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La publication des comptes, une loi si française....

Moins de la moitié des entreprises françaises publient leurs comptes. Moins de la moitié des entreprises françaises respectent donc la réglementation sur le sujet. Un choix que beaucoup de Daf assument, tout en insistant sur la nécessité de la transparence financière.

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La publication des comptes, une loi si française....

Les chiffres sont édifiants. Selon une étude publiée fin 2020 par Infolégale, spécialiste de la solvabilité et de l'information sur les sociétés, 51% des entreprises françaises n'ont pas déposé leurs comptes en 2020 (pour l'exercice 2019 donc). Ces proportions sont variables selon les régions. Les Pays de la Loire sont ainsi les bons élèves avec " seulement " 43,1% des entreprises qui n'ont pas publié leurs comptes (période du 1er novembre 2019 au 31 octobre 2020). L'Ile-de-France est la lanterne rouge avec 71,1% de comptes non publiés. 61,6% en PACA et 62,8% en Corse... Dans les départements d'Outre-Mer, ce sont même 88% des entreprises qui ne déposent pas.

Au-delà de la géographie, certains secteurs d'activité sont plus frileux que d'autres. Toujours selon les chiffres d'Infolégale, les activités de location ne seraient ainsi que 17,9% à publier leurs comptes, 19% pour l'industrie de l'habillement, 27,4% pour les télécommunications... A l'inverse, les activités liées à l'industrie semblent plus respectueuses de la réglementation française.

Des entreprises frileuses sur la publication des comptes

Réglementation qui théoriquement devrait être respectée par tous mais qui, dans les faits, se solde par des sanctions peu incitatives : 1500 euros d'amende seulement, 3000 euros en cas de récidive. Ceci expliquant sans doute cela, les entreprises françaises ont donc pris l'habitude de s'autoriser quelques libertés avec la loi. " Les raisons sont multiples : certaines entreprises ne veulent pas faire état d'un bilan défavorable, pour d'autres il s'agit de ne pas donner d'informations stratégiques à un concurrent, un client ou un fournisseur. Ceux travaillant avec la grande distribution ou le BTP publient rarement par exemple, afin de ne pas dévoiler un bilan qu'un acheteur pourrait utiliser pour négocier les prix. C'est le cas dans tous les secteurs où les rapports de force entre clients et fournisseurs sont très déséquilibrés ", explique Frédéric Julien, président d'Infolégale. Une situation que l'analyste juge tout à fait anormale : " Ces non-publications nuisent à la transparence des entreprises. Or, on sait que la majorité des défaillances viennent d'un retard de paiement ou d'un impayé. Toutes les entreprises devraient avoir les moyens de vérifier l'état de leurs partenaires ".

D'autant que sur les 49 % d'entreprises jouant le jeu de la publication, 6 sur 10 font valoir leur droit à la confidentialité comme la loi les y autorise depuis 2014 en fonction de certains critères d'effectifs et de chiffre d'affaires. Finalement, entre celles qui n'y sont pas obligées (entreprises individuelles etc), celles qui choisissent de ne pas publier et celles qui optent pour l'option de confidentialité, seuls 600 000 comptes français (sur un total de 10 millions d'entités) sont disponibles...

Maitriser la communication sur ses finances

Lionel Gouget, directeur administratif et financier pendant 30 ans (dont 10 en restructuring), et désormais directeur associé de Valtus, a choisi à plusieurs reprises au cours de sa carrière de ne pas publier. " Je suis absolument pour la transparence financière mais j'aime bien la piloter. Les conditions actuelles de dépôt des comptes n'ont pas beaucoup d'intérêt selon moi et manquent de profondeur. Elles ne permettent pas une mise en perspective ", explique-t-il. " Et puis, dans certaines situations, lorsqu'une entreprise fait partie d'un groupe par exemple, les comptes ne signifient pas forcément grand-chose ".

Même position du côté de Paul Labadie, ex-directeur financier d'Ornikar, désormais Daf à temps partagé. " Dans le cas des start-ups, les premières publications peuvent faire très peur aux clients non avertis. C'est déjà assez difficile de se développer sur de nouveaux marchés sans offrir, en plus, l'accès à ses comptes à des personnes qui ne savent pas forcément lire des bilans comptables correctement, un directeur commercial par exemple, un directeur commercial ou un particulier. Dans certains cas, mieux vaut donc payer 1500 euros d'amende ". Et de rappeler que les comptes ne sont de toute façon pas accessibles avant au moins 6 à 8 mois après la clôture. " Dans une start-up en forte croissance, ils ne veulent absolument plus rien dire à ce moment-là ".

Si les deux Daf ne sont donc pas particulièrement friands de cette règle bien française, ils s'accordent aussi sur la nécessité de communiquer avec ses partenaires. " La transparence financière est indispensable. Il ne s'agit pas de créer des contre-vérités mais bien de maîtriser la circulation des informations. Je réponds donc toujours aux questions des clients, prospects et fournisseurs, je leur explique très clairement la situation même si celle-ci est difficile. C'est quand même bien mieux que cette liasse fiscale transmise au Tribunal ", tacle Paul Labadie. Lionel Gouget confirme : " Je préfère présenter mes comptes en direct et les commenter. Il faut bien comprendre que cette publication des comptes ne représente qu'une toute petite partie de la communication financière. En revanche, il est impératif de répondre aux sollicitations des partenaires, des banques, des assurances crédit ou de la Banque de France par exemple. Y compris, et peut-être surtout, lorsqu'on en est difficulté ".

Focus

Peut-on faire confiance à une entreprise qui ne publie pas ses comptes ?

" Moi-même, pour mon entreprise, je publie les comptes car cela ne me met pas en situation de faiblesse. Mais je ne suis pas une ayatollah de la publication ou de la non-publication. Il s'agit de toute façon d'une règle bien française, la question ne se pose même pas pour les partenaires étrangers ", souligne Florence Dumas, directrice administrative et financière de l'entreprise Eurotab, en région stéphanoise, spécialiste de la compression de poudres pour les produits d'entretien notamment (65 millions d'euros de chiffre d'affaires). " Sans compter que les retournements peuvent être très violents, notamment dans ce contexte de crise. Les comptes que l'on peut consulter, après publication, sont déjà obsolètes en réalité ". Dans ces conditions, elle ne fait pas de la publication des comptes, une condition de partenariat. " Nous sommes en revanche très vigilants sur la situation financière de nos partenaires. Nous travaillons avec nos commerciaux pour obtenir des éléments. Et si nous identifions un danger, nous limitons les risques par différents biais comme le paiement à l'avance par exemple ".

Pour Françoise Malabard-Manassero, Daf de transition, la non-publication ne représente pas non plus un obstacle à une collaboration. " Les non-publications peuvent être justifiées par rapport à la concurrence ou parce que les comptes ne veulent rien dire dans le cadre de consolidation. En revanche, si vous demandez les comptes au partenaire et qu'il refuse, là, vous pouvez penser qu'il cache probablement quelque chose... ".

Alain Falomir, senior manager dans l'équipe Cash Flow Services d'EY, conseille donc d'adopter une attitude prudente, pas uniquement centrée sur l'analyse des comptes publiés. " Ceux-ci ont un intérêt, on peut y trouver un certain nombre d'informations mais il ne s'agit que d'une photo à un instant T, qu'on ne peut consulter que plusieurs mois après ". L'expert suggère ainsi d'autres vecteurs d'informations, plus pertinents car plus actualisés, notamment les échanges directs entre financiers d'entreprise mais aussi les services proposés par des fournisseurs d'information financière ou des éditeurs de logiciels.

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