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Apports et cessions à prix minoré ou majoré : quels sont les risques ?

Lorsque, à l'occasion d'un apport ou d'une cession, la valeur de l'actif apporté ou cédé s'écarte sensiblement de sa valeur de marché, il convient de bien documenter les raisons qui motivent cette différence, sous peine de s'attirer les foudres du fisc.

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Apports et cessions à prix minoré ou majoré : quels sont les risques ?

La question de la valorisation des actifs est un sujet souvent sensible pour l'administration fiscale qui ne voit pas d'un bon oeil les écarts trop importants avec les valeurs qu'elle considère comme étant des prix de marché.

S'il est difficile pour l'administration fiscale de remettre en cause la valorisation d'une opération lorsqu'elle implique des personnes indépendantes, elle n'hésite pas à taxer les écarts de prix significatifs dans les opérations impliquant des personnes liées, notamment lorsqu'il s'agit des membres d'une même famille.

Les conséquences fiscales d'une valorisation de complaisance diffèrent selon que l'on se trouve en présence d'une opération d'apport ou d'une opération de cession.

Les cessions à prix majoré ou minoré

Dans l'hypothèse d'une cession, l'administration fiscale peut sanctionner la valorisation retenue par les parties si elle parvient à démontrer un écart significatif entre le prix convenu et la valeur du bien cédé ainsi que la collusion entre les parties.

Lorsque la transaction implique une société soumise à l'impôt sur les sociétés, l'imposition de l'avantage accordé, calculé par la différence entre le prix d'acquisition et la valeur réelle, sera supportée par la partie avantagée. Si c'est une personne physique, l'administration fiscale taxera ce gain comme un revenu réputé distribué (CE, 28 février 2001, n° 199295, Thérond) et si c'est une société, cet avantage sera ajouté à son résultat fiscal (CE, 5 janvier 2005, n° 254556, Raffypack).

Il convient de préciser que la surévaluation du prix de cession n'aura pas d'incidence immédiate sur les résultats ou le bilan du cessionnaire au titre de l'exercice d'acquisition, puisque l'administration ne sera pas en droit de modifier la valeur d'inscription de l'élément à l'actif de son bilan (CE, 27 avril 2001, n° 212680, GTI). Néanmoins, il sera possible de remettre en cause au titre des exercices ultérieurs, sur le terrain de l'acte anormal de gestion, la fraction surévaluée des provisions, des amortissements ou encore des intérêts d'emprunt finançant l'actif surévalué.

Par ailleurs, si le prix de cession a été sous-évalué, et que par conséquent les droits d'enregistrement ont été calculés sur une base inférieure à celle qui aurait normalement dû s'appliquer, l'administration peut réclamer un complément de droits d'enregistrement au cessionnaire.

Dans les transactions où interviennent des personnes de la même famille, l'intention libérale est présumée, ce qui autorise l'administration fiscale à taxer la personne avantagée au titre des droits de donation. La libéralité ainsi consentie sera soumise aux droits de donation entre vifs pouvant s'élever jusqu'à 45 % du montant de l'insuffisance selon le lien de parenté entre les parties.

La question de l'application des droits de donation, généralement réservée aux dons entre personnes physiques, s'est posée lorsqu'une société a cédé son actif à prix minoré à son dirigeant. Le Conseil d'État a finalement étendu son raisonnement aux personnes morales au point de considérer que cette cession minorée constituait une libéralité au profit du dirigeant. Désormais, la personne physique bénéficiaire d'une vente consentie par une personne morale à son dirigeant à une valeur inférieure à sa valeur vénale devra s'acquitter des droits de donation au taux de 60 % (Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-15.621).

Les apports à valeur majorée ou minorée

Dans l'hypothèse de sous-valorisation de l'actif apporté, la caractérisation d'une libéralité au profit de la société bénéficiaire de l'apport ne semblait pas évidente. Même si comptablement la valeur de l'actif apporté est minorée, il n'en résulte aucun appauvrissement pour l'apporteur puisque les actions qui lui sont remises sont le reflet de la valeur de l'actif apporté. De prime abord, il semblait donc difficile pour l'administration d'y voir une libéralité consentie par l'apporteur au profit de la société bénéficiaire.

Pourtant, dans un arrêt « Cérès » du 9 mai 2018, le Conseil d'État a validé le raisonnement de l'administration qui avait considéré que, lorsqu'une société bénéficie d'un apport pour une valeur que les parties ont délibérément minorée, sans que cet écart de prix ne comporte de contrepartie, l'avantage octroyé doit être regardé comme une libéralité consentie à la bénéficiaire qui doit être comprise dans son résultat imposable et taxée à l'impôt sur les sociétés.

Le rapporteur public, dans ses conclusions sous l'arrêt « Lafarge » du 1er juillet 2020, a précisé qu'en cas d'apport de biens dont la valeur a été minorée entre sociétés placées sous contrôle commun, le droit comptable impose que les apports soient transcrits à leur valeur comptable et qu'aucune augmentation de l'actif net ne puisse être constatée. En revanche, cette minoration de l'apport peut, dans le cadre d'un groupe intégré, constituer une subvention intragroupe soumise à déclaration.

Enfin, dans l'hypothèse d'un apport majoré, le Conseil d'État a eu l'occasion de juger qu'un tel apport ne saurait traduire en lui-même l'existence d'un appauvrissement de la société bénéficiaire de l'apport au profit de l'apporteur et ne constitue donc pas un avantage occulte (CE, 20 octobre 2021, n° 445685, Coralu).

La vigilance s'impose

Lorsque l'on envisage une opération de restructuration se manifestant par un apport ou une cession, il convient donc d'être vigilant sur la valorisation des biens objets de ces opérations, surtout lorsque l'opération est réalisée entre des personnes ayant des intérêts communs, et dans la mesure du possible de faire intervenir un tiers évaluateur dans le processus.

François Vignalou, avocat associé, et César Engelmann, avocat, cabinet Bignon Lebray.

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