DossierBâtir une politique de mobilité à l'international
5 - L'expatriation, une situation à haut risque sur le plan familial
Une expatriation, opportunité dont bénéficie souvent l'ensemble de la famille, présente un certain nombre de risques qu'il serait imprudent pour le Daf, parfois chargé des RH, d'ignorer, que ce soit pour lui ou pour les employés dont il a la charge.
Bien souvent, l'expatriation de l'un implique le sacrifice de l'emploi de l'autre, généralement l'épouse. Et si cette interruption est parfois bienvenue, vécue par exemple comme permettant de se consacrer quelques années aux enfants, il ne faut pas en sous-estimer les conséquences, en termes de carrière (le retour à l'emploi sera parfois difficile), de retraite (perte de points) et, enfin, au niveau de l'équilibre du couple : comment vivre le fait de se retrouver à la maison et sous la dépendance financière d'un conjoint qui assumera seul la pression économique familiale ? Ajoutez à cela le mal du pays et l'isolement, et on comprend qu'un pourcentage important des couples ne résiste pas à l'expatriation.
Dans cette éventualité, le retour du conjoint en France est un autre sujet, soit pour le parent expatrié qui se retrouve éloigné de ses enfants, soit pour son conjoint qui, faute d'obtenir l'autorisation de rentrer avec les enfants, se retrouve coincé dans un pays étranger. Avoir anticipé facilite les choses. Changer de régime matrimonial pour assurer au conjoint qui sacrifie sa carrière un minimum de protection ou bien mettre en place une assurance-vie pour lui constituer un capital retraite peuvent constituer des solutions préventives pragmatiques. En cas de rupture, un pacte de famille peut prévoir les conditions d'un éventuel retour de la famille.
Des risques liés aux spécificités juridiques du pays
Prenons l'exemple du Royaume-Uni. Premier point de vigilance : attention au régime matrimonial. Un couple de Français qui, n'ayant pas fait de contrat de mariage, est persuadé d'être marié sous le régime de la communauté des biens réduite aux acquêts, ignore généralement qu'au bout de dix ans passés dans un autre pays, ce régime matrimonial basculera automatiquement vers le régime légal de ce pays. Ainsi, s'ils divorcent en France après avoir passé 20 ans au Royaume-Uni, le juge français liquidera deux régimes successifs : un premier régime de communauté légale réduite aux acquêts, puis un régime légal anglais assimilé par la jurisprudence française à une séparation des biens.
Autre problème, un contrat de mariage français ne sera pas nécessairement reconnu à l'étranger dans les pays qui ignorent cette notion, comme au Royaume-Uni : ainsi, un contrat de séparation des biens français n'empêchera pas nécessairement un juge britannique, devenu compétent du fait d'une installation au Royaume-Uni, de procéder à une "distribution équitable". Néanmoins, le choix d'un régime matrimonial ou la rédaction d'un contrat de mariage plus lisible pour un juge étranger pourront améliorer la sécurité juridique.
En Chine, comptez avec le désintérêt des juridictions pour ces questions matrimoniales de ressortissants ; or, à l'étranger, les juridictions françaises conservent parfois une compétence concurrente. Avoir le réflexe de saisir les juridictions françaises pour obtenir l'autorisation de rentrer en France avec les enfants permettra parfois à l'épouse d'un expatrié en Chine de lutter contre la réticence des juridictions chinoises à se saisir de la question.
Enfin, dans les pays non laïcs, en cas de problème, l'un des conjoints pourra être tenté de saisir des juridictions locales pour obtenir un divorce/répudiation à moindre coût. L'autre peut alors, du fait de l'application de règles religieuses, se retrouver privé de ses enfants ou de subsides suffisants. Quant au premier, il pourrait, à terme, avoir la désagréable surprise de découvrir que le divorce obtenu dans de telles conditions n'est pas reconnu par sa juridiction nationale.
Par Maître Isabelle Rein Lescastereyres
Avocate associée chez BWG
Créé en 2000, BWG Associés est un cabinet d'avocats exclusivement dédié au droit de la famille. Composé d'une quinzaine d'avocats et de juristes, le cabinet intervient plus particulièrement sur les thématiques liées aux couples, aux enfants, à la protection des majeurs vulnérables, aux successions et à la famille internationale.