Vers un bouleversement des critères d'éligibilité au statut d'agent commercial
Dans un arrêt important et en rupture avec la jurisprudence constante de la Cour de cassation, la CJUE a retenu une définition élargie de l'agent commercial. Cette décision pourrait conduire à la requalification de certains contrats d'intermédiaire en contrat d'agence commerciale.
Afin de développer leur activité commerciale, les entreprises peuvent recourir aux services d'intermédiaires pour les assister dans la recherche de nouveaux clients, dans le développement de leurs relations existantes ainsi que dans la négociation et la conclusion d'accords commerciaux.
Il existe en droit français différents statuts applicables à ces intermédiaires en fonction de la nature de leurs prestations (courtier, commissionnaire, mandataire, agent commercial, etc.).
Le statut de l'agent commercial présente la particularité d'ouvrir le droit, pour l'intermédiaire, à une indemnité de rupture (article L134-12 du code de commerce) que les tribunaux évaluent quasi-mécaniquement à deux années de commissions.
La Cour de justice de l'Union Européenne (CJUE) a rendu un arrêt le 4 juin 2020 qui étend l'application du statut d'agent commercial bien au-delà de la conception retenue par les tribunaux français (C-828/18). Cette décision est susceptible d'ouvrir la voie à une requalification des contrats d'intermédiation en contrats d'agence commerciale.
Un arrêt en rupture avec la jurisprudence française sur le statut d'agent commercial
Transposant la directive 86/653/CEE, l'article L134-1 du code de commerce fixe trois conditions cumulatives permettant de qualifier un intermédiaire d'agent commercial. Celui-ci doit :
- être indépendant ;- être lié de façon permanente au mandant ;
- disposer du pouvoir de négocier, voire de conclure, des contrats de vente, d'achat ou de prestation de services au nom et pour le compte du mandant.
S'agissant de la troisième condition, la Cour de cassation considère que le pouvoir de négociation de l'agent commercial implique nécessairement que celui-ci soit doté du pouvoir de modifier les prix du mandant sans l'accord préalable de ce dernier.
Il s'agit d'une conception restreinte du pouvoir de négociation qui permet aux mandants de se soustraire au dispositif protecteur des agents commerciaux en interdisant à leurs intermédiaires de modifier les prix.
Saisie d'une question préjudicielle par le tribunal de commerce de Paris, la CJUE remet en cause cette interprétation restrictive considérant que :
" une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d'agent commercial ".
La CJUE se fonde sur plusieurs arguments :
· en l'absence de définition légale et de renvoi aux droits nationaux dans la directive 86/653/CEE, la CJUE souligne que le terme " négocier " est une notion autonome du droit de l'UE devant être interprétée de manière uniforme dans l'ensemble des Etats membres. A ce titre, la CJUE note que certaines traductions (notamment allemande et polonaise) du terme " négocier " de la directive renvoient à l'expression plus large de " servir d'intermédiaire ".
· La CJUE relève que " les tâches principales d'un agent commercial consistent à apporter de nouveaux clients au commettant et à développer les opérations avec les clients existants ".
Ces tâches principales, poursuit la CJUE, peuvent être assurées par l'agent commercial " au moyen d'actions d'information et de conseil ainsi que de discussions qui sont de nature à favoriser la conclusion de l'opération de vente des marchandises pour le compte du commettant, sans que l'agent commercial dispose de la faculté de modifier les prix desdites marchandises ".
La CJUE en déduit que l'accomplissement de ces tâches principales peut être réalisé par un agent commercial qui ne dispose d'aucun pouvoir pour modifier les prix.
· La CJUE rappelle que la directive 86/653/CEE vise à protéger les agents commerciaux dans leurs relations avec leurs mandants, notamment par l'octroi d'une indemnité compensatrice que perçoit l'agent commercial en cas de cessation du contrat par le mandant.
Selon la CJUE, une interprétation restrictive de la directive limiterait la portée de cette protection en excluant toutes les personnes qui sont dépourvues de la faculté de modifier les prix.
Un arrêt ouvrant la voie à une requalification des contrats d'intermédiation en contrats d'agence commerciale
La décision de la CJUE est susceptible d'entrainer la requalification en agent commercial d'un grand nombre d'intermédiaires tels que les courtiers, les apporteurs d'affaires, les commissionnaires ou les mandataires dès lors que ces intermédiaires :
- réalisent des actions d'information et de conseil auprès des clients/prospects du mandant et discutent avec ces derniers afin de favoriser la vente des marchandises du mandant ;
- apportent au mandant de nouveaux clients et/ou développe des opérations avec les clients existants.
Cette décision ouvre donc la voie à des revendications et/ou actions de la part d'intermédiaires afin de solliciter la requalification de leurs contrats en contrat d'agence commerciale et de bénéficier d'un droit à indemnité en cas de rupture du contrat par le mandant.
Les décisions à venir des juridictions françaises sur ce sujet seront scrutées avec attention car elles devraient délimiter les nouvelles lignes de partage entre les différents types d'intermédiaires.
Il semble toutefois indispensable, pour les entreprises faisant appel à des intermédiaires pour le développement de leurs activités commerciales, de réaliser dès à présent une cartographie des accords conclus avec ces derniers et d'analyser les missions qui leur sont dévolues afin d'évaluer le risque de requalification en contrat d'agence commerciale et de mesurer l'impact financier d'une telle requalification.
A l'aune de cette analyse, il pourrait s'avérer nécessaire :
· d'adapter les contrats et les missions confiées à l'intermédiaire afin de limiter le risque de requalification en agent commercial ;
· d'adapter les modalités de rémunération de l'intermédiaire afin d'anticiper le versement éventuel d'une indemnité de fin de contrat ;
· de redéfinir plus globalement sa stratégie de distribution en recourant à d'autres schémas juridiques (notamment l'achat-revente).
Hugues Villey- Desmeserts, avocat associé du cabinet BCTG avocats, expert en droit de la concurrence, de la distribution et des contrats.
François Dauba, avocat associé du cabinet BCTG avocats, expert en droit de la concurrence, de la distribution et des contrats.
Florent Roy, avocat collaborateur exerçant au sein du département " concurrence, distribution, contrats " du cabinet BCTG avocats
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