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M&A : la crise va-t-elle créer des opportunités ?

La crise actuelle va nécessairement obliger certaines entreprises à céder des actifs. Faut-il sauter sur ces opportunités ? En cette période d'incertitudes, c'est avant tout la prudence qui est de mise.

Publié par Eve Mennesson le - mis à jour à
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M&A : la crise va-t-elle créer des opportunités ?
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Alors que le début d'année fut très actif sur le marché du M&A, un net ralentissement est à noter depuis deux mois. La crise a en effet conduit au report de nombreux deals, à des renégociations des conditions, voire même à des annulations... Le souci actuel des entreprises est plus de chercher à sortir d'un deal dont elles ne veulent plus que d'en nouer de nouveaux. "Il y a bien moins de processus de cession qui sont lancés. Nous sommes pour l'instant dans l'attente d'une vraie reprise, même s'il y a des opportunités, par exemple dans le digital, ou encore en Afrique, qui est un continent résilient face au virus", constate Marc Petitier, avocat associé chez Linklaters.

Il est pourtant probable que, d'ici quelques semaines, des actifs intéressants apparaissent sur le marché qui, de plus, pourront être acquis à bon compte. D'un autre côté, les risques liés à ces acquisitions seront plus importants. Ces opportunités d'acquisition sont-elles, dans ce cas, réellement intéressantes. Faut-il les saisir ?

Peu d'effets d'aubaine

"La situation n'est pas la même qu'en 2008 : ce n'est pas une crise des liquidités, l'argent est là, observe Arnaud Moussatoff. Mais il est difficile de faire rencontrer l'offre et la demande en raison des risques." Des opérations ont quand même lieu mais les volumes ne seront pas élevés et on peut s'attendre à un fort ralentissement jusqu'au second semestre 2021 en raison du manque de visibilité.

"Deux typologies d'opérations ont toujours lieu, constate Jacques Giard, managing director et responsable du bureau de Paris de Duff & Phelps, celles dans une logique "distressed", c'est-à-dire des situations compliquées qui le sont devenues encore plus avec la crise, et celles concernant au contraire des business qui n'ont pas souffert de la crise ou qui parient sur un rapide retour à la normale comme le digital, certains segments du btoc ou encore les infrastructures de qualité". Il y a donc deux sortes d'acquéreurs : ceux qui voient l'occasion d'acquérir un concurrent ou de s'ouvrir à de nouveaux marchés à un prix intéressant et ceux qui acquièrent au contraire des sociétés qui ont montré leur robustesse face à la crise.

Didier Bruère-Dawson, avocat associé au sein du cabinet Brown Rudnick, met en garde contre les effets d'aubaine : "Le distressed M&A a changé de figure. Il va être plus difficile que prévu de trouver des victimes faciles". Pour étayer son raisonnement, il s'appuie sur une ordonnance du 20 mai 2020 adaptant les règles relatives aux difficultés des entreprises aux conséquences de l'épidémie de Covid-19. Parmi les mesures adoptées, la possibilité pour le conciliateur de saisir le juge afin de suspendre pendant deux ans les créances de créditeurs qui refusent la discussion et, surtout, un accès simplifié au plan de cession interne (ou plan phoenix) qui permet de faire adopter un plan de cession au profit du dirigeant (l'entreprise est alors débarrassée de ses dettes et peut prendre un nouveau départ). Le legislateur préfère donc favoriser le rebond des sociétés endettées plutôt que le rachat de ces dernières par des acquéreurs.

Didier Bruère-Dawson pense cependant que des reprises de société à la barre du tribunal auront lieu, notamment dans quelques mois, quand l'activité aura réellement repris et que les entreprises devront à la fois rembourser leurs dettes et faire redémarrer leur activité. "Il y aura également des concentrations pour dégager du cash et se réinventer", ajoute-t-il.

Difficile analyse

Pour Didier Bruère-Dawson c'est avant tout parce qu'il est difficile de produire des business plans sur nombre d'activités que le marché des fusions-acquisitions est encore atone : "Pour acheter, il faut des business plan. Or, aujourd'hui, on tâtonne : quel sera le business model de la restauration avec la distanciation physique, celui de l'aviation avec des avions non remplis et une rotation moins rapide à cause de la désinfection des appareils, etc... ?"

En effet, la préparation est clé en matière d'acquisition. Elle l'est même d'autant plus dans ce contexte de crise. "Il faut renforcer la phase d'audit et mener une due diligence plus poussée", recommande Marc Petitier pour qui la fermeture des frontières et la distanciation physique ne sont pas des obstacles complétement insurmontables : "Les data rooms ne sont plus physiques depuis longtemps, des outils de visio-conférence peuvent être utilisés pour la négociation et des visites de site à distance ont même pu être effectuées par un représentant de la société muni d' une GoPro ou même avec des drones".

Nicolas Depardieu, managing director chez Pagemill Partners, la division M&A Technologies de Duff & Phelps invite à mener une analyse fine des metrics sur l'évolution de la conquête clients, le churn attendu, etc... "La capacité du repreneur a financer le BFR sera primordiale, poursuit Arnaud Moussatoff. Mais cela repose sur des prévisions reposant sur des hypothèses de reprise totalement incertaines". En matière d'acquisition, la prudence est donc de mise pour encore de longs mois.

Et du côté des vendeurs ?

Pour vendre au meilleur prix, les vendeurs doivent eux aussi bien se préparer."Il faut mener des travaux de prévision quant à l'avenir de la société, l'impact que va avoir cette crise. Ce seront immanquablement des questions qui seront posées par les acquéreurs", pense Marc Petitier. "Un fonds d'investissement cherchera à comprendre comment est pilotée l'entreprise, ce qui a été mis en place en cette période de crise et l'impact sur les cash flows", poursuit Jacques Giard. Arnaud Moussatoff souligne l'importance que vont revêtir les managers sur qui reposera la lourde tâche de redonner confiance aux partenaires.

Ce sont avant tout les entreprises résilientes qui intéressent les investisseurs en cette période de crise. "Les business models robustes créent un effet de rareté", constate Enguerran de Crémiers, managing director chez Duff & Phelps. Il est donc important de mettre en avant la capacité de sa société à se repositionner avec agilité et à faire face à de nouveaux défis. "Le business plan doit être ajusté pour faire apparaitre la période chahutée par le Covid et le retour à la normale le moment venu, étayé par un argumentaire solide quant à la résilience du sous-jacent à terme", recommande Jacques Giard.

Pour les vendeurs en situation difficile, une faut adopter la stratégie la moins destructrice de valeur possible. Nicolas Depardieu conseille dans le cas de la cession d'une société sévèrement impactée par la crise actuelle de ne pas multiplier les contacts avec de nombreux acquéreurs potentiels mais au contraire de privilégier les relations de qualité : "Il y a des synergies à trouver, une equity story à travailler afin de faire comprendre pourquoi cela ferait sens d'acheter cette société". L'equity story doit être adaptée à l'acquéreur afin de lui mâcher son travail d'audit.


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