Laurent Vantyghem (DAF Linkeo) : « L'optimisation du financement constitue un levier stratégique essentiel »
Ancien sportif de haut niveau, Laurent Vantyghem vient de prendre ses fonctions de DAF chez Linkeo. Il partage sa feuille de route dans une entreprise de l'écosystème du digital, entre risques de résiliation et sécurisation du financement. Rencontre.

En tant qu'ancien sportif de haut niveau, comment transposez-vous ces valeurs dans votre quotidien de DAF et dans votre leadership au sein des équipes ?
Laurent Vantyghem : J'ai pratiqué l'athlétisme à un niveau national tant en France qu'au Canada. À l'Université Laval, à Québec, j'ai intégré l'équipe universitaire, le Rouge et Or, en tant qu'athlète à part entière, courant principalement le 800 et le 1 500 mètres. J'ai également eu l'opportunité de participer au circuit NACAC, le circuit nord-américain, où on y multipliait les distances - 800, 1 500, voire 5 000 mètres.
Pratiquer un sport à haut niveau forge indéniablement le caractère. L'endurance acquise par la pratique sportive se traduit par une capacité de travail soutenue, une forte résistance au stress et à la fatigue, qui sont autant d'atouts utiles dans de nombreux domaines de la vie, professionnelle comme personnelle. Cette expérience m'a également permis de développer une certaine rigueur. Cela étant dit, je ne considère pas que le sport soit l'unique voie pour acquérir ces qualités. À mon sens, on ne se lance pas dans la course de fond à un niveau exigeant sans porter déjà en soi une part de ces dispositions. Ce n'est donc pas une transformation radicale, mais plutôt un renforcement, un approfondissement de traits déjà présents.
Vous venez d'être nommé DAF chez Linkeo, quelles sont vos priorités immédiates?
L. V. : Nous accompagnons les entreprises dans la digitalisation de leur activité, en particulier par le biais de leurs outils de communication via des contrats d'abonnement, généralement sur 48 mois, qui peuvent faire l'objet d'opérations de lease-back. Historiquement, l'entreprise s'est financée par ce biais, en cédant ses contrats à des sociétés spécialisées dans le financement d'actifs immatériels. Ce modèle, largement partagé par les acteurs du secteur - qu'il s'agisse de Local.fr ou de structures plus modestes - permet de soutenir la croissance, notamment à l'international en Amérique du Nord ou en Australie. Ce type de financement présente l'avantage d'une grande flexibilité mais reste relativement onéreux, avec un coût moyen estimé à dix points d'intérêt par an.
Le changement structurel des taux d'intérêt amorcé depuis le début du conflit en Ukraine oblige désormais à repenser cette stratégie. L'objectif est double. Réduire la dépendance à ces solutions et abaisser le coût global du financement. Cela implique de structurer un pôle bancaire solide, avec la mise en place d'une RCF (revolving credit facility) afin de bâtir une solution pérenne sur un horizon d'au moins deux ans, offrant à l'entreprise la latitude nécessaire pour s'adapter. L'enjeu de rentabilité est majeur. En effet, le recours au lease-back représente environ un million d'euros de charges annuelles. Réduire cette dépendance de moitié permettrait d'améliorer l'EBITDA de près de 500 000 euros. Dans le contexte économique actuel, cet axe de travail autour de l'optimisation et de la sécurisation du financement constitue un levier stratégique essentiel, directement lié au volume d'activité généré par l'entreprise.
Vous avez travaillé dans le conseil, la banque d'affaires et le digital, comment cette diversité sectorielle influence-t-elle votre manière de piloter la fonction finance ?
L. V. : Mon parcours ne s'inscrit pas dans la trajectoire classique d'un directeur financier. Très tôt, j'ai eu le goût du métier et l'envie d'en comprendre la richesse, ce qui m'a naturellement conduit vers la banque d'affaires. Après une première expérience d'un an et demi en audit chez Mazars, j'ai intégré l'équipe de fusions-acquisitions de Finama qui a ensuite fusionné avec Groupama Banque. Ce bagage m'a permis, lorsque j'ai rejoint l'enseigne Lepape, d'assumer des fonctions étendues. Au-delà du pilotage financier, j'ai pris en charge le développement de l'activité e-commerce, qui représentait 40 % du chiffre d'affaires du groupe, aux côtés d'un réseau physique sous les enseignes Lepape et En Selle Marcel, spécialisées dans la mobilité urbaine.
Aujourd'hui, chez Linkeo, le modèle économique diffère puisque nous fonctionnons sur la base d'abonnements, offrant des revenus plus prévisibles. Mon enjeu principal est donc de remodéliser l'ensemble de l'activité, affiner la granularité de nos modèles et renforcer la visibilité.
La fiabilisation des données financières est un enjeu central dans votre feuille de route. Quels leviers envisagez-vous d'activer pour renforcer la qualité des prévisions dans un contexte économique devenu incertain ?
L. V. : Ma mission a pour objectif de reconstruire un modèle financier intégrant un plus grand nombre de paramètres et reflétant de manière plus fine la réalité économique de Linkeo. La particularité de notre activité réside dans la taille et la composition de notre portefeuille clients. En effet, nous accompagnons plus de 10 000 entreprises, réparties sur deux à trois continents. Il s'agit en grande majorité de très petites entreprises (TPE), structurellement plus fragiles, exposées à contexte incertain et à un taux de défaillance historiquement élevé depuis 2024. Pour Linkeo, cela représente un facteur de risque important.
Ces évolutions rendent indispensable une refonte des outils de pilotage. Par exemple, les taux de résiliation anticipée dans notre portefeuille de contrats, dont la durée moyenne est de 48 mois, ont significativement évolué. Or, ces paramètres n'étaient jusqu'à présent ni suffisamment suivis ni intégrés dans nos modèles. Il ne suffit plus d'observer la performance à terme d'un contrat, mais bien d'analyser finement l'évolution mois par mois, en prenant en compte la granularité des cohortes de clients selon leurs millésimes d'entrée. Cela introduit une complexité accrue, notamment dans l'élaboration des prévisions. À ce jour, ces analyses reposent encore majoritairement sur des outils manuels tels qu'Excel. L'objectif est de fiabiliser cette modélisation et d'en automatiser les traitements via un encodage en lien avec les équipes informatiques, dès lors que les hypothèses auront été solidement structurées. Il s'agit là d'un chantier stratégique, indispensable pour piloter avec précision un modèle économique fondé sur la récurrence et l'anticipation des risques.
Vous avez évoqué le passage progressif d'Excel à des outils plus performants, voire à l'intégration de l'intelligence artificielle. Quel regard portez-vous sur cette transformation du métier de DAF ?
L. V. : L'intelligence artificielle s'est progressivement introduite dans nos métiers, souvent de manière indirecte, par le biais des outils que nous utilisons au quotidien - qu'il s'agisse d'ERP financiers ou de logiciels spécialisés. Je suis convaincu que des avancées significatives restent possibles, en particulier par le développement d'agents IA dédiés aux fonctions comptables ou financières. Cela suppose cependant de les entraîner sur des corpus de données adaptés à chaque entreprise, avec un certain degré de personnalisation. L'opportunité est enthousiasmante, mais elle exige du temps et de la méthode.
Dans notre cas, certaines tâches, très volumineuses et répétitives, gagneraient à être automatisées. L'objectif serait alors de dégager du temps pour que nos équipes puissent se concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée, notamment en matière de contrôle de gestion. Il y a donc un enjeu clair d'optimisation. Encore faut-il pouvoir se donner les moyens, humains et temporels, de développer ces outils.
Certains DAF sont devenus très polyvalents, intégrant les fonctions RH par exemple. Qu'en pensez-vous ?
De manière générale, je suis profondément convaincu de l'intérêt de la polyvalence. Il me semble particulièrement enrichissant d'avoir un directeur administratif et financier qui ne se cantonne pas à l'analyse chiffrée, mais qui s'implique également dans la compréhension des métiers et des dynamiques opérationnelles. La fiabilité des prévisions financières repose, selon moi, autant sur la qualité des données disponibles que sur leur confrontation au réel - c'est-à-dire à l'activité quotidienne, au ressenti des équipes et aux signaux faibles émanant du terrain.
Disposer d'un périmètre élargi permet justement de croiser les points de vue, d'ouvrir le dialogue et d'enrichir la lecture stratégique, en évitant l'écueil d'une approche strictement comptable.
Dans mon précédent poste, j'évoluais dans un champ plus vaste, incluant les systèmes d'information et le webmarketing, en plus des fonctions financières. Cette transversalité exige une certaine rigueur et une appétence pour la gestion administrative dans son ensemble - qualités que l'on retrouve souvent chez les DAF expérimentés. Multiplier les casquettes ne doit pas se faire au détriment de la clarté de la mission ou de l'efficacité opérationnelle. Le DAF, dans ce type d'organisation, devient un véritable bras droit du dirigeant, au coeur des arbitrages stratégiques.
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