement valorisables dans d'autres zones géographiques, comme la maîtrise des règles comptables Oada ou la compréhension de la culture locale. " Les années passées sur le sol africain ne rendent pas le Daf plus polyvalent sur d'autres zones géographiques. Le choix se résume donc à rentrer en France avec des prétentions salariales revues à la baisse ou poursuivre sa carrière sur le marché africain " , conclut Pascal Bérenger.
Repères
Raison sociale : EPC Groupe
Activité : explosifs, forage minier, démolition
Forme juridique : SA
Directeur général : Olivier Obst
Année de création : 1893
Effectif 2011 : 1 771 salariés
Effectif 2012 : 1 700 salariés
CA 2011 : 234,6 M€
CA 2012 : 310 M€
Fort de huit années passées sur le continent africain, ce Daf oscille entre recrutement en local et expatriation selon les contours du poste, favorisant les expatriés pour le management et les locaux pour les responsables comptables, le SI ou les RH.
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