Fiscalité du salarié actionnaire : les plus-values sont-elles du salaire ?
La double qualité de salarié et d'actionnaire de l'entreprise n'en finit plus d'alimenter la chronique : le gain réalisé par le salarié actionnaire lors d'une cession d'actions est-il un salaire ou une plus-value ? Un contentieux nourri (et divergent) a pris naissance sur le sujet.
L'administration fiscale a tiré la première, depuis plusieurs années, en voyant dans certains mécanismes d'actionnariat des salariés, une forme déguisée de versement d'un complément de salaires. Cela a été particulièrement le cas pour les management packages mis en place dans le cadre des opérations de LBO.
Ces mécanismes consistent à associer le management au capital, en permettant aux salariés et dirigeants de l'entreprise d'investir dans l'opération aux côtés des partenaires financiers avec, en plus, lorsque certaines conditions de performances sont réunies, la rétrocession d'une partie de la plus-value réalisée par les fonds investisseurs (ratchet).
Des enjeux financiers souvent importants
L'enjeu attaché à la qualification du gain est d'importance pour le salarié actionnaire : la plus-value bénéficie d'une fiscalité favorable (flat tax de 30% à l'heure actuelle, hors dispositifs particuliers) alors que le salaire relève de l'impôt sur le revenu au barème progressif (avec un taux marginal pouvant atteindre 45%).
L'employeur n'est pas épargné par le débat puisqu'une requalification des plus-values en salaires fait peser un risque d'application, par les URSSAF, des charges sociales sur le gain réalisé.
Le hasard a voulu qu'en l'espace de quelques mois, deux décisions de jurisprudence importantes aient été rendues, l'une par la Cour de cassation en matière de charges sociales, l'autre par le Conseil d'Etat en matière de fiscalité personnelle.
Des divergences d'analyses regrettables entre les jurisprudences sociales et fiscales
A cette occasion, on peut regretter des divergences d'analyse profondes entre les deux hautes juridictions sur un sujet pourtant commun.
En matière de cotisations sociales tout d'abord, la Cour de Cassation a été amenée à juger que la possibilité accordée à des salariés ou dirigeants de souscrire des titres de l'entreprise (en l'espèce des bons de souscription d'actions " ratchet " dans le cadre d'une opération de LBO), pouvait constituer un avantage de nature salariale, dès lors que cette faculté résulte de l'existence et du maintien des fonctions exercées dans l'entreprise, et que l'acquisition des titres est réalisée à des conditions avantageuses (jurisprudence " Barrière "(1)).
Cette jurisprudence, par sa formulation très large, peut inquiéter au-delà du marché du LBO et des mécanismes spécifiques de rétrocession de plus-values qui leur sont propres, dans la mesure où elle semble suggérer que le seul fait de permettre à un salarié de souscrire des titres de l'entreprise pourrait en soi constituer des conditions avantageuses.
La prise de risque financier de l'investisseur salarié au coeur du débat
A cette occasion, la Cour de Cassation a balayé une distinction pourtant fondamentale entre un investisseur et un salarié, qui repose sur la prise de risque financier attachée à tout investissement.
En l'espèce, six salariés et dirigeants du groupe Barrière avaient investi 900.000 € pour acquérir leurs titres, ce qui avait permis de réaliser, 5 ans plus tard, une plus-value de 2,7M€. La décision fait abstraction du fait, qu'en contrepartie de ce gain, les investisseurs salariés avaient pris le risque de perdre leur mise initiale, si les conditions de performance requises n'avaient pas été au rendez-vous.
Une telle distinction n'a pourtant pas échappé au Conseil d'Etat statuant en matière fiscale dans des affaires toutes récentes(2) (en matière de management package également), dans lesquelles la haute juridiction semble définitivement fixer la frontière d'imposition entre plus-values et salaires en matière fiscale.
Ainsi, une plus-value ne pourrait être requalifiée fiscalement en salaire que, bien entendu, si la plus-value réalisée a un lien avec le contrat de travail ou le mandat social. Mais ce n'est pas suffisant : il faut surtout que le manager ait également reçu, au préalable, un avantage financier.
Cet avantage peut être constaté si le salarié est garanti d'une absence de risque de perte en contrepartie de la plus-value réalisée (on rejoint là la nécessaire prise de risque qui caractérise la plus-value), ou, alternativement, si les titres acquis l'ont été à des conditions préférentielles (en cas de minoration du prix d'acquisition des titres par exemple).
Le Conseil d'Etat adopte là une solution pragmatique qui devrait apporter une solution aux nombreux contentieux fiscaux ayant émergé ces dernières années, et qui, espérons-le, fera école afin que les " gestes Barrière " puissent être bientôt abandonnés !
Bruno Erard, est avocat associé dans le département fiscal du cabinet AyacheSalama depuis janvier 2003.
Spécialisé aussi bien en fiscalité nationale qu'internationale, Bruno intervient particulièrement dans les opérations de fusions-acquisitions, de LBO, de financements et de réorganisations de groupe.
Il assiste également les entreprises dans leur gestion fiscale, que ce soit en terme de maîtrise des risques, d'optimisation ou dans leurs relations avec l'administration fiscale.
[1] Arrêt Barrière n°472 du 4 avril 2019 (17-24.470)
[2] Décisions Wendel du 12 février 2020 CE 10e-9e ch. 12-2-2020 n° 421441 et n° 421444
Sur le même thème
Voir tous les articles Réglementation