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Comment gérer sa filiale en Russie ?

Un mois après l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe, des sanctions n'ont cessé de pleuvoir contre la Russie. Des mesures qui impactent directement les sociétés françaises, notamment celles possédant des filiales en Russie.

Publié par Florian Langlois le | Mis à jour le
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Comment gérer sa filiale en Russie ?

Plus d'un mois après l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe, les sanctions émises par l'Union Européenne ont eu un impact immédiat sur les entreprises européennes et françaises. Face à toutes ces sanctions, et aux contre-sanctions russes qui en ont découlé, se pose la question de la gestion des filiales russes d'entreprises françaises.

Pour les experts du secteur, la première chose à faire pour continuer d'entretenir sa filiale est de bien analyser ces sanctions. "Les sanctions qui ont été promulguées ciblent un certain type de transaction et un certain type d'entités. Il s'agit de bien savoir dans quelles mesures les entreprises sont impactées, ou pas, par ces sanctions. A la lecture des décrets, on se rend compte qu'il y a divers niveaux de sanctions ainsi que des exceptions pour beaucoup d'entre-elles," explique un membre du groupe de travail Ukraine-Russie au sein de l'AFTE lors d'un échange qui a eu lieu le 18 mars dernier. Le groupe se réunit trois fois par semaine depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Il faut être également vigilent sur la rédaction des clauses de conformité au sein des contrats de financement qui ont pu être signés. "Des précautions ont pu être prises lors de la rédaction de ces clauses. Elles permettent aujourd'hui de continuer l'activité dans un pays soumis à certaines sanctions dès lors que ces sanctions ne nous sont pas applicables. Tout est dans la rédaction des clauses," poursuit l'expert.

Maintenir l'activité

Pour peu qu'une entreprise ait la chance d'être épargné par ces sanctions, l'un des enjeux est d'assurer le maintien de l'activité de la filiale. "Qui dit sanction, dit contre-sanctions. Ce que je comprends à ce jour des contre-sanctions russes c'est qu'elles sont là aussi ciblées. L'intention du gouvernement est de pénaliser les sociétés occidentales de pays dits hostiles qui auraient décidé ou manifesté leur intention de se retirer et plutôt de faire ce qu'ils peuvent pour aider ceux qui restent," poursuit le trésorier. Une activité importante d'interprétation des textes et des sanctions concernant chaque partenaire et chaque transaction est alors nécessaire afin d'identifier ce qui est permis, ce qui est interdit ou ce qui reste implicitement permis en l'absence d'interdiction explicite et le degré de risque à ce niveau-là.

Le maintien de l'activité passera ensuite par un maintien des flux physiques et bancaires. "Les flux physiques concernent les approvisionnements auprès de fournisseurs, qui sont souvent non-russes, donc impliquent des transports physiques à travers les frontières et surtout des garanties pour le fournisseur d'être payé, car celui-ci a un risque de crédit important. Les flux physiques supposent une réorganisation des routes logistiques de manière à contourner les pays en guerre. Cela peut passer par des entreposages intermédiaires, dans des pays proches mais non en conflit. Cela suppose aussi divers types d'arrangements avec les fournisseurs pour qu'ils débloquent des lignes de crédit."

L'un de ces arrangements peut être la garantie de paiement assurée par la maison-mère, comme l'explique Stéphan Alamowitch, avocat spécialisé en financement au cabinet Franklin. "J'ai dû examiner avec une maison-mère française si elle pourrait ou pas mettre en place une caution des dettes passées de sa filiale russe en faveur d'un fournisseur qui était une autre société d'Europe de l'Ouest, qui avait livré à cette filiale des produits parfaitement triviaux, ceci dans un contexte où les circuits bancaires devenaient très incertains, dès avant l'arrêt de Swift. Les questions étaient alors déjà bien complexes."

Concernant le financement de la filiale, les choses peuvent être très diverses selon les méthodes avec lesquelles les groupes géraient leurs filiales. Certains les laissaient déjà assez autonomes localement, avec des lignes de financement local et une bonne provision de cash en local. D'autres les laissaient en cash minimum et les finançaient intégralement en inter-compagnie. "Dans le contexte actuel, la circulation de l'argent va être considérablement ralentie. On comprend aisément que le working capital va se distendre pour les filiales russes, des fournisseurs demandant à réduire les délais de paiement et des clients pouvant souhaiter augmenter les leurs. Pour ce qui est du financement local, les banques russo-russes ont plutôt tendance à maintenir les lignes. Les banques russes filiales de banques étrangères ont eu une première réaction d'attente, qui a consisté à geler toutes les lignes. Ce qu'il en ressort maintenant, un mois après le début des évènements, c'est que les lignes préexistantes sont débloquées au cas par cas, en cas de besoin et après un long examen, mais plus aucune nouvelle ligne n'est ouverte. Pour ce qui est des financements inter-compagnies vers une filiale russe, pour le moment, rien ne les empêche à partir du moment où ils sont justifiés par des mobiles opérationnels" reprend le membre du groupe de travail Ukraine-Russie de l'AFTE. La filiale est cependant soumise à des limitations en Russie pour s'acquitter du service de la dette.

Les dangers de l'assurance et de la recherche de banques

Au sujet des paiements, il faut être vigilant sur l'application de la « compliance » par les banques car les flux entre la Russie et l'Europe passent toujours. "Les transactions commerciales peuvent être réglées mais avec des délais qui sont très longs. Des choses qui prenaient une demi-journée peuvent prendre une semaine ou 10 jours, rapporte Daniel Biarneix, président de l'AFTE. Quand on a des transactions internationales, on a des banques intermédiaires, donc on peut avoir des contrôles au niveau de la banque qui envoie le flux, de la banque intermédiaire qui le traite, de la banque finale qui le reçoit. On peut alors avoir du mal à savoir où est l'argent, où il est bloqué." Les opérations financières (prêts, intérêt, dividendes ...) sont de leur côté "dans l'immense majorité des cas, interdites de par les contre-sanctions russes. Les entreprises qui auraient besoin de ces flux financiers rencontrent de sévères difficultés," reprend Daniel Biarneix.

Sur place, les entreprises pourraient également être confrontées à un problème pour être bancarisées, dans l'hypothèse d'un retrait des filiales russes de banques européennes. "Aujourd'hui, la majorité des grandes banques russes sont sous sanctions, ce qui ne veut pas dire qu'on ne peut pas du tout travailler avec elles. Il faut regarder quelles activités sont couvertes par des sanctions, et lesquelles restent possibles," reprend le président de l'AFTE. "Il est par exemple possible de payer un fournisseur ou un salarié et recevoir des fonds d'un client domicilié dans ces banques. Il y a une différence entre des transactions actives avec des banques sous sanctions et un usage passif de compte ouvert chez eux à titre de véhicule de flux" décrit de son côté un membre de ce groupe de travail.La solution pourrait alors être de se tourner vers une banque russe de taille plus moyenne et plus régionale. "Dans ces banques, on réussit à trouver des établissements non visés et dont les familles propriétaires ne sont pas non plus visées par les sanctions," poursuit cette même source.

Reste enfin la question des assurances. Une question centrale pour les filiales russes, qui risquent d'être confrontées à de grandes difficultés sur ce sujet, en raison des contre-sanctions russes. "Il y a une mesure qui a été décidée par le gouvernement russe, qui interdit toutes les transactions avec des assureurs, réassureurs ou courtiers issus des pays qui figurent sur la liste de pays déclarés hostiles par la Russie. Ce qui signifie de manière concrète que, par exemple, toutes les filiales russes de groupes occidentaux qui étaient couvertes par des programmes mondiaux d'assurance gérés par des assureurs et courtiers occidentaux ne peuvent plus avoir accès à leur programme d'assurance globale et doivent donc chercher des couvertures locales," conclut Daniel Biarneix.

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