Prêt intra-groupe : une alternative au prêt bancaire mais à quel prix ?
Le recours aux prêts intra-groupe est un moyen de pallier les difficultés de trésorerie au sein des groupes. Face à une augmentation significative des litiges fiscaux sur la pratique des taux utilisés dans le cadre de ces opérations, la vigilance et de bons réflexes s'imposent.
Diversifier les sources de financement pour le développement de son entreprise ou tout simplement pour soutenir son activité est un sujet de préoccupation quotidien, en particulier dans le contexte actuel. Parmi les alternatives au prêt bancaire, le recours au prêt intra-groupe peut être un moyen de pallier les difficultés de trésorerie au sein des groupes. Cependant, la vigilance et de bons réflexes s'imposent pour sécuriser fiscalement une opération de prêt intra-groupe, face à une augmentation significative des litiges fiscaux sur la pratique des taux utilisés dans le cadre de ces opérations.
De manière générale, la réglementation fiscale permet de rémunérer un prêt intra-groupe au-delà du taux légal prévu à l'article 39-1-3 du code général des impôts (1.18% pour l'année 2020), à la condition que l'entreprise emprunteuse soit en mesure de démontrer par tout moyen qu'il s'agit d'un taux de marché (c'est-à-dire un taux qui aurait pu être obtenu auprès d'établissements ou organismes financiers indépendants dans des conditions analogues). Lorsque la preuve du taux de marché ne peut pas être rapportée en cas de contrôle fiscal, la fraction d'intérêts supérieure au taux légal n'est pas déductible fiscalement pour l'emprunteur (et en double peine, demeure imposable au niveau du prêteur).
Afin d'accompagner le contribuable dans ce type de démarche particulièrement technique, l'administration fiscale a publié récemment (le 28 janvier 2021) 8 fiches méthodologiques visant à expliciter la manière dont une entreprise peut justifier de la normalité du taux d'intérêt et à exposer certaines bonnes pratiques en matière de financement intra-groupe.
Quelles sont les étapes importantes à respecter dans ce type de démarche ?
Déterminer le scoring de l'entreprise emprunteuse ...
Le risque de crédit de l'emprunteur est un critère essentiel dans le cadre de l'analyse. Sans obligation de recourir à une agence de notation, il est néanmoins admis d'utiliser leurs publications méthodologiques, avec quelques réserves, notamment sur le manque d'exhaustivité de tels référentiels. L'administration reste encore plus timide sur la possibilité de recourir aux logiciels de scoring (pratique pourtant déjà admise par le Conseil d'Etat[1]).
Le scoring doit impérativement tenir compte des caractéristiques propres de l'entreprise emprunteuse (stratégie, évolutions sectorielles), mais également de sa position dans le groupe. Il doit ainsi tenir compte du soutien implicite du groupe et du positionnement stratégique de la filiale emprunteuse au sein du l'organigramme.
...puis rechercher des comparables pertinents
Afin de démontrer la comparabilité du taux, tant au regard du profil de la société emprunteuse que de la dette contractée, le taux de marché peut être documenté à l'aide de comparables internes et/ou externes (prêts obtenus par d'autres entreprises, avec un profil de risque analogue à celui du contribuable).
Le contribuable a, par principe, la faculté de rapporter la preuve de la normalité du taux par tout moyen. S'il est en théorie possible d'avoir recours à des modèles économiques " standards ", permettant d'approcher un taux de marché en distinguant ses différentes composantes (taux sans risque, prime de risque et ajustements), il est néanmoins préférable aux yeux de l'administration que l'entreprise puisse s'appuyer sur une analyse détaillée et sur-mesure avec des comparables au plus proche du profil de l'emprunteur.
Il est important de prendre en compte l'ensemble des éléments objectifs pouvant avoir un impact sur le taux d'intérêt : date de signature, le risque de crédit de l'emprunteur à cette date, les garanties, le secteur d'activité de l'entreprise, le montant mis à sa disposition, la durée, le type de taux, la devise, le risque pays de l'emprunteur, les modalités de remboursement et de paiement des intérêts, et enfin le caractère éventuellement subordonné du prêt intragroupe au regard de la dette bancaire senior (notamment dans les schémas de type LBO).
L'entreprise peut également tenir compte du rendement d'emprunts obligataires émanant d'entreprises comparables, à la condition que le recours à ces emprunts constitue une alternative réaliste à un emprunt bancaire (c'est-à-dire dans l'hypothèse où l'entreprise concernée a réellement pu arbitrer entre emprunt bancaire et obligataire pour se financer).
Parmi les documents permettant de justifier du taux pratiqué, l'administration fiscale considère que les avis écrits émanant des banques ne constituent pas en eux-mêmes des preuves suffisantes de la normalité du taux retenu, mais peuvent néanmoins être joints au dossier du contribuable afin de corroborer d'autres éléments de preuve.
Enfin, pour s'aligner avec la jurisprudence(2), il est important de noter que l'administration fiscale admet désormais expressément que la preuve du taux de marché soit rapportée au moyen d'études réalisées a posteriori, sous réserve que celles-ci se réfèrent aux conditions de marché contemporaines.
En conclusion
Le recours au prêt intra-groupe se fera au prix d'une documentation du taux d'intérêt s'apparentant à une véritable étude de prix de transfert. En pratique, ce travail pourra ainsi s'inscrire pour les groupes multinationaux dans le cadre plus général d'établissement de leur documentation de prix de transfert (documentation qui s'impose déjà aux entreprises d'une certaine taille). Pour les plus petites entreprises, cette démarche implique nécessairement la mise en place d'une documentation spécifique.
Les fiches publiées par l'administration fiscale permettent ainsi de doter le contribuable d'une grille d'analyse mise à jour des multiples jurisprudences rendues au cours des dernières années en la matière, et qui constitue pour lui, le cadre d'une discussion plus constructive avec l'administration fiscale.
Pour en savoir plus
Valérie Dakowski, avocat fiscaliste, est manager au sein du cabinet FIDAL Lyon. Ses domaines principaux d'intervention sont la gestion de groupes internationaux et d'ETI/PME français au quotidien et pour leurs opérations de restructuration et de développement (fusions, apports partiel d'actifs et opérations assimilées, croissance externe,...).
Raphaël Lescaille, avocat fiscaliste, est manager au sein du cabinet FIDAL Lyon. Il participe, depuis plus de 10 ans, à la gestion fiscale de groupes à dimension nationale et internationale, ainsi que d'ETI/PME (fiscalité courante et opérations de croissance ou de restructuration).
[1] CE 11 décembre 2020, n°433723, SA BSA
[2] CAA Paris 31 décembre 2018, n°17PA0318, SAS WB Ambassador
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