DossierScale-up : passer de PME à ETI sans accroc... Y a-t-il un pilote dans l'avion ?
Comment accompagner la transformation de son entreprise dans un contexte de scale-up pour la faire passer d'un statut de PME à celui d'ETI sans y laisser de plumes ? Gardien du temple, le Daf doit assumer et assurer un rôle clé tout au long de cette phase cruciale.

Sommaire
- 6 étapes pour piloter le changement d'échelle
- 1. L'analyse de l'existant
- 2. Élaborer le plan de rentabilité et de création de valeur
- 3. Financer la croissance, travailler sa communication
- 4. Les indicateurs, les outils
- 5. Les hommes, la gestion des ressources
- 6. Gestion des risques et conformité réglementaire
- Embarquer les équipes pour ne pas rater la marche
- Être attentif aux équipes
- Mixer les talents internes et externes
- Comment limiter le turnover
- Se repérer dans la jungle des financements
- Arbitrer entre les investisseurs...
- ... et gagner leur confiance
- Se transformer en Daf d'ETI
- Un rôle de manager
- Changer le regard de la direction générale
1 6 étapes pour piloter le changement d'échelle
"La transformation d'une PME en ETI est un enjeu national. Si nous avions autant d'ETI en France qu'en Allemagne, cela permettrait de créer 1 million d'emplois !" déclare David Brault, directeur associé d'Objectif Cash et coauteur de Réussir son business plan et de Profession directeur financier. Une perspective qui a de quoi faire rêver. Mais opérer une telle évolution représente un chantier sensible. De par sa position, le Daf sera forcément sollicité pour accompagner ce "scale-up", terme anglo-saxon qui désigne un changement de taille lié à un développement rapide.
Cela implique toute une construction qui doit s'inscrire dans un plan de transformation, des outils bien sûr, mais aussi des hommes et des comportements. "Alors que dans une PME, vous pouvez avoir un profil de dirigeant self-made-man touche-à-tout, dans une ETI, il est nécessaire d'avoir des relais pour porter les nombreux projets", explique David Brault. Le Daf doit ainsi mener tambour battant une structuration à tous les niveaux, tout en conservant assez de hauteur pour canaliser et orienter les choix stratégiques.
Parce qu'elle est globale, une mutation de PME en ETI dure, en moyenne, cinq à dix ans. Une période qui se déroule selon une partition que le Daf a tout intérêt à respecter, au risque de faire détonner tout l'orchestre. Bien sûr, la priorisation des étapes peut varier sensiblement et dépend, entre autres, du secteur d'activité et du niveau de structuration de départ. "Il n'y a pas un seul modèle de croissance, souligne David Brault. C'est souvent un cocktail entre croissance externe, organique et développement international. Le premier devoir du Daf est d'évaluer si le modèle choisi est pertinent et cohérent avec les moyens de financement à disposition."
2 1. L'analyse de l'existant
La première étape consiste, donc, à analyser rapidement l'existant afin de faire ressortir, sans la moindre ambiguïté, les points forts, les points faibles et les points d'amélioration. L'enjeu, ici, est d'être objectif, même si cela remet en cause les choix du dirigeant. Le Daf devra tenir bon sur cette première étape et réobjectiver tous les points clés finance : les clients à marge et les autres, le chiffre d'affaires, la R & D utile et la R & D inutile... Utiliser la méthode SWOT (ou FFOM en français pour Forces, faiblesses, opportunités et menaces) est un moyen efficace pour parvenir à un diagnostic clair sans s'éparpiller.
Pour Clarisse Puharré, Daf de transition, membre du réseau Comatch, qui a oeuvré dans des entreprises qui vont de la grosse PME à la filiale de groupe important, "c'est l'occasion de mettre en place un suivi de trésorerie et d'optimiser le fonds de roulement". Cela donne une visibilité sur les liquidités, sur laquelle s'appuyer et mettre en place, ou pas, de nouveaux investisseurs. Ce qui conduit naturellement à la deuxième étape : être capable de formuler pour l'entreprise une vraie théorie de la valeur.
3 2. Élaborer le plan de rentabilité et de création de valeur
Cette étape doit permettre de formuler une thèse plausible, réaliste et documentée par des chiffres qui sera défendue par le Codir. "La question du Codir est sous-jacente et sa création constitue souvent l'étape 0 du processus de transformation", indique David Brault. Autrement dit, il s'agit de construire le business plan avec le directeur général et en accord avec le Codir. C'est peut-être au cours de cette période que le changement de paradigme s'opère de façon visible. En effet, pour le Daf, il s'agit de ne plus regarder dans le rétroviseur mais, au contraire, d'anticiper, d'être capable de projeter l'entreprise et l'activité à cinq ans en avant. "Mais attention, prévient David Brault, le business plan est tout sauf un tableau de chiffres. Il doit refléter la thèse de la création de valeur." Tout ceci va permettre de trouver et d'actionner les bons leviers de financement.
4 3. Financer la croissance, travailler sa communication
Trouver des financements est un sujet éminemment stratégique. Selon la nature de la croissance ou du mix de croissance, les leviers sont multiples. Une fusion, une acquisition, un développement de la production par l'innovation ou l'ouverture d'une filiale à l'étranger impliquent des logiques de financement différentes : IPO, levée de fonds / investissements, R & D, embauches de commerciaux, BFR ... Les chemins sont variés et souvent complexes.
À ce moment-là, l'entreprise entre dans une phase critique de sa transformation, qui consiste à confronter sa vision stratégique à la réalité, avec charge au Daf de piloter la trésorerie, d'optimiser le BFR et de trouver des financements. Celui-ci va devoir travailler sa communication auprès de futurs ou de nouveaux financeurs. "Il ne faut pas hésiter à rencontrer des fonds d'investissement et à leur soumettre le plan de transformation. Écouter leurs remarques permet d'apprendre peu à peu à parler leur langage, note David Brault. De même, un banquier finance toujours des projets raisonnables présentés par des managers raisonnables. Il importe donc de se concentrer sur des scénarios réalistes, voire nettoyés de l'optimisme du dirigeant."
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5 4. Les indicateurs, les outils
"Produire des états financiers et clôturer en prévisionnel demande un gros travail d'anticipation. Le Daf doit être capable de proposer un bilan à mi-parcours afin de définir, avec le directeur général, les indicateurs de performance les plus pertinents", détaille Clarisse Puharré. Parmi les plus prisés, on compte bien sûr l'Ebitda, la marge opérationnelle, le BFR, le flux de trésorerie et le suivi des investissements. Mais en fonction de l'activité, d'autres indicateurs peuvent se révéler pertinents. Il est toutefois recommandé de ne pas dépasser cinq indicateurs. Pour David Brault, les trois incontournables sont le chiffre d'affaires, l'Ebitda et le cash. "Mais il peut être intéressant d'aller chercher d'autres KPI tels que la RSE, l'expérience salarié ou l'expérience fournisseur", remarque l'expert.
Soutenir une croissance forte implique d'être bien outillé. Or, si on pense assez facilement à mettre en place un ERP ou des outils de BI pour les métiers clés, on oublie parfois de se doter soi-même de bons dispositifs de gestion bancaire. "Avoir un banquier à la hauteur est crucial en phase de croissance, il ne faut donc pas hésiter à demander à changer de portefeuille, estime Frédéric Meunier, fondateur de Squareness, cabinet de conseil financier spécialisé dans la croissance externe de PME et ETI. Ce qui semble anecdotique de prime abord peut avoir de lourdes conséquences. Le simple fait de changer de portefeuille et de conseiller peut donner accès, par exemple, à d'autres outils de mutualisation de trésorerie que ceux que vous aviez auparavant."
6 5. Les hommes, la gestion des ressources
Être attentif aux équipes est capital dans un processus de transformation. Tout de suite après avoir dessiné le chemin stratégique, il convient d'y placer les hommes. "Dans une PME, 95 % de la qualité repose sur les hommes. L'avantage est qu'ils connaissent bien leur métier, l'inconvénient est qu'ils ont leurs limites. Il faut donc les aider à évoluer", analyse Frédéric Meunier. Accompagner les équipes, identifier rapidement les freins et les moteurs du changement, savoir recourir à des talents externes au bon moment... tout ceci demande un effort de pédagogie important de la part du Daf et impose de passer d'un fonctionnement vertical à un fonctionnement plus horizontal.
"Il est difficile de travailler en silos quand une entreprise grandit. La digitalisation est un bon outil de décloisonnement", juge Clarisse Puharré. L'ensemble du processus doit découler d'une gouvernance claire avec le déploiement d'une nouvelle culture d'entreprise. "La question de la gestion et de la détention du capital est clé", assure la consultante. Le passage d'une société à valeurs familiales à une société plus impersonnelle, dès lors que le capital est dilué, est un moment critique pour les équipes. "L'enjeu sera de bien cadencer le changement pour les ménager, car elles restent la cheville ouvrière de l'activité", rappelle Clarisse Puharré.
7 6. Gestion des risques et conformité réglementaire
Enfin, dernier aspect à ne pas négliger : le pan conformité réglementaire. Au cours d'une transformation de l'ampleur d'un scale-up, il est important de faire preuve d'exigence en matière de conformité fiscale. "Dans cette optique, l'ensemble du back-office doit s'aligner et construire (avec le DSI, le DPO, le Daf ou encore le RSSI) une réponse adaptée, conseille Clarisse Puharré. Bien sûr, ce n'est pas en lien direct avec le business et ça ne rapporte rien, mais cela peut coûter très cher en pénalité !" C'est donc un sujet dont il convient de s'occuper malgré tout. En résumé, il ne faut pas confondre un plan d'optimisation, qui ne mettra en oeuvre que des "quick wins", avec un plan de transformation qui nécessite, lui, une vision à long terme. Dans ce contexte, le Daf doit être le garant de l'orthodoxie financière, car il se retrouve à piloter un écosystème élargi.
Être une scale-up, autrement dit opérer un changement de taille, et passer du statut de PME à celui d'ETI impose la construction d'un plan de transformation global, qu'il convient de déployer avec doigté.
8 Embarquer les équipes pour ne pas rater la marche
Le point nodal de toute transformation - et le phénomène de scale-up ne déroge pas à la règle - reste les hommes. S'il existe, il est vrai, une multitude d'outils à disposition, c'est bien sur les compétences et les talents que l'on s'appuie pour faire grandir une entreprise. La première chose est donc de bien connaître ses équipes pour les positionner dans un organigramme de façon claire. "Alors que dans une PME, le périmètre de chacun peut supporter un certain flou, lorsque l'on passe au statut ETI, il est primordial de bien comprendre qui fait quoi et à quel niveau", souligne Frédéric Meunier, cofondateur de Squareness, qui conseille d'établir rapidement une matrice des compétences.
Cela va également donner de la visibilité au Daf et faire ressortir des profils sur lesquels il pourra s'appuyer. Car, pour le Daf, l'enjeu sera aussi de savoir s'entourer et de trouver des relais. Peut-être sera-t-il amené à choisir un adjoint pour le soulager dans l'opérationnel et lui permettre de se focaliser sur la communication aux investisseurs, par exemple. "Dans un contexte de forte croissance, on est encore plus happé par le quotidien, alors que, dans le même temps, le Daf doit prendre de la hauteur. Il est donc important de trouver très vite sur qui se reposer pour que le Daf puisse être au service des opérationnels et dans la prospective", prévient Frédéric Meunier.
9 Être attentif aux équipes
La croissance implique des contraintes dont il faut avoir conscience, sans quoi on se retrouve vite dépassé. "Il faut aller vite avec un objectif commun. Les salariés comme l'équipe finance doivent se sentir impliqués, car les objectifs sont atteints", estime Clarisse Puharré du réseau Comatch. Pour identifier qui seront les freins et qui seront les moteurs du changement, rien de tel qu'une réunion de service où chacun pourra s'exprimer, complétée ensuite par des entretiens individuels.
Bien sûr, il existe toujours un gap entre la transformation telle qu'elle est imaginée et la façon dont elle est réellement vécue par les équipes. Un gros travail de pédagogie attend le Daf pour faire comprendre et accepter les changements de gestion des équipes et de méthodes de travail. Être attentif à ses troupes signifie également ne pas les éreinter. "Gare aux burn-out !, avertit Clarisse Puharré. En période d'hypercroissance, il faut arriver à doser et freiner l'abondance de projets stratégiques lancés en même temps, car la réalisation des activités dépend avant tout des équipes."
10 Mixer les talents internes et externes
Dans ces phases de bouleversements internes et de pression liée à la transformation, le taux de turnover monte en flèche. Généralement, les réfractaires au changement auront tendance à quitter le navire. "Dans les structures en croissance, il y a toujours un moment où le personnel se renouvelle. C'est pourquoi il ne faut pas traîner à rédiger les modes opératoires et les procédures qui permettront de diluer les responsabilités et d'assurer la continuité d'exploitation", conseille Clarisse Puharré.
Un redimensionnement des équipes s'opère en général en même temps que le redimensionnement de l'entreprise et de ses activités. La quête de nouveaux profils devient nécessaire pour répondre aux nouveaux besoins. Certains talents rejoignent l'équipage au gré des acquisitions externes, d'autres se font spontanément connaître, parce que l'entreprise elle-même a gagné en rayonnement sur le marché de l'emploi. "Quant à ceux qu'il faut aller chercher, autant puiser dans les viviers prometteurs : les jeunes, les femmes et les communautés issues de la diversité", insiste David Brault. Pour Olivier Stephan, dga en charge des finances de Visiativ, passée de PME à ETI en quatre ans, il faut aussi réfléchir à des profils plus "capés" capables de "piloter les business units de l'entreprise aujourd'hui avec la taille qu'elle aura dans trois ou quatre ans. Il ne faut pas hésiter à aller chercher ces profils dans des sociétés plus grandes".
Le retour d'expérience d'Olivier Stephan, directeur général adjoint en charge des finances de Visiativ : "il faut diversifier les talents"
"Un changement d'échelle du groupe rend nécessairement l'organisation plus technique et moins familiale, mais cela permet aux gens talentueux de s'exprimer", estime Olivier Stephan, qui a vécu et accompagné la scale-up de Visiativ, devenue une ETI dans l'édition et de l'intégration de solutions numériques. En quatre ans, l'entreprise est passée de 350 à 1000 collaborateurs, de 50 à 200 millions d'euros de chiffre d'affaires, s'est introduite en Bourse et implantée dans sept nouveaux pays (dix au total), en misant sur un rythme de croissance organique moyen de 10% par an, complété par des acquisitions (20% environ).
"La transformation a commencé avec l'entrée en Bourse. Il a fallu obtenir la confiance des investisseurs et, pour cela, expliquer une stratégie innovante", raconte le dga. Et cela vaut aussi pour la gestion des ressources. Le Codir est constitué de 50% de managers, qui étaient déjà là il y a quatre ans, et de 50% de nouveaux venus. "Les premiers apportent une expertise plus opérationnelle, tandis que les seconds ont une vision plus stratégique et plus internationale". Depuis un an, Visiativ a mis en place une "people review" afin de proposer un programme d'accompagnement pour évaluer les talents et proposer des formations en hard ou soft skills. "On essaie d'appliquer de façon pragmatique ce qui se fait dans les grands groupes", indique Olivier Stephan.
Enfin, une journée de welcoming est est organisée une fois par trimestre à Lyon, au siège, pour faciliter l'intégration de tous ceux qui sont arrivés au cours de la période. "Depuis peu, cet atelier se déroule pour moitié en anglais", s'amuse Olivier Stephan. Preuve que le virage international et le mélange des talents se poursuivent.
11 Comment limiter le turnover
Mais si le renouvellement est assez naturel, il faut rester vigilant sur le risque de fuite des talents par manque de compréhension ou défaut de communication. "La vision de l'entreprise était plutôt claire, mais les moyens pour y parvenir n'ont pas toujours été bien compris, se souvient Olivier Stephan. Nous avons donc remis en place un comité de direction élargi à 25 personnes afin de faciliter la descente et la diffusion de l'information." Bien communiquer est non seulement un bon moyen d'apaiser les inquiétudes, mais également de laisser les talents s'exprimer. Car si l'embauche de nouveaux éléments prometteurs sera sans doute nécessaire et bénéfique, puisqu'ils aideront logiquement à faire évoluer les équipes historiques, il ne faut pas négliger les compétences déjà présentes en interne et, au contraire, favoriser la promotion interne.
"Le mélange de talents externes venus de grands groupes et de talents issus de votre PME d'origine est appréciable et crée un équilibre. Les Comex sont parfois animés, mais le processus de décision reste agile", témoigne Olivier Stephan. Cependant, embarquer les talents préalablement repérés en interne suppose un gros travail de montée en compétence dans le cadre de la nouvelle organisation. "Il faudra créer des chemins pour permettre à des cadres dits de middle management de passer cadres dirigeants", note David Brault, cofondateur d'Objectif Cash. Tout ce processus d'accompagnement doit, bien sûr, être clairement inscrit, et identifié comme tel par les salariés, dans la stratégie de développement. "Il faut donner du sens aux actions et récompenser les équipes à la fois financièrement (par le biais de primes ou également d'une part variable au salaire), mais aussi en fêtant les réussites", conclut Olivier Stephan.
Gérer les ressources et repérer les talents est l'une des problématiques majeures à laquelle sera confronté le Daf tout au long de la transformation. Comment rationaliser, redimensionner et motiver les équipes pour les faire passer du bateau de plaisance au paquebot, sans accuser trop de pertes ?
12 Se repérer dans la jungle des financements
Croissance externe, digitalisation, recrutement ... La transformation de PME à ETI induit de nouveaux besoins en financement. "Lorsqu'une entreprise passe de PME à ETI, les besoins classiques en financement à court et moyen terme restent les mêmes : BFR, affacturage, leasing ... Mais pour financer de nouveaux projets comme le développement international ou l'innovation, le Daf doit s'ouvrir à des solutions qu'il ne maîtrise pas forcément et pour lesquelles il doit pourtant devenir force de proposition", observe Jean-François Lécole, p-dg de Katalyse. Il cite comme exemples l'assurance-crédit internationale et le Crédit impôt recherche (CIR), qui ne sont pas forcément utilisés par les Daf de PME.
Mais il existe également les hedge funds, les high-yield bonds, les EuroPPs ou bien encore les fonds de dette. "Les fonds de dette correspondent bien à ce que recherchent les ETI, notamment pour financer les grosses acquisitions pour lesquelles les banques ne peuvent pas toujours suivre. Mais seulement 19% d'entre elles les utilisent, il y a encore de la pédagogie à faire", estime Annie-Laure Servel, managing partner d'Artemid. Quand son entreprise évolue en ETI, le Daf doit envisager de nouveaux modes de financement et, donc, les connaître et, surtout, les comprendre.
"Les ETI font face à une abondance d'offres de financement. L'enjeu est de faire le tri entre les différentes solutions pour trouver la plus adaptée aux besoins de l'entreprise", analyse Anne Guérin, directrice exécutive du financement et du réseau chez Bpifrance. Elle pense, notamment, à l'ouverture du capital, auquel les PME ne sont pas habituées : "Lorsque les entreprises passent des paliers de développement, le recrutement ou le financement du BFR deviennent leurs principales problématiques. Mais cela se finance généralement sur fonds propres. Nous proposons donc aux entreprises d'investir en capital pour renforcer leurs fonds propres. Pour nombre d'entre elles, c'est souvent la première fois qu'elles ouvrent leur capital", explique-t-elle.
13 Arbitrer entre les investisseurs...
Faire ce premier pas avec Bpifrance est, en effet, rassurant. Si l'ouverture se fait avec des investisseurs classiques, le Daf devra, en plus de maîtriser les techniques financières, faciliter la mise en place d'une nouvelle gouvernance d'entreprise. "Le nouvel actionnaire exigera certainement de siéger au conseil d'administration", prévient Jean-François Lécole (Katalyse). Quoi qu'il en soit, il s'agira d'établir avec lui des projets de développement et de lui fournir des reportings réguliers.
Cela vaut pour les PME familiales. Les start-up qui ont évolué en ETI se retrouvent, elles, face à d'autres problématiques : elles ont souvent bénéficié d'equity en abondance, les investisseurs pariant sur leur croissance, et doivent désormais s'entretenir avec les banques, pour lever de la dette. "Les banques posent les questions qu'auraient dû poser les investisseurs et challengent, notamment, le business plan. Les banquiers financent des projets raisonnables", avertit David Brault, fondateur et directeur associé d'Objectif Cash.
Le Daf d'une ETI doit, par conséquent, équilibrer ses sources de financement entre les différentes options qui s'offrent à lui. "La difficulté est d'arbitrer, de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, sans pour autant trop morceler", souligne Olivier Marion, associé PwC France responsable des transactions. Mais comment choisir le bon investisseur ? Robin Rivaton, économiste, essayiste et CEO de Real Estech, préconise de choisir un investisseur en mesure d'apporter de nouvelles compétences dans l'entreprise : "Il ne faut pas veiller uniquement à faire entrer de l'argent, mais de l'argent intelligent". Pour Jean-François Lécole (Katalyse), trouver le bon fonds relève d'un véritable savoir-faire. "Il ne faut pas hésiter à s'entourer de prestataires extérieurs et mener des due diligences. Il vaut mieux également s'adresser aux fonds spécialisés dans les ETI", avance-t-il.
Marc Rouberol, CFO de Valorem "Il faudrait que les partenaires financiers considèrent les flux de trésorerie futurs"
Producteur d'énergies renouvelables intégré, Valorem a besoin de liquidités importantes afin de constituer son parc de production, qu'elle détient presque en totalité. "Nous avons des financements de plusieurs natures, comme du capital, de la dette d'actionnaire, des prêts participatifs, de la dette junior, et de la dette senior. Ce dernier correspond à la majorité de notre source de financement (autour de 80%), qui est réalisé en financement de projet", précise Marc Rouberol, CFO de la société.
Valorem a aussi lancé les premiers financements participatifs dédiés aux centrales de production d'électricité verte, ce qui permet de financer les projets pour partie mais aussi de faire bénéficier les personnes habitant à proximité des parcs de production de retombées financières. Pour convaincre les investisseurs, Marc Rouberol dit faire preuve de beaucoup de pédagogie : "Nous expliquons à nos partenaires financiers les spécificités de notre métier et la façon dont cela se transcrit dans nos comptes", explique-t-il.
Il conseille également de bâtir des relations de confiance avec ses partenaires financiers en les informant régulièrement de l'avancée de l'activité, des succès, des difficultés rencontrées, afin de les associer à l'évolution de la société. S'il ne rencontre pas de difficultés particulières à trouver des financements, Marc Rouberol regrette que les méthodes d'analyses des comptes des services "risques" des banques et des assureurs reposent uniquement sur l'approche bilancielle, trop tournée vers le passé. "Il faudrait a contrario que les partenaires financiers considèrent également les flux de trésorerie futurs, tournés vers l'avenir. Cela permettrait parfois de donner davantage de moyens aux entreprises pour mettre en exécution leurs projets et stratégie", propose-t-il.
14 ... et gagner leur confiance
Au-delà de cette difficulté d'arbitrage, le Daf a aussi à convaincre les investisseurs de le suivre, et ce sur le long terme. Si les investisseurs n'ont pas tous les mêmes attentes, ils aiment tous la transparence. "Des reportings clairs permettent de montrer que la société dans laquelle ils investissent est bien pilotée et qu'elle réalise ses objectifs", conseille Olivier Marion (PwC). Pourtant, malgré ces précautions et l'abondance de financements, certaines ETI ne parviennent pas à trouver les financements adéquats.
Pierre Cesarini, p-dg de Claranova, regrette de ne pouvoir s'endetter à hauteur de 100 millions d'euros : "Lorsqu'une société est en forte croissance, elle souhaite mener des acquisitions afin de continuer à se développer. Mais cela exige de pouvoir s'endetter fortement, ce qui ne nous est pas possible dans l'ordre actuel des choses. Si nous avions eu accès à des financements adaptés, nous aurions pu faire les acquisitions envisagées et croître plus rapidement". Selon lui, lever une dette de 100 millions d'euros n'est pas compliqué en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, contrairement à la France. "Cette difficulté est peut-être due à notre secteur d'activité - la technologie -, qui ne permet pas aux prêteurs de s'appuyer sur des choses tangibles, puisque nos seuls assets sont nos employés", tempère Pierre Cesarini.
Olivier Marion (PwC) reconnaît que le secteur est déterminant dans la recherche de financements : "Au fur et à mesure qu'une entreprise grossit, trouver des financements devrait être plus simple, car elle devient plus solide et, donc, plus attractive. Mais cela reste de la théorie. En pratique, trouver des acteurs pour financer la croissance n'est pas toujours facile, surtout si le secteur sur lequel on se trouve n'est pas porteur", observe-t-il. Anne Guérin (Bpifrance) observe, elle, que tout n'est pas aisé à financer : "Les zones les plus à risques, comme le financement de l'innovation et l'internationalisation, sont insuffisamment couvertes par le marché. C'est pourquoi nous avons développé des produits qui viennent en complément de l'offre bancaire, telles des aides à l'innovation remboursables uniquement en cas de succès ou encore une offre de crédit export vendeur ou acheteur", décrit-elle. Des aides qui peuvent permettre de gagner la confiance des investisseurs et d'obtenir des financements supplémentaires.
Lors du passage de PME à ETI, se financer devient une autre affaire. De nouveaux besoins, plus coûteux, apparaissent, de nouveaux produits, plus complexes, sont envisagés, de nouveaux interlocuteurs, plus pointilleux, entrent en jeu. Au Daf de réussir à s'en sortir dans cette jungle des financements !
15 Se transformer en Daf d'ETI
Quand une PME se transforme en ETI, les problématiques ne sont plus les mêmes. On voit plus grand, plus loin, plus fort. Les ambitions sont l'international, la croissance externe, les levées de fonds ... Et le Daf doit être en mesure de suivre ces évolutions. Au risque, sinon, de se voir supplanter par un Daf plus expérimenté. "Lorsqu'une PME évolue en ETI, la structuration de la direction financière et le rôle du Daf font partie des enjeux clés. Afin de sécuriser la transformation, il peut arriver que le Daf soit remplacé par les actionnaires. Cette situation est encore plus fréquente quand un fonds d'investissement entre au capital d'une PME", remarque Pascal Corcos, associé PwC. Un scénario malheureusement courant, mais non enviable : Daf de PME, mettez tout en oeuvre pour vous transformer en Daf d'ETI !
16 Un rôle de manager
Nous l'avons dit, un Daf d'ETI se voit confier de nouvelles missions et, en premier lieu, celle de trouver de nouveaux investisseurs pour financer la croissance. "Une entreprise à forte croissance doit pouvoir diversifier ses sources de financement. Un Daf d'ETI doit gérer la relation et la communication avec les marchés, les investisseurs ou les financeurs", indique Pascal Corcos (PwC). Il doit également savoir mener des "due diligences" dans le cadre d'acquisitions, prendre en main des projets de digitalisation d'envergure ... En outre, comme le souligne Jean-François Lécole, p-dg de Katalyse, "le passage d'une PME à une ETI est souvent marqué par le passage d'une activité nationale à une activité internationale. Le Daf doit donc, au minimum, savoir parler anglais".
Parallèlement à son changement de taille, l'entreprise se complexifie, au niveau juridique, fiscal, des ressources humaines ... Pour s'adapter à cette complexité grandissante, il faut choisir les bons outils. "Le Daf doit accompagner son entreprise dans sa croissance en mettant en place plus de pilotage et de contrôle. Il va devoir installer les outils et processus adéquats, mais aussi construire une équipe de confiance. Il va lui falloir apprendre à délégue?", prévient François Fretin, partner chez Julhiet Sterwen.
Avec une équipe plus importante sous ses ordres, le Daf va se muer en manager. Ce qui signifie notamment pour lui de faire confiance afin de se décharger des tâches plus opérationnelles. "Le Daf va devoir apprendre à faire faire et non plus seulement à faire, explique Jean-François Lécole. Même si, contrairement à un Daf de grand groupe, il va devoir continuer à faire lorsque cela sera nécessaire" Ce rôle de manager va lui permettre d'endosser un costume de Daf avec une vision transverse et analytique de l'entreprise, et de changer de posture. "En PME, le Daf est dans un rôle opérationnel et ne participe pas à la réflexion stratégique. Ce n'est plus le cas dans une ETI. Il doit alors s'intéresser aux questions de stratégie, devenir force de proposition et ne plus seulement être dans l'exécution", précise Jean-François Lécole. En résumé, devenir ce "business partner" dont on parle tant.
17 Changer le regard de la direction générale
Existe-t-il des solutions pour évoluer, pour acquérir les compétences manquantes, pour changer le regard de son directeur général ? "Tout dépend de la vitesse à laquelle croît l'entreprise : si elle évolue très vite, le Daf va avoir du mal à suivre. Si la croissance est plus lente, le Daf pourra évoluer au même rythme, en se faisant aider par un manager de transition, par exemple", observe Julien Poncet, manager au sein du cabinet Wavestone. Jean-François Lécole recommande, quant à lui, de suivre un cycle de formation continue si l'on sent que ses compétences ne suffisent plus.
Pascal Corcos (PwC) nuance ce conseil : "Les formations sont utiles, mais pas toujours suffisantes. Il faut avant tout avoir une bonne gestion des talents et bien s'entourer pour gagner la confiance des actionnaires". En effet, embaucher les compétences que l'on n'a pas semble une bonne option. À condition de savoir manager ! Certains s'entourent d'experts externes, mais on doit savoir les gérer. "Il ne faut pas penser que l'extérieur va nous sauver. On peut s'appuyer sur des ressources externes, mais le plus important est la conviction", assure David Brault, directeur associé d'Objectif Cash. Croire en soi, en ses compétences, et prouver sa valeur en devenant force de proposition et en mettant en place des solutions malines pour l'entreprise : voici la marche à suivre pour passer de Daf de PME à Daf d'ETI.
"Quand le Daf aide l'entreprise à devenir une ETI" - Philippe Brun, directeur général délégué finance de Serge Ferrari
Lorsque Philippe Brun arrive chez Serge Ferrari en 2011, l'entreprise compte 620 personnes, 13 sociétés et réalise un chiffre d'affaires de 140 millions d'euros. Elle n'a alors pas de Daf et Philippe Brun endosse ce rôle. Depuis, la société a évolué : elle totalise aujourd'hui 830 salariés, possède 27 sociétés et affiche un chiffre d'affaire de 185 millions d'euros. Et en 2014, de société familiale elle est devenue une entreprise cotée sur Euronext.
Des changements majeurs auxquels Philippe Brun a dû s'adapter. Préalablement à la cotation, il lui a fallu transformer l'entreprise, mettre en place des indicateurs mensuels, retrouver de la marge et du cash. Il s'est appuyé pour cela sur ses compétences passées - Philippe Brun a une expérience dans des sociétés cotées -, mais aussi sur des compétences externes. "Pour l'IPO, j'ai tenu à me faire accompagner par un listing sponsor pour nous aider à constituer les documents de base, mais également expliquer aux différentes directions les nouveaux comportements à adopter en devenant une société cotée" raconte-t-il.
En effet, le Daf n'est pas le seul à devoir évoluer : c'est toute l'entreprise qui est amenée à se transformer en grandissant. Philippe Brun les entoure dans cette transformation en leur faisant rencontrer des dirigeants qui ont connu la même évolution, d'une entreprise familiale à une société cotée. "Des échanges ont pu avoir lieu autour de leur expérience, cela a beaucoup aidé", estime Philippe Brun. Le Daf s'est fait facilitateur afin d'accueillir des managers de haut niveau pour occuper des postes de direction.
Le choc des cultures n'est pas toujours évident : d'une part pour les collaborateurs de l'entreprise, qui doivent faire confiance à ces éléments extérieurs, d'autre part pour les nouveaux membres du Comex, qui doivent comprendre que la petite structure qu'ils ont intégrée n'a pas les moyens de leurs anciens groupes.
Passer de PME à ETI exige également que le Daf évolue. Il doit, lui aussi, passer du statut de Daf de PME à celui de Daf d'ETI. Ce qui veut dire accueillir de nouvelles missions, développer de nouvelles compétences, mais aussi adopter une nouvelle posture. Une transformation pas si évidente ...
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