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Recylex, retour sur une restructuration franco-allemande

Une restructuration n'est jamais entreprise aisée. Cette procédure longue comprend des problématiques juridiques, financières et humaines qui se complexifient encore lorsqu'il s'agit d'un groupe franco-allemand comme Recylex (ex-Metaleurop).

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Recylex, retour sur une restructuration franco-allemande

Restructurer une entreprise ou une filiale en France n'impli­que pas les mêmes mécanismes et procédures qu'en Allemagne, tant l'état d'esprit et la culture sont différents. En France, le sauvetage de l'activité et des emplois prime, des outils de restructuration amiables et confidentiels existent, permettant - avant de basculer dans une procédure collective - de trouver une solution avec les créanciers, sans trop « abîmer » l'entreprise. Alors que l'Allemagne a davantage une culture de protection des créanciers avec des outils de procédure beaucoup plus axés sur la protection de la trésorerie et de la masse d'actif servant à satisfaire les créanciers. Le sauvetage de l'activité et de ­l'emploi est souhaité, mais vient en second. « La phase amiable de restructuration en amont est très développée en France avec des droits d'alertes des commissaires aux comptes, le mandat ad hoc, la conciliation, le dispositif du prépack cession. Alors que les Allemands n'ont pas la même culture. Pour eux, la satisfaction du créancier est au centre des dispositifs avec même une responsabilité pénale très prononcée des dirigeants » explique Ingo Schäfer, Daf franco-allemand qui a eu à gérer la restructuration de Recylex (ex-Metaleurop) spécialisé dans la production, la transformation et la valorisation de métaux et plastiques. Opération qu'il a menée en étroite collaboration avec Max-Julian Vignaud, directeur juridique et environnement de Recylex ayant rejoint le groupe en 2015. Ensemble, ils ont accepté de revenir sur les particularités de cette opération stratégique d'envergure.

En 2016, lorsque la phase de restructuration commence, le groupe franco-allemand sort tout juste d'un plan de continuation de 10 ans ouvert juste après le scandale de Metaleurop Nord. Pendant 10 ans, le groupe s'est reconstruit, mais avec une dette colossale de 100 M€. 80 % du business est réalisé en Allemagne. Le groupe possède un nombre important de filiales et une organisation très décentralisée. Si le plan de continuation s'est terminé avec succès fin 2015, une dette résiduelle du plan, de nouveaux investissements nécessaires et plusieurs événements sont venus alourdir à nouveau la dette et fragiliser la situation financière. Le premier est la condamnation du groupe en 2017 par la Commission européenne pour entente commerciale sur le marché de l'approvisionnement de batteries usagées avec d'autres concurrents. Il était demandé à Recylex de payer une amende de 27 millions d'euros. « Nous avons négocié un paiement sur 10 ans, ce qui nous a permis de poursuivre notre plan de restructuration et d'éviter la cessation de paiement. Mais, bien sûr, cela a encore alourdi la dette » raconte Ingo Schäfer. Le deuxième événement qui aurait pu tout faire basculer est le financement, par de la dette et un montage complexe de fiducie-sûreté, de 60 M€ pour la construction d'un nouvel outil industriel, en l'occurrence un four complémentaire dans une filiale du nord de l'Allemagne. Ce méga-investissement était censé être opérant après deux ans de construction, soit en 2018. Mais de grosses difficultés techniques lors de la mise en route de l'outil industriel ont engendré de lourdes pertes de résultat, de cash-flow et des ruptures de covenants vis-à-vis des banques.

Tensions avec les banques

À partir de 2018, une période de négociations avec le consortium bancaire allemand qui avait octroyé les financements a débuté afin d'éviter le dépôt de bilan et la cessation de paiement. « C'est là que notre casquette franco-allemande a été utile. Cela nous a permis de comprendre et de gérer la situation des deux côtés » souligne Ingo Schäfer. Pas moins de 14 waivers de covenants ont été obtenus entre 2018 et 2020. « La gestion de la communication a fait l'objet de beaucoup d'attention puisque nous étions un groupe coté, il fallait donc gérer l'information privilégiée. Nous avons également fait des points réguliers avec l'AMF (Autorité des marchés financiers) pour une totale transparence de notre processus de restructuration » relate le CFO.

Un plan de cession d'une partie des actifs a été mis en place en Allemagne, afin de désendetter le groupe en conservant le périmètre profitable des activités, et accepté par les banques. Mais c'était sans compter la crise Covid début 2020 et la chute dramatique du cours des métaux. « L'impact sur nos prévisions financières a été très important. Cela a engendré un besoin de 9 M€ de cash complémentaire que les banques ne voulaient plus couvrir. En conséquence, la plus grosse filiale de recyclage de poussières d'aciers riches en zinc en Allemagne a dû se déclarer en cessation de paiement en mai 2020. Comme toutes les filiales allemandes étaient dans un cash pooling et que des contrats de transfert de résultats en Allemagne étaient en place, par effet domino, toutes les entités allemandes ont dû se déclarer en cessation de paiement en même temps » se souvient le CFO. C'est aussi à ce moment que la cotation du groupe a été suspendue à la suite de la perte de 80 % du périmètre du groupe. Restait la partie française, Recylex SA, avec deux sites de recyclage dans le Nord et à Lyon, une filiale dans le recyclage du plastique et une joint-venture dans le recyclage des poussières d'aciéristes dans le nord de la France. Cela représentait environ 70 personnes et 80 M€ de CA. « La mise en procédure collective, dite "bouclier de protection" en Allemagne, des sociétés allemandes du groupe a été l'élément déclencheur. Ces boucliers de protection, procédures comparables à la sauvegarde française, ont offert du temps pour trouver des acquéreurs pour les activités allemandes et éviter un Metaleurop bis tout en gardant la main sur le déroulement du processus. »

Pari réussi en Allemagne

Toutes les activités allemandes ont retrouvé un investisseur stratégique : les activités de la plus grande entité, la fonderie du plomb au nord de l'Allemagne, ont été reprises par Glencore, les autres activités dans le zinc ont été rachetées via une joint-venture entre un industriel belge, un industriel mexicain et une entreprise autrichienne opérant dans le même secteur d'activité. Les 600 emplois du périmètre allemand ont donc pu être préservés. « Nous avons eu la chance d'avoir, tout comme en France, les bons administrateurs judiciaires en Allemagne » souligne Max-Julian Vignaud. La restructuration de la partie allemande a été délicate à gérer, car en Allemagne, la non-déclaration de cessation de paiement ou la déclaration tardive est une faute grave du dirigeant pouvant entraîner de lourdes conséquences de responsabilité civile. Les mandataires sociaux sont person­nellement responsables des paiements effectués après une cessation de paiement non déclarée et la charge de la preuve du bien-fondé de ces paiements leur incombe. » Sur ce point, la loi allemande est très sévère. Un pilotage juridique et financier très fin a été nécessaire. « Au niveau du groupe, avec Max-Julian, nous avons dû fournir des cashflows forecast hebdomadaires par société, mis à jour parfois quotidiennement, et des planifications financières intégrées basées sur des simulations économiques par activité et par société » se remémore Ingo Schäfer.

Pilotage fin côté français

En parallèle, il a fallu piloter très finement la restructuration de l'activité française qui demeurait. Au total, de 2020 à fin 2022, en France, 4 mandats ad hoc et 4 conciliations ont été menés afin de renégocier la dette et de construire un business model viable pour Recylex SA. Car il restait dans le périmètre français deux usines de recyclage dont l'activité était étroitement liée à celle de la fonderie Nordenham Metall GmbH, ex-filiale allemande dont les actifs ont été rachetés par Glencore. Il s'agissait du client quasi unique de ces deux usines. Les matières produites étant difficilement compatibles avec les process industriels d'autres fonderies en Europe, Recylex SA n'a pas été en mesure de gagner d'autres clients. « Le business model était extrêmement fragile. Les Capex à opérer pour en changer étant trop importants, seuls deux choix s'offraient à nous : soit trouver un acquéreur stratégique capable d'intégrer l'activité dans sa stratégie industrielle, soit procéder à la liquidation de l'activité, ce qui aurait entraîné la perte de tous les emplois. Différents scénarii de redressement ont été élaborés avec des simulations financières pour chaque plan ainsi que des business review indépendantes. Tous avaient un point commun : leur viabilité nécessitait des abandons de créances massifs. » Une mission quasi impossible tant les créanciers campaient sur leurs positions. La seule solution, pour préserver les emplois et l'activité, était de trouver un acquéreur.

Fin 2021, la banque d'affaires spécialisée ODDO BHF a été mandatée dans le cadre d'une procédure de conciliation pour assister Recylex dans la conduite d'un processus de cession compétitif. Un repreneur belge, Campine NV, a ainsi pu être trouvé. « Cette acquisition représentait la pièce manquante à son business model, souligne Ingo Schafer. Toute la négociation a eu lieu sous couvert de la conciliation. De même que la négociation avec les créanciers, afin qu'ils ne quittent pas le navire trop tôt et nous laissent le temps d'agir. » L'opération a été implémentée en utilisant le mécanisme de prépack cession.

Pour Ingo Schäfer et Max-Julian Vignaud, l'une des difficultés, durant toute cette procédure de distressed M&A, a été de communiquer aux marchés et aux partenaires le bon niveau d'information, en respectant le secret de la procédure. « Il fal­lait aussi réussir à rassurer et à maintenir les collaborateurs clés en interne, alors que nous ne pouvions pas dire grand-chose. Nous avons mis en place des mécanismes de rétention en interne avec des primes et des perspectives de développement, entre autres. » Le partage entre les missions corporate, pour mener à bien le deal, et opérationnelles, avec les fournisseurs qui demandent à être payés, est également subtil. « Nous avons dû effectuer des prépaiements aux fournisseurs, inquiétés par la publication du groupe, afin de ne pas les perdre, mais cela a nécessité du cash qu'il a fallu trouver. On regarde où pousser des Capex, comment optimiser des stocks... » se souvient Ingo Schäfer. Afin d'éviter que de trop nombreux fournisseurs ne se retrouvent avec des créances gelées en cas de déclaration de cessation de paiement, mais étant empêché par la loi d'accélérer les paiements, le management de Recylex a ralenti les flux d'approvisionnement en fin de conciliation afin de limiter le nombre de fournisseurs collés le cas échéant. Et bien leur en a pris ! « À la fin de la dernière conciliation, le fait que le principal créancier ne prolonge pas son waiver sur le prêt de 16 M€ contracté par Recylex SA en 2014 a techniquement contraint Recylex SA à se déclarer en cessation de paiement le 15 avril 2022. Mais comme la cession des activités du groupe belge Campine avait été préparée durant la phase de conciliation et la sauvegarde des emplois et de l'activité garantie par le processus de prépack cession, le plan de cession a pu être validé par le tribunal de commerce de Paris le 6 juil­let 2022 » détaille Max-Julian Vignaud. Le 9 novem­bre 2022, Recylex SA, holding sans activité opérationnelle, portant toutes les dettes du groupe, a été placée en liquidation judiciaire. -


FOCUS Particularités France-Allemagne

Le droit des entreprises en difficulté diffère sensiblement entre la France et l'Allemagne. Sur la phase amiable et le sauvetage des entreprises, le droit français offre plus d'outils (conciliation, mandat ad hoc) dont l'instrument du « prépack cession ». Dans ce cas, la reprise totale ou partielle d'actifs est préparée dans le cadre confidentiel d'une procédure de prévention, puis mise en oeuvre dans le cadre d'une procédure collective abrégée. La confidentialité de la préparation du deal préserve la perte de réputation, mais offre la sécurité juridique de la procédure collective lors de la mise en oeuvre du deal.

En Allemagne, jusqu'en 2021, la restructuration d'entreprise n'était possible que par deux biais : par voie extrajudiciaire et purement consensuelle à travers un accord avec l'ensemble des créanciers ou dans le cadre d'une procédure d'insolvabilité.

Grâce à une évolution législative récente, de nouveaux outils préventifs judiciaires existent dorénavant. La loi sur la stabilisation et la restructuration des entreprises, dite StaRUG, inspirée du droit français, n'est pas publique, les parties contractantes non concernées n'ont donc pas connaissance de la procédure de restructuration.

Toutefois, contrairement à la procédure de prépack cession, celle-ci ne permet pas d'intervenir dans les contrats en cours pour l'avenir (modification ou résiliation). De même, le prépack cession français permet un « cherry picking » en laissant au futur repreneur le libre choix du personnel, des actifs et des contrats qu'il reprend. Cela permet d'assainir la performance économique de l'entreprise sans entamer directement le processus de cession par une procédure d'insolvabilité publique. Seule la mise en oeuvre de la cession nécessite une procédure d'insolvabilité.


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