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Prix de transfert ou aides d'État? Les tax rulings en danger

En juin 2014, la Commission européenne ouvrait des enquêtes sur des rescrits (tax rulings) rendus en matière de prix de transfert. En novembre éclatait le scandale "Luxleaks". La Commission lance, depuis, une vaste opération de transparence fiscale. Quels sont les risques pour les entreprises?

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Prix de transfert ou aides d'État? Les tax rulings en danger

Une règle jurisprudentielle prévaut au sein de la Cour de justice de l'Union européenne, celle du non-dit fiscal. Chaque État reste responsable de sa législation fiscale en matière d'impôt sur les bénéfices, au regard des règles d'assiette et de détermination des taux, à partir du moment où ces règles s'appliquent de manière identique aux entreprises déjà installées dans le pays et à celles qui viendraient à le faire. Un État peut donc pratiquer un taux d'impôt sur les sociétés de 15%, s'il s'applique à ses propres entreprises comme à celles qu'il souhaite attirer. Cette règle d'égalité entre sociétés crée, en réalité, les conditions d'une inégalité structurelle au plan fiscal entre les États membres :

- les grands pays, c'est-à-dire un grand territoire avec de nombreuses entreprises locales, tels la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne ou le Royaume-Uni, pour lesquels il est très compliqué (et très coûteux) d'instaurer un régime fiscal attractif pour des entrepreneurs d'origine non locale, puisque ce régime favorable devra s'appliquer à tous ;

- et les petits pays, avec peu d'entreprises nationales, qui peuvent définir sur mesure un régime fiscal propre à attirer des entreprises étrangères. Ce sur-mesure vient, le plus souvent, de règles de droit commun très favorables, majoritairement bonifiées par les rescrits fiscaux ("tax rulings") spécifiques. C'est donc la prime aux petits pays agiles.

La machine à explosion européenne a été mise en marche et ne pourra être stoppée que par une remise en cause de cette règle jurisprudentielle fiscale ou par une intégration fiscale plus étroite des États, donc en abandonnant une partie de leur souveraineté fiscale.

Beaucoup d'États, y compris parmi les plus grands, ont mis en place des régimes fiscaux favorables pour attirer les entreprises étrangères.

Alors, en attendant l'explosion assumée et attendue, il faut créer pour le public européen des débats sur de nouvelles règles, des enquêtes, autrement dit des "gadgets" pour ne pas parler des sujets de fond et du maintien de la règle que l'on pourrait qualifier de "prime aux petites embarcations". Les rescrits fiscaux accordés par les administrations fiscales des petits "États agiles" au profit d'entreprises, généralement, de grandes multinationales étrangères sont donc actuellement pointés du doigt. Le Luxembourg, en premier lieu, mais aussi l'Irlande et les Pays-Bas sont nommément visés.

Luxleaks, l'arbre qui cache la forêt

Le 6?novembre 2014, l'affaire des "Luxleaks" a fait grand bruit. Une enquête commune du journal Le Monde, de l'ICIJ (consortium de journalisme d'investigation américain) et de 40 autres médias étrangers révélait plus de 300 accords fiscaux entre le Luxembourg et des grandes multinationales qui auraient fait économiser à ces entreprises plusieurs milliards d'euros de taxe. Quelques mois plus tôt, en juin, la Commission s'était déjà saisie du sujet des rescrits fiscaux en ouvrant des enquêtes approfondies sur des tax rulings accordés en matière de prix de transfert à Apple en Irlande, à Fiat Finance au Luxembourg et à Starbucks aux Pays-Bas. En octobre, elle faisait de même concernant le rescrit fiscal accordé à Amazon par le Luxembourg.

Juridiquement, la Commission fonde son droit d'enquête sur la procédure de contrôle des aides d'État, une approche qui crée une sorte de précédent. Jusqu'alors, elle se limitait à contrôler les pratiques étatiques visant à mettre en place des régimes favorables à des secteurs et territoires sinistrés ou encore à des investissements de l'État dans certaines entreprises jugées stratégiques. Elle semble se transformer en gendarme des pratiques fiscales des États membres, par le biais de la possible remise en cause des décisions individuelles anticipatives censées, pourtant, sécuriser la situation fiscale des entreprises.

Les experts

Alain Recoule et Cécile Natali sont respectivement avocat associé et avocate chez Arsene Taxand.

Le cabinet Arsene Taxand, membre fondateur du réseau Taxand, est le premier cabinet d'avocats d'affaires indépendant exclusivement spécialisé en fiscalité. Arsene Taxand accompagne les grandes entreprises et les PME souhaitant se développer à l'international et couvre l'ensemble des expertises en matière fiscale avec plus de 80 avocats et 18 associés (corporate tax, indirect tax, litigation, immobilier, douane...). Le réseau Taxand est le premier réseau indépendant au niveau mondial avec plus de 36 pays.


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