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DossierPrélèvement à la source : la dernière ligne droite

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3 - Avant tout un sujet RH

Incompréhension de la réforme, du calcul du taux et son application, choc psychologique de recevoir un salaire moins élevé, peur du risque d'erreur et du non-respect de la confidentialité... De nombreux sujets liés à cette nouvelle mesure peuvent troubler employés et entreprise. Prenez les devants!

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Et si, malgré les nombreux questionnements d'ordre technique, le prélèvement à la source était avant tout un sujet de ressources humaines ? En effet, face à ce changement majeur, les salariés vont avoir de nombreuses questions. "Le salaire est un sujet ultra-sensible", rappelle Maître Colin Bernier, avocat chez EY. Si certains vont avoir le réflexe de décrocher leur téléphone pour appeler l'administration fiscale, comme le suggère la grande campagne de communication lancée depuis la rentrée, beaucoup vont se tourner vers leur employeur.

Pour savoir comment est calculé et appliqué le taux, rapporter une erreur... mais aussi parler des crédits d'impôt ou encore de leurs obligations en tant que particulier employeur. Ce qui va assurément créer du travail supplémentaire pour les personnes auxquelles les salariés inquiets vont s'adresser : les managers, les équipes RH et celles en charge de la paie au sein des entreprises. Quelle attitude adopter face à ces questionnements ? L'employeur doit-il y répondre ou renvoyer vers l'administration fiscale ? Et face aux inquiétudes par rapport à la baisse de salaire, comment réagir ? La clé est d'anticiper en communiquant. "Le prélèvement à la source est un enjeu de communication avant tout", estime Guillaume Rejou, Senior Alliance Manager Enterprise Market chez Sage. Et c'est dès maintenant qu'il faut s'y employer. En janvier 2019, il sera trop tard !

Anticiper par de l'information en amont

La DGFIP ne cesse de le marteler : l'employeur ne doit pas répondre aux questions des salariés sur le prélèvement à la source mais les rediriger vers l'administration fiscale. Un bien beau discours qui cache une toute autre réalité : les employeurs vont crouler sous les questions de leurs collaborateurs angoissés - si ce n'est pas déjà le cas - et il paraît difficile de les balayer sèchement en leur disant de se tourner vers l'administration fiscale sans calmer leurs inquiétudes. Le prélèvement à la source est quand même très technique et les salariés risquent de s'y perdre. De plus, "l'amputation du salaire peut avoir un impact sur la motivation au travail et polluer le fonctionnement de l'entreprise", met en garde Béatrice Hingand, directrice de la rédaction des Éditions Francis Lefebvre, et spécialiste des questions fiscales.

Impossible, donc, de balayer d'un revers de la main les inquiétudes des salariés. Mais pour éviter de se retrouver noyé sous les questions, la clé est l'anticipation : des actions de communication doivent être menées en amont. "La première des choses à faire est de rassurer en déclarant que l'entreprise s'est bien saisie du sujet", recommande Maître Colin Bernier. Les dernières publications dans la presse concernant les nombreux bugs en phase de test peuvent en effet avoir inquiété certaines personnes. De ce point de vue, la simulation sur les fiches de paie peut être d'une grande aide : cela leur démontre qu'il n'y a aucune erreur et les prépare également à leur nouveau net. Guillaume Rejou conseille d'expliquer dans les détails la façon dont l'employeur intervient dans le prélèvement à la source. "Il faut bien rappeler que le taux n'est pas décidé par l'employeur et qu'en cas d'erreur, il faut s'adresser à l'administration fiscale. En revanche, ne pas hésiter à expliquer comment on reçoit le taux, comment on l'applique, etc."

Guides explicatifs et sessions d'informations

Pour ce faire, certaines sociétés éditent un livret recensant les principales questions que peuvent se poser les salariés, une newsletter électronique, des affiches rappelant le numéro de l'administration fiscale ou encore organisent des sessions d'information. Maître Gaëlle Menu-Lejeune, avocate associée au sein de Fidal, invite, lors de ces sessions d'informations, à faire intervenir un expert, un avocat fiscaliste par exemple. "Cela permet à l'employeur d'apporter des réponses à ses salariés tout en faisant comprendre qu'il n'est qu'un tiers collecteur qui n'a pas vocation à répondre aux questions sur le prélèvement à la source", indique-t-elle.

Dans le même ordre d'idée, Béatrice Hingand propose d'envoyer les guides explicatifs et autres livrets sur le prélèvement à la source à l'adresse postale personnelle du salarié et non de les distribuer au bureau. "Cela leur permet d'avoir le guide chez eux à portée de main lorsqu'ils se poseront davantage de questions en janvier et, surtout, cela permet de faire sortir le sujet de leur lieu de travail et d'éviter de penser que toutes les réponses se trouvent dans l'entreprise", indique Béatrice Hingand. Quelle que soit la forme choisie, il est essentiel de communiquer massivement, de façon à ce qu'aucune question ni aucun doute ne subsiste avant le 1er janvier 2019. "Il est important de participer activement à la communication de l'administration fiscale afin d'éviter les éventuels effets de panique des salariés", souligne Maître Vanessa Calderoni, avocate associée chez Taj. Mais attention, ces actions de communication ont pour but de répondre avec anticipation aux questions que pourraient se poser les salariés quant au prélèvement à la source... Rien de plus. Il faut rappeler que l'administration fiscale reste le premier interlocuteur.

Rassurer quant à la confidentialité

Surtout, les équipes paie n'ont aucune vocation à délivrer des conseils fiscaux. "Les équipes ressources humaines ou paie doivent pouvoir apporter de premiers éléments de réponse et surtout réorienter vers la bonne personne. Elles ne doivent pas se pencher sur la façon dont est calculé le taux de chaque employé. D'autant qu'il y a une question de confidentialité", rappelle François de Laubier, pdg d'e-paye. La confidentialité est en effet une question soulevée par de nombreux détracteurs du prélèvement à la source et inquiète certainement bon nombre de salariés. Ainsi, l'employeur, s'il a accès au taux d'imposition, ne doit en aucun cas le divulguer et surtout ne pas chercher à en savoir plus sur la situation financière de ses employés.

Les sessions de communication doivent également rassurer les collaborateurs sur cette question de la confidentialité. En leur rappelant que les équipes manipulant les taux de prélèvement de l'impôt sont soumises au secret professionnel et peuvent être sanctionnées en cas de manquement. Et que, comme le souligne Béatrice Hingand, le taux ne dit pas grand-chose sur la situation financière des salariés : "Un même taux de prélèvement peut recouvrir des situations très variées", explique-t-elle. Et c'est la seule information qui est transmise à l'employeur. Les salariés très concernés par cette question de confidentialité peuvent adopter le taux neutre mais les employeurs doivent bien les prévenir qu'une régularisation de leur situation sera alors nécessaire a posteriori et que cela peut représenter des complications bien inutiles.

Se préparer à des demandes d'ordre salarial

Au-delà des questions d'ordre technique, les entreprises vont sans aucun doute être confrontées à des demandes d'ordre salarial, de type augmentations ou avances sur salaire. En effet, le salaire mensuel des employés va sensiblement baisser puisque l'impôt sera prélevé tous les mois sur le salaire. Un choc pour ceux qui n'avaient pas déjà opté pour la mensualisation de l'impôt (41,2 % selon les dernières statistiques de la DGFIP). À cela s'ajoutent les crédits d'impôt qui ne seront régularisés qu'en juillet, même si l'État a prévu un acompte pour certaines catégories. Mais ce dernier est calculé sur les crédits d'impôt de l'année précédente et donc sur les déclarations de deux ans auparavant : autant dire que nombre de situations auront changé et que certains contribuables devront avancer des sommes conséquentes. Cela aura un impact non négligeable, surtout sur les foyers modestes. Franck Cheron, associé conseil capital humain chez Deloitte, déconseille de compenser la baisse de salaire par une mensualisation des bonus et/ou du 13e mois, le cas échéant." La mensualisation est une réponse donnée à court terme sans mesurer les conséquences inflationniste à moyen terme".

Les salariés risquent donc de profiter du prélèvement à la source pour négocier des augmentations, dont les montants seront négociés en brut : à salaire brut égal, le salaire net ne sera plus du tout équivalent puisque les taux appliqués seront différents d'un salarié à l'autre. Ce qui peut également perturber les employés. Lors des entretiens d'embauche, si les candidats ont du mal à se projeter, il peut être intéressant de raisonner à partir d'un taux d'imposition moyen. C'est en tout cas un autre système de pensée qu'il va falloir adopter et il s'agit d'aider ses employés à passer ce cap.

Focus

De nombreux guides

Pour aider ses salariés à passer en douceur au prélèvement à la source, s'appuyer sur un document répondant à leurs principales questions peut être utile. Heureusement, de nombreux acteurs du marché ont publié des guides et autres livres blancs sur le sujet. À commencer par l'administration fiscale, qui a fait un énorme effort de communication. Elle met par exemple à disposition des entreprises un "Kit collecteur'' qui inclut des supports pour les salariés. D'autres acteurs du prélèvement à la source se sont emparés du sujet. De nombreux prestataires proposent des guides à destination des employés mais aussi d'intervenir dans les entreprises pour des sessions d'information et/ou de formation. Enfin, à noter le guide très bien fait des Éditions Francis Lefebvre qui répond vraiment à toutes les questions que pourraient se poser les employés. À distribuer d'urgence à ses collaborateurs !

Eve Mennesson

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