Faillites d'entreprises : que vaut le régime d'insolvabilité français?
La multiplication des faillites d'entreprises met en lumière le système bancal des restructurations d'entreprises en France et son régime d'insolvabilité. Un système trop favorable aux débiteurs, un métier d'administrateur judiciaire trop "fermé, ... l'Institut Thomas More décrypte ce mal français.
Plus de 60 000 défaillances d'entreprises sont prévues en 2021, soit +32% par rapport à 2020, selon Euler Hermes. Sans compter un taux de chômage qui devrait être proche de 11%, selon la Banque de France.
Or, "Il existe beaucoup de procédures mal connues ou compliquées dans le système des restructurations d'entreprises. C'est le cas par exemple de la procédure de sauvegarde", explique Sébastien Laye, chercheur associé à l'Institut Thomas More et auteur d'une note qui compare le régime d'insolvabilité francçais à celui de huit pays*. Et si les grandes entreprises maîtrisent mieux le sujet, ce n'est pas le cas des TPE/PME. C'est pourquoi, l'Etat a sélectionnée 22 cabinets de conseils, à la suite d'un appel d'offres lancé à l'automne 2020, pour faire face au grand nombre d'entreprises en difficulté.
Face à ce "tsunami" d'entreprises en difficulté, René Ricol vient de remettre un rapport au premier ministre le 15 avril dernier pour une réforme complète des procédures de restructurations d'entreprises.
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Un système français trop favorable aux débiteurs
Selon l'étude comparative publiée par l'Institut Thomas More, le régime d'insolvabilité français est médiocre et peu performant. Ainsi, dans le classement Doing Business de la Banque mondiale des régimes d'insolvabilité, la France pointe au 26e rang, loin derrière la Finlande (1e), les États-Unis (2e), l'Allemagne (4e) et le Danemark (6e).
La raison ? "La mauvaise place de la France s'explique en partie par le fait que le droit français donne plus souvent raison aux débiteurs au détriment des créanciers", explique Sébastien Laye. Des créanciers trop souvent victimes de "procédures trop rigides et insuffisamment protectrices. Or, c'est un sujet de financement de l'économie plus large. Car un créancier échaudé ne voudra plus réinvestir", souligne l'auteur de l'étude. Selon le Club des juristes, think tank juridique français, les réformes à venir issues de la loi Pacte et de la Directive Insolvabilité, qui entreront en vigueur d'ici l'été 2021, devraient se traduire par un rééquilibrage de notre droit en faveur des créanciers.
Opacité des tribunaux et métier fermé
Toujours selon cette étude, les praticiens de l'insolvabilité en France sont un métier fermé avec un "mode de rémunération insuffisamment encadré". Les administrateurs et mandataires judiciaires " à la française " n'ont pas d'équivalents dans les pays comparés où leur rôle est assumé par des avocats, des comptables ou des professionnels du monde économique. Il en résulte notamment en France des conflits d'intérêts. "Le système opaque des tribunaux de commerce, la durée des procédures et le coût des administrateurs judiciaires sont non négligeables", détaille Sébastien Laye. Il plaide pour une ouverture de la profession et des règles sur la rémunération. Une problématique également soulevée dans le rapport Ricol.
Un manque d'outils de prévention
Selon l'étude, les instruments franc?ais de prévention des difficultés sont plutôt dans le bas des standards occidentaux. En matière de régimes de pré-insolvabilité, on ne va trouver d'effectives en France que des procédures à l'amiable, là où plusieurs pays ont mis en place des mécanismes d'alerte précoce aussi performants que lors d'une faillite ou une liquidation judiciaire. Ainsi, certains pays ont aussi fait le choix d'un régime spécifique pour les PME. "Nous plaidons pour une meilleure information des créanciers avec des reportings financiers plus stricts ou un pouvoir d'initiative plus grand", souligne Sébastien Laye.
Les outils de restructuration français limitent le financement des entreprises hexagonales. Une question qui se posera d'autant plus violemment avec le remboursement des PGE (Prêts garantis par l'État). "Notre pays pourrait s'inspirer de plusieurs de ses partenaires européens qui ont adopté des mécanismes de sécurisation des investisseurs avant un apport de financement", selon l'auteur.
L'exception française : la protection des salariés
Il ressort enfin de cette comparaison internationale que le principal atout du régime français est le traitement du salarié, en particulier grâce à la garantie des salaires. En France, les créances salariales sont prioritaires sur les autres et le plafond d'indemnités potentiellement versé aux salariés est nettement plus élevé qu'ailleurs. La France est par ailleurs au premier rang mondial pour la vitesse de traitement des dossiers d'indemnité. Dans le contexte difficile qui s'annonce, "c'est un précieux outil à préserver", selon l'auteur. Or, toujours selon l'étude, "le projet de réforme actuellement en discussion au ministère de la Justice, qui impacterait immanquablement le régime, est donc inquiétant et difficilement compréhensible".
*Cette note intitulée "Entreprises en difficulté : que vaut le régime d'insolvabilité français?" est une analyse comparative basée sur 9 pays (Allemagne, Danemark, Espagne, États-Unis, Finlande, France, Irlande, Italie et Royaume-Uni) sur 22 critères de comparaison.
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