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DossierInnovation : quelles responsabilités pour le Daf ?

Publié par Bénédicte Gouttebroze le

4 - ROI de l'innovation : la quête du Graal ?

Innover pour rester dans la course... mais pas à n'importe quel prix. Il revient aux directions financières de s'assurer de la rentabilité des projets et de la productivité des directions R&D. Un arbitrage essentiel et délicat.

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Avec l'accélération du cycle de vie des produits, les départements R&D doivent proposer des innovations à un rythme de plus en plus soutenu, dans un contexte où les ressources sont tendues. " Pendant longtemps, les budgets R&D ont été des "boîtes noires" pour les directions générales ", constate Julien Besse, directeur associé de Sinnogen, cabinet de conseil en management de l'innovation. Une enveloppe globale était accordée à la R&D par les Daf, sans qu'ils aient un véritable droit de regard sur la productivité des ressources allouées. Mais l'efficacité de la R&D est devenue un enjeu stratégique : " Aujourd'hui, les directions générales "challengent" de plus en plus les chercheurs sur l'utilisation des ressources et leur productivité ", observe-t-il. Et avant d'investir dans un projet, elles s'interrogent également sur sa future rentabilité.

Des décisions cruciales pour les PME

Un constat encore plus vrai pour les PME. Pour elles, la question se pose de façon vitale. Pour Stéphane Nitenberg, directeur général de la société Aston, fabricant français de solutions pour la télévision numérique et interactive, " rien ne serait pire que des projets qui n'aboutissent pas ". Cette PME, qui a fait de l'innovation un critère de différenciation concurrentielle, alloue 15 % de son chiffre d'affaires à la R&D. Son ambition : proposer des produits répondant toujours mieux aux besoins des clients dans le domaine de la télévision numérique. L'entreprise, qui n'a pas recours à l'emprunt pour financer l'innovation, est très sélective sur le choix de ses projets. Stéphane Nitenberg explique que ces derniers sont déterminés par des réelles perspectives de débouchés commerciaux : ils doivent permettre de faire fonctionner les sites de production, dont l'un est en France. La PME prend donc le temps d'explorer les projets en profondeur et de s'assurer d'avoir des retombées concrètes avant de les mettre en oeuvre : quitte à les réaliser le plus rapidement pour être la première à proposer ces produits sur le marché.

Pour sa part, Nicolas Fellmann, Daf de Bio Alliance Pharma, confirme que, pour sélectionner les programmes d'investissement, " nous vérifions que notre projet répond à un besoin médical non satisfait et qu'il aura un réel potentiel de ventes. Nous étudions le ROI attendu et déterminons la valeur actuelle nette du projet, même si le prix de vente du produit ne peut pas être connu à l'avance dans la mesure où nous devons engager des coûts et des investissements sur le long terme ".

Un retour sur investissement difficile à calculer avec précision

Par définition, miser sur un projet innovant comporte de nombreux risques : ne pas aboutir à un résultat avant de longues années, ou arriver trop tôt sur le marché et ne pas rencontrer les débouchés commerciaux envisagés au risque de devoir investir davantage et plus longtemps que prévu. Dans les biotechnologies, il faut en général au moins 15 ans avant de mettre sur le marché une nouvelle molécule.

Les fonds de capital-risque, habitués à évaluer et sélectionner les entreprises selon les projets qu'elles portent, le savent bien : " Les projets innovants sont par nature périlleux. Le taux d'échec dans le "venture capital" reste important ", concède François Cavalié, directeur général du fonds XAnge Private Equity. Dans ces conditions, calculer un ROI avant de financer un projet est hypothétique, même si l'exercice est un passage obligé, notamment lorsqu'il s'agit de convaincre un investisseur. " Nous finançons la phase durant laquelle l'entreprise apporte une triple démonstration : sa capacité à reproduire et à industrialiser l'innovation (scaling en anglais), l'existence d'un marché solvable et en croissance et la possibilité de mettre en oeuvre un modèle économique viable ", avance Bernard Maître, président du directoire du fonds d'amorçage Emertec, qui étudie environ 250 projets par an.

Une fois le produit lancé, le calcul du ROI n'est pas aisé. Après avoir tracé les coûts inhérents aux différentes fonctions de l'innovation (R&D, industriel, marketing, commercial...), la quantification des retours sur investissement peut être complexe. Au-delà du chiffre d'affaires dégagé par les nouveaux produits, les bénéfices immatériels ne sont pas mesurables. "Les travaux de la R&D modifient l'image de l'entreprise auprès de ses clients", fait remarquer Julien Besse (Sinnogen). Et les effets de la R&D ne se concrétisent généralement qu'à très long terme dans les comptes des entreprises. Même si le calcul a priori du ROI permet de rationaliser les choix d'investissement, " il n'existe en la matière ni ratio, ni standard. Les calculs de rentabilité des projets doivent prévoir plusieurs hypothèses et définir les efforts de financement nécessaires en fonction des différents scénarios ", résume François Cavalié (XAnge Private Equity).

Et surtout, le calcul doit être réactualisé au fil de l'eau. " Tout au long du projet, nous réexaminons la question de la création de valeur par une veille médicale et économique régulière ", indique Nicolas Fellmann. " Il faut mettre en place les indicateurs-clés en fonction du métier : nombre de prospects, durée nécessaire pour transformer un prospect en client... ", conseille Éric Harlé, président du fonds d'amorçage i-Source gestion, spécialisé dans le secteur technologique.

Attention à ne pas tuer l'innovation

Une enquête de Lowendalmasaï sur le management de l'innovation révèle que les PME et ETI sont mieux outillées que les grands groupes pour suivre leurs projets d'innovation : ce qui s'explique probablement par un nombre de projets plus restreint et par des systèmes d'information plus agiles. Autre enseignement de l'enquête : le ROI est pris en compte dès l'étape de sélection des idées par 30 % des entreprises. Loin devant le coût total du projet, la rentabilité arrive en tête des critères de sélection des idées.

Mais selon Hervé Estampes, directeur du pôle fiscal et financier de Lowendalmasaï, en phase de sélection des idées, " ce n'est pas forcément une attitude vertueuse ; elle est même probablement pénalisante, en particulier pour l'innovation de rupture ". Selon cet expert, le calcul du ROI est forcément biaisé et repose sur des hypothèses fluctuantes qui vont peut-être se dégonfler au fil de l'avancement du projet. Par conséquent, plutôt que de se focaliser sur le ROI, Hervé Estampes recommande de piloter les projets d'innovation par un suivi des moyens alloués, des jalons-clés et des perspectives de développement, à comparer au business plan initial. Parmi ces repères, l'obtention d'un brevet, la signature de partenariats et de contrats commerciaux permettront de fixer un axe de développement. Quitte à décider d'arrêter le projet : " Dédramatiser les échecs est un objectif-clé pour concentrer les ressources sur des projets prometteurs, dans un domaine où l'acharnement thérapeutique peut devenir très coûteux", souligne Sébastien Grilli, directeur associé de Sinnogen.

Au Daf de veiller à la maîtrise des risques et des coûts, tout en préservant un environnement propice à l'étincelle créative. Patrick Haouat, associé du cabinet de conseil en innovation Erdyn, souligne ainsi que " malgré la crise, le budget de l'innovation doit être sanctuarisé ".

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