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DossierLa direction administrative et financière et l'organisation interne de l'entreprise

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5 - La délégation de pouvoirs : quelles conditions respecter ?

Le 11 octobre 2011, la Chambre criminelle de la Cour de cassation rendait une décision qui redonne une importance cruciale au statut du délégataire pour engager la responsabilité pénale de l'entreprise. Retour sur les conditions à respecter pour une délégation valide et efficace.

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Outil de prévention des risques de par son impact en termes d'organisation interne, la délégation de pouvoirs est surtout connue pour son effet en matière de transfert de responsabilité pénale des épaules du délégant à celles du délégataire. Mais mal prescrit, ce remède peut rapidement voir ses mérites neutralisés tant les organisations matricielles et les habilitations mises en place s'éloignent de la notion d'entité juridique. Pire, des effets secondaires peuvent s'avérer aussi inattendus que contreproductifs. La décision rendue par la Cour de cassation en octobre dernier confirme cette exigence de bonne prescription.

Des conditions de validité difficiles à ajuster en pratique

Traditionnellement, la mise en place d'un système de délégation de pouvoirs s'accompagne d'une mise en garde quant aux conditions de validité de ce mécanisme. Ce sont souvent celles attachées à la personne du délégataire qui sont mises en exergue. Ce dernier, nous dit la jurisprudence (Cass. crim., 11 mars 1993, n° 91-80.598 ; Cass. crim., 19 sept. 2007 ; n° 06-85.899), doit être un collaborateur disposant, d'une part, de toute la compétence requise par les responsabilités qu'il doit assumer et, d'autre part, d'une réelle autonomie dans son travail. Ce dernier point suppose, notamment, des moyens budgétaires adaptés, mais aussi l'absence d'immixtion du délégant dans le périmètre délégué hormis les contrôles visant à s'assurer que la délégation est correctement mise en oeuvre.

Ces conditions peuvent sembler aisées à respecter. Mais elles donnent lieu à bien des difficultés d'ajustement. Le délégataire doit-il disposer de la faculté d'engager librement les dépenses appropriées à sa mission? Peut-on encadrer cette liberté en la limitant aux dépenses qui ont été budgétées et, à ce titre, validées par la société? Peut-on contraindre le délégataire, lorsqu'il engage ces dépenses, à se soumettre à un contrôle prenant la forme d'une double signature? etc. La réponse varie selon les domaines de compétence délégués. Ainsi, en matière d'hygiène et de sécurité, la jurisprudence semble s'accorder pour exiger que le délégataire dispose d'une liberté plus grande pour engager les budgets indispensables à sa mission. Loin d'être une simple formalité, la mise en place de ces mécanismes peut donc rapidement s'avérer un casse-tête important, notamment pour le Daf qui doit veiller au respect d'un minimum de cohérence par rapport à son dispositif d'engagement des dépenses et de contrôle budgétaire.

A ces conditions,il est d'usage d'ajouter la formation du délégataire et son information quant à la nature pénale des risques attachés aux fonctions déléguées. Sans ces éléments, il y a fort à parier que le juge sera tenté de rejeter la délégation de pouvoirs et de retenir la responsabilité pénale d'une primo délégant.

L'exigence d'absence d'interférences ne vise pas que le seul délégant

L'expérience démontre que, si ces conditions de validité ne sont pas toujours respectées, elles sont à tout le moins connues. Et, en règle générale, les dirigeants tentent de les respecter. En revanche, c'est plus rarement le cas pour la condition liée à l'absence d'interférences, dans le champ de compétences déléguées, d'intervenants autres que le délégant.

C'est ainsi que les organisations dites matricielles sont fréquemment à l'origine de difficultés dans la mise en oeuvre des délégations de pouvoirs et, d'une manière plus générale, des habilitations. Dans ce mode de management, la personne morale n'est plus le "driver" principal de l'organisation. Les pouvoirs se déploient par métiers, par marchés et/ou par zones géographiques, sans que soient pris en compte les liens d'appartenance des collaborateurs aux structures juridiques qui constituent pourtant l'ossature du groupe.

Quelle est, dans ces conditions, l'efficacité d'une délégation de pouvoirs accordée par le directeur général d'une filiale lyonnaise d'un groupe international à son n - 1, responsable des approvisionnements, lorsque ce dernier répond également dans son quotidien aux instructions générales, voire aux consignes particulières, d'un responsable logistique Europe qui se trouve basé dans une autre filiale, à Londres? Le moment venu, en cas de faute pénale commise au sein de la filiale lyonnaise dans les entrepôts placés sous la responsabilité de notre délégataire, ce dernier ne pourra-t-il pas, pour échapper à la responsabilité qui lui a été déléguée, soutenir que son autonomie n'était qu'apparente puisque, en réalité, si son directeur général la respectait, il répondait malgré tout étroitement aux instructions venues de Londres et qu'il n'était donc pas totalement maître de son champ de compétences? Ce qui peut conduire à l'exonérer de toute responsabilité pénale au titre des pouvoirs qui lui avaient été délégués.

Face à ces organisations matricielles, il est naturel que les délégations de pouvoirs, dont le principe a été mis au point à une époque où la personne morale était la base même de l'organisation, nécessitent des efforts d'adaptation. Ces derniers passent notamment par des combinaisons de délégations et par des préambules clairs qui s'attachent à coordonner les différentes interventions dans le champ de compétences concerné.

L'enjeu est important. Il ne s'agit pas tant de protéger à tout prix la responsabilité pénale des dirigeants que de veiller à ce que les organisations mises en place soient lisibles, cohérentes et qu'elles couvrent l'ensemble des sujets à risque qui, à ce titre, méritent d'être pris en compte.

A noter : pas d'exigence de durée déterminée pour une délégation de pouvoirs
Le directeur administratif et financier d'une société avait fait opposition à une ordonnance d'injonction de payer rendue au profit d'une autre société. Cette dernière avait demandé en justice que cette opposition soit annulée au motif que la délégation de pouvoirs de représenter la société en justice dont bénéficiait le Daf n'était pas valable, faute d'être limitée dans le temps. En vain : lire la décision ( Cour de cassation, ch. com. , 17 janv. 2012, n° 10-24.811)

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