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2020 était l'année de la gestion des coûts, 2021 est celle de la gestion de la reprise !

De par sa composition historique faite de multiples sites industriels, le groupe Imerys s'apparente plus à une flotte de navires qu'à un paquebot en termes de pilotage financier. Sébastien Rouge, CFO du groupe, en dresse le portrait et les caractéristiques.

Publié par Camille George le | Mis à jour le
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2020 était l'année de la gestion des coûts, 2021 est celle de la gestion de la reprise !

>Pouvez-vous nous présenter le groupe Imerys en quelques mots ?

Imerys compte un peu plus de 16 000 personnes réparties dans l'ensemble du monde. Le groupe est spécialiste et leader mondial des spécialités minérales pour l'industrie avec d'un côté une activité mines et carrières et de l'autre une activité de transformation de minerais extraits de ses propres mines et carrières ou de mines tierces, qui seront employés dans une très large palette d'applications allant des produits cosmétiques aux plastiques pour l'automobile jusqu'aux matériaux réfractaires pour les aciéries par exemple. C'est une double caractéristique d'Imerys que d'avoir une multitude de petits sites industriels, nous en avons plus de 200 dans le monde, et autant de clients que d'employés puisqu'on a à peu près 15 000 clients avec des palettes d'utilisation extrêmement variées. Voilà ce qui fait, dans un milieu essentiellement BtoB quand même, notre spécificité.

>Cette configuration très éclatée impose une structure particulière j'imagine ?

C'est d'ailleurs l'un des principaux marqueurs de l'organisation interne. Lorsque l'on essaie de réfléchir ne serait-ce qu'à la production des comptes, au système informatique ou au contrôle interne, on est vraiment dépendant d'une part, de cette multitude de sites et d'autre part, d'un historique qui consistait à gérer cette multitude de sites comme autant d'entités autonomes (plus de 110 sites ont été intégrés par croissance externe sur les 20 dernières années). Donc le groupe, qui essaie de se structurer d'un point de vue back office, hérite d'une multiplicité complexe à gérer. A titre d'exemple, on doit avoir près de 70 ERP différents qui coexistent, conçus pour 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires donc par rapport à d'autres groupes de taille similaire c'est une spécificité autant qu'une complexité. D'ailleurs cela représente l'un de nos gros chantiers en interne. L'objectif étant d'arriver à faire se parler et progressivement à harmoniser ces différents ERP afin de surmonter la diversité des process et des outils utilisés. Si vous allez chercher une information et qu'elle n'est pas dans le système de consolidation, il faut pratiquement envoyer 250 mails dans l'organisation pour toucher l'ensemble des entités juridiques du groupe.

>Depuis combien de temps ce chantier tentaculaire est-il à l'oeuvre ?

Ce chantier est à l'oeuvre depuis 2019. Je suis arrivé mi-2020 donc il avait débuté depuis une grosse année déjà. Les briques élémentaires ont été mises en place, le choix d'une solution est fait et la volonté de faire évoluer et de transformer l'ensemble est bien présente. Mais maintenant il faut agir sur l'ensemble des fonctions supports. Cela continue donc d'être une importante transformation à l'oeuvre.

>Comment la fonction finance d'Imerys est-elle structurée et composée ?

Nous sommes plus de 850 personnes à travailler au sein de la fonction finance. Ce qui, une fois de plus au regard de notre taille est un nombre très élevé et une autre des conséquences directes de cet héritage de petits sites. C'est également la conséquence d'une stratégie de développement globale puisque nous sommes présents commercialement dans plus de 140 pays. C'est une réalité pour l'ensemble des fonctions supports. Nous avons donc engagé un travail important depuis fin 2019 pour centraliser un certain nombre de fonctions et un certain nombre de sous process au sein de ces fonctions. On a commencé par les ressources humaines d'abord puis une réorganisation commerciale a eu lieu en 2019 également. Concernant la finance, nous avons mené et menons encore deux types d'action : nous avons d'une part créé des centres de services partagés et d'autre part nous regroupons progressivement les middle office de comptabilité générale, de trésorerie... dans les pays. Nous avons deux centres de services partagés, un pour l'Europe, un pour l'Amérique. Nous avons donc procédé au regroupement de toutes ces fonctions de middle office et conservé un front office de controlling organisé par secteur d'activité. Il reste encore beaucoup à faire même si l'ensemble des process fonctionne et qu'on clôture quand même assez vite ! Nous avons clôturé fin juillet, les semestriels de juin par exemple donc presque aussi vite qu'une entreprise du CAC40. Au prix d'un effort conséquent, d'où cette volonté de simplification.

>A part cette transformation majeure à poursuivre, quels étaient les autres projets sur votre feuille de route à votre arrivée ?

Je suis arrivé mi 2020, en plein milieu de la Covid, donc outre cette mission première de conduire la transformation de la fonction, il y avait un enjeu de soutien du business et de contrôle des coûts accru en réaction à la baisse des volumes qui s'annonçait. 2020 a été marquée par la gestion des coûts et 2021 est plus orientée sur la gestion de la reprise avec des contraintes tout à fait différentes et des axes de suivi et de priorité qui ont changé extrêmement vite, nécessitant de fait un peu d'adaptation. Enfin, la troisième mission qu'on pourrait mettre en avant c'est le suivi par la finance de tous les engagements ESG ou RSE qui se concrétisent de deux manières : d'une part mettre à disposition de l'organisation des outils de reporting et de suivi de nos engagements que ce soit en termes environnementaux ou sociétaux. Nous faisons vivre par exemple un prix du CO2 en interne pour inciter à privilégier les investissements les plus vertueux. De même, l'émission d'une obligation indexée sur des objectifs environnementaux, en l'occurrence la baisse des émissions de CO2, a été émise tout début mai après quelques mois de travail. Ce, afin de boucler le cercle vertueux entre les engagements et les objectifs que l'on s'est fixés, et à horizon de 5 et 10 ans se donner tous les moyens possibles de les atteindre.

>Etait-ce important pour le groupe de se positionner sur ce type d'émission ?

C'était l'un des gros sujets du début d'année et oui c'est très positif d'émettre une émission de ce type. Même si nous ne sommes pas les pionniers, dans notre secteur d'activité nous sommes parmi les premiers malgré tout. De plus c'est très concret. Cette émission a été un vrai succès à la fois sur le plan financier qu'en termes d'image. Une image concrétisée par des engagements chiffrés dans la durée et qui créent une contrainte positive, était vraiment l'objectif que nous voulions atteindre.

>Qu'est-ce qui vous plaît particulièrement dans le groupe Imerys ?

On a beau être une activité industrielle de livraison de produits en fait nous avons une empreinte industrielle qui ressemble à une activité de services. Fondamentalement, certains de nos produits ne sont transportables de façon économiquement viable que sur quelques centaines de kilomètres tout au plus. Le but du jeu est d'être le plus proche du client possible. Nos clients d'ailleurs sont très variés. L'un de nos principaux objectifs est de trouver tous les jours de nouvelles applications aux minéraux que nous avons dans notre portefeuille. C'est ce qui fait l'un des intérêts de ce métier et de ce groupe.

>La fonction finance semble proche du business. A quel point est-elle investie dans l'opérationnel ?

La fonction finance est depuis toujours très proche du business, très proche des équipes aussi bien industrielles que commerciales. C'est l'un des aspects différenciants et l'un des savoir-faire d'Imerys. J'évoquais tout à l'heure la gestion des coûts en 2020 et la gestion de la reprise en 2021. Il y a des tensions inflationnistes sur un certain nombre de services ou de matières et la réactivité du groupe à absorber l'information, à s'en prémunir pendant un certain temps et à répercuter ces impacts via des hausses de prix quand c'est nécessaire, est possible grâce à cette implication de la finance. Ce dialogue entre les industriels, les acheteurs, la fonction finance qui synthétise le tout et les équipes commerciales pour gérer ces fluctuations est vraiment au coeur du métier chez Imerys. Par exemple d'un point de vue achats on a tendance à contracter sur 6 mois ou 1 an un certain nombre de matières ou de services, par exemple du transport. Nous avons en effet des minéraux qui passent par le transport maritime dont le coût a doublé, triplé voire quintuplé ces derniers temps. On s'en protège par des contrats long terme pendant un temps donné tout en suivant l'évolution des prix spot pour anticiper l'impact que cela va avoir. Nous sommes capables grâce à nos équipes " market controlling " d'estimer l'impact que cela aura sur nos prix de revient. Donc avant même de payer ces nouveaux prix on va motiver nos commerciaux pour le répercuter à nos clients et éviter de se retrouver entre le marteau et l'enclume. C'est un véritable savoir-faire d'Imerys, d'être capable de ne pas souffrir des variations de prix et de coûts et de gérer cette équation qui certes n'a que deux entrées mais qui concerne des dizaines de milliers de produits différents avec autant de paramètres à gérer. Car il faut pouvoir appliquer ces ajustements le plus intelligemment possible par produit, par marché, par géographie et par client. La réponse n'étant bien évidemment pas la même en fonction de la situation commerciale du moment. C'est l'une des forces d'Imerys et l'une des fiertés de la fonction finance de pouvoir synthétiser tout cela.

>Donc malgré une année 2020 chaotique, Imerys s'en sort plutôt très bien ?

Pour nous le plus dur de la crise a porté sur le 2e trimestre 2020 or, malgré ce gros creux d'activité, si on regarde le trimestre, nous sommes restés profitables et nous n'avons pas brûlé de cash. Donc cela veut dire que notre point mort reste en-dessous de cette baisse d'activité. Et depuis, il y a une remontée des volumes progressive. Comme nous avions fait les efforts de baisse de coûts nécessaires, nous avons pu connaître une remontée progressive du taux de profitabilité. Nous avons atteint début 2021 les niveaux de profitabilité d'avant crise, ce qui n'est toutefois pas encore le cas en termes de volumes.

>Quels sont les prochains enjeux à court et moyen terme ?

Les enjeux sont tout d'abord de terminer 2021 en naviguant avec l'ensemble des tensions logistiques qui sont aussi vraies pour nous que pour nos clients et nos fournisseurs. Nous avions, en 2020, fait un choix délibéré de ne pas réduire nos capacités de production de façon pérenne. Nous n'avons donc pas fermé de grands sites mais mis en place des méthodes rigoureuses de baisse des coûts temporaires, ce qui nous a permis de rebondir très vite à partir du moment où les volumes revenaient à un niveau important. Nous avons annoncé un retour en terme d'activité à 4,2 Md€ d'activité en 2021 donc une belle augmentation par rapport à 2020 mais presque au niveau de 2019. Donc nous devrions l'année prochaine revenir sur l'ensemble des métiers à un rythme normal et continuer à concentrer un certain nombre de moyens sur les marchés prometteurs à développer. Par exemple, nous avons des produits assez sophistiqués qui entrent dans la composition des batteries lithium-ion utilisées pour les véhicules électriques notamment. C'est un marché en très forte croissance avec des capacités de production qui se mettent en place en Europe. Nous avons un modèle où nous produisons en Europe et où nous livrons en Asie où se trouvaient les producteurs de batteries électriques. De grosses capacités se mettant en place en Europe, nous sommes en train de doubler, ou de tripler suivant les sites, les capacités de production.

Donc identifier et mettre en oeuvre des augmentations de capacité sur des niches de marché qui sont en croissance et continuer à élargir notre empreinte industrielle et commerciale constituent les principaux enjeux de 2022.

>Pendant cette période de crise la fonction finance et la place du Daf ont-elles évolué ?

A plusieurs niveaux, cette crise sanitaire a permis d'accélérer un certain nombre de tendances. Plus au niveau du management que dans la technicité du métier en tant que tel. Nous avons les mêmes points d'attention que dans l'ensemble de la société. Etre capable d'être plus flexible sur la localisation géographique par exemple, adapter l'organisation du travail pour garder les aspects positifs de cette flexibilité tout en gardant la possibilité d'être ensemble de façon régulière. Technologiquement le groupe avait fait le choix de mettre en place des outils collaboratifs dès 2019 et on remercie aujourd'hui cette décision car nous n'aurions pu passer toute cette période sans perturbation majeure si nous n'avions pas eu tous ces outils collaboratifs.

Sur le métier en tant que tel, les piliers principaux que sont le soutien du business, la publication des comptes et l'information financière au sens large et le renforcement du contrôle interne, sont toujours présents. Le gros changement qui a eu lieu en un an c'est la prise en compte par nos métiers des aspects RSE. S'assurer que l'ensemble des systèmes financiers puissent s'adapter pour suivre l'information extra-financière, ça c'est nouveau. Avoir des process internes de décision, de choix d'investissement, de choix de localisation, de choix de fournisseurs qui prennent en compte cet aspect-là c'est vraiment le nouveau gros focus de la fonction. Ce n'est pas parce que nous avons une fonction de spécialiste que nous devons nous éloigner de ces choix importants. Les aspects notamment environnementaux sont passés très haut sur la liste des priorités et il nous faut être le plus pro-actifs possible en la matière. On en parlait depuis longtemps, on le voyait comme une contrainte, mais le changement est que maintenant la fonction et plus largement les comex ont compris qu'il fallait faire de cette contrainte une opportunité de croissance. C'est à prendre en compte d'un point de vue financier, c'est à valoriser, et il revient au Daf de faire ce travail d'accompagnement et d'explication.

Repères :

Raison sociale : Imerys

Activité : spécialités minérales pour l'industrie

Forme juridique : SA

Directeur général : Alessandr Dazza

Directeur financier : Sébastien Rouge

Siège : Paris (75)

Effectif global : 16 000

CA 2020 : 3,8 Mds€

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