Triple comptabilité : un électrochoc pour les entreprises

Et si une entreprise, affichant un bénéfice financier, détruisait pourtant sa propre valeur en générant une dette écologique ou sociale ? C'est à cette question que répond la triple comptabilité, désormais soutenue par une chaire de recherche inédite lancée le 9 septembre 2025 par Goodwill-management et l'Aix-Marseille School of Economics (AMSE), avec l'appui de l'Institut Louis Bachelier.

Mesurer au-delà de l'argent

La comptabilité traditionnelle enregistre uniquement les flux financiers. Les destructions de capital naturel (climat, eau, biodiversité) ou humain (santé, compétences, cohésion sociale) restent invisibles dans les bilans, alors même qu'elles conditionnent la pérennité des entreprises. La triple comptabilité propose de combler cette faille.

Développée par Goodwill-management depuis plus de dix ans, la méthode Thésaurus-3K (T3K) fonctionne comme une comptabilité classique, mais enrichie de deux volets :

- La valeur sociale et sociétale créée ou détruite (précarité, inclusion, accidents du travail, formation, écarts salariaux, etc.)

- La dette environnementale (émissions de gaz à effet de serre, consommation d'eau, artificialisation des sols, extraction des ressources, pollution, etc.)

Chaque impact est converti en équivalents monétaires, permettant au dirigeant de disposer d'un bilan et d'un compte de résultat élargis. « Une société peut afficher un bénéfice financier de 1 million d'euros tout en générant 2 millions d'euros de dette environnementale. Dans une telle situation, l'entreprise n'est pas créatrice de valeur mais destructrice », rappelle Alan Fustec, fondateur de Goodwill-management et directeur de la chaire, dans un communiqué.

Cet outil agit comme un miroir sans concession : il révèle de façon binaire si l'entreprise crée ou détruit de la valeur globale. En ce sens, il dépasse la logique des centaines d'indicateurs ESG souvent jugés complexes et peu lisibles.

Laboratoire d'innovation comptable

Si la méthode T3K est déjà opérationnelle et compatible avec la CSRD, elle doit encore gagner en robustesse scientifique. C'est précisément l'objectif de la Chaire Triple Comptabilité, confiée à Alan Fustec (directeur) et Raouf Boucekkine (directeur scientifique, professeur AMU).

Hébergée par l'AMSE, soutenue par plusieurs mécènes (Baker Tilly, Ekodev, ERB, Nexity) et en lien avec le Stockholm Resilience Centre, la chaire dispose d'un programme de recherche de trois ans :
- Année 1 : amélioration scientifique de la méthode et revue critique des modèles existants.

- Année 2 : expérimentation auprès d'entreprises volontaires.

- Année 3 : approfondissement de la recherche fondamentale sur la notion de valeur.

Au-delà de l'application pratique, la chaire explorera des pistes théoriques ambitieuses : repenser la valeur en lien avec la thermodynamique, évaluer l'impact d'une activité sur la biodiversité, ou encore modéliser l'appauvrissement lié au dépassement des limites planétaires.

Pont entre science et entreprise

« La recherche avance très vite sur l'évaluation de l'impact environnemental, notamment sur la biodiversité. Le rôle de la chaire est de doter les entreprises d'outils fiables et opérationnels, pour aligner leurs modèles avec ces limites. Remettre la science au coeur des pratiques économiques est une condition pour piloter durablement », souligne Raouf Boucekkine.

À terme, la Chaire Triple Comptabilité ambitionne de fournir aux entreprises un langage simple, robuste et universel, préparant l'application concrète du principe pollueur-payeur. Elle veut ainsi ouvrir la voie à une nouvelle ère : celle d'une comptabilité qui intègre pleinement la réalité sociale et écologique, et redéfinit ce que signifie réellement « créer de la valeur ».