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Le magnétisme de Slack : un atout sur les marchés financiers

Après Uber, Lyft, Pinterest et Zoom, Slack a fait son entrée sur le NYSE. Dès le premier jour de cotation, sa valorisation à littéralement décollé pour atteindre 23 milliards de dollars. Explications.

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Le magnétisme de Slack : un atout sur les marchés financiers
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Dès son entrée en Bourse, Slack a vu sa valorisation exploser. Celle-ci est en effet passer en quelques mois de 7.1 milliards dollars en août 2018 à 23 milliards dès le premier jour de cotation, le 20 juin dernier. Quels facteurs se cachent derrière cette prise de valeur ?

Slack est positionné sur un secteur à fort potentiel, qu'il sait adresser

Tout d'abord, Slack s'est lancé sur un marché adressable qui, selon l'entreprise, s'élèverait à 28 milliards de dollars par an pour les plateformes de collaboration et de communication dans le monde du travail. Si Slack prévoit d'en capter "seulement" 600 millions de dollars en 2019, son potentiel de croissance est gigantesque. Un potentiel qui n'est pas sans rappeler celui de Microsoft au moment de son entrée en bourse il y a 30 ans.

Valorisée près de 15.6 milliards de dollars juste avant son entrée en bourse (et 23 milliards après la première journée), l'entreprise vaudrait donc près de 38x son chiffre d'affaires sur l'année en cours. Ce multiple particulièrement élevé est la preuve que le marché place une grande confiance dans les perspectives de croissance de la société et le modèle du logiciel comme service.

Si son marché est important, de nombreux concurrents s'opposent à l'entreprise, comme elle le souligne d'ailleurs dans son document d'introduction. Microsoft, Google, Facebook ou encore Cisco sont des acteurs bien plus importants que Slack, mais leurs solutions ne semblent pas effrayer l'entreprise. Dans les organisations où il s'est implanté, l'outil Slack s'est imposé comme la colonne vertébrale de la communication et de la productivité, autour de laquelle les autres outils - stockage, téléconférence, bureautique... - viennent s'articuler avec un taux de rétention client très élevé.

Slack acquiert et engage de plus en plus de professionnels

Le premier KPI extra-financier que l'entreprise met justement en valeur est son nombre d'utilisateurs qui est passé de 10 000 à plus de 10 millions en seulement 5 ans. Ce chiffre est d'autant plus intéressant dans la mesure où Fabernovel a estimé dans son étude sur Slack que la part des utilisateurs payants est passée de 28% à 40% sur la même période, illustrant l'attractivité de son offre payante.

Cette attractivité est également confirmé par l'indicateur très utilisé dans le secteur du Software as a Service (SaaS) : le Net Dollar Retention Rate. Cet indicateur permet d'avoir une idée du pourcentage de revenus générés par rapport à l'année précédente avec la même base client. On peut ainsi avoir une vue globale de la proportion de clients qui ont amélioré leur abonnement Slack (passés à un compte plus premium ou sont passés en payant) ou qui ont abandonné Slack pour une autre solution.

Pour Slack, cet indicateur s'élève à près de 140%, contre seulement 90% pour Dropbox par exemple, révélant le fait que les clients de Dropbox dégradent leurs options ou partent vers une solution concurrente. Selon un relevé de Crunchbase, la note moyenne de cet indicateur pour les entreprises SaaS est de 104%. Slack est donc nettement plus attrayant que les autres acteurs de son marché, et sait engager ses utilisateurs.

Cette forte performance a pour conséquence d'alimenter le business de Slack, qui a vu ses ventes croître particulièrement vite (+50% de ventes l'année passée). Slack étant valorisé 23 milliards de dollars à son entrée en bourse, on peut donc estimer que le marché, en adoptant un multiple de chiffres d'affaires moyen pour du SaaS B2B de 12x à 5 ans (haut de fourchette), s'attend à une croissance de son chiffre d'affaires de près de 40% par an en moyenne sur les 5 prochaines années.

Slack doit néanmoins faire face à des enjeux de rentabilité

Malgré la forte croissance de son chiffre d'affaires, ses dépenses augmentent en absolu, bien qu'elles représentent une part plus faible des revenus (29% de pertes opérationnelles prévues pour l'année en cours contre 33% pour l'année passée). C'est pourquoi Slack enregistre des pertes de cash de près de 110 millions de dollars pour l'année en cours (et 100 millions pour l'année passée).

L'entreprise préfère donc investir massivement dans le développement de son écosystème et dans l'acquisition client plutôt que de capitaliser sur ses actifs et être rentable rapidement pour ses actionnaires. Ce modèle de cohortes vertueuses sur le long terme rappelle d'ailleurs celui de Spotify, qui a privilégié une stratégie d'acquisition client, quitte à ne pas faire de profit sur le court terme, contrairement à son concurrent direct, Deezer. Cette stratégie fait sens pour Slack au regard du taux de transformation de ses clients et surtout de son Net Dollar Retention Rate.

Si Slack possède 800 millions de dollars de trésorerie, l'entreprise pourrait encore s'auto-financer pendant un certain temps sans même avoir levé de capital avec son modèle d'entrée en bourse direct (tout comme Spotify). Néanmoins, l'entreprise n'annonce pas d'horizon de rentabilité : "we anticipate increasing operating expenses in the future, and we may not be able to achieve and, if achieved, maintain profitability" - Slack S-1 - et pourrait rappeler l'inquiétude des investisseurs d'Uber qui ne donnait pas non plus de perspective de rentabilité proche à ses actionnaires.

La vélocité d'acquisition client, la traction de Slack et sa différentiation seront clés pour lui permettre d'atteindre la rentabilité et se faire une place parmi les plus grosses capitalisations boursières de la Tech et qui sait, devenir le futur Microsoft ?

Jérémy Taïeb est Value Analyst chez Fabernovel. Il est spécialisé dans l'analyse financière des entreprises Tech et MedTech. S'appuyant sur sa formation d'ingénieur Centralien, il utilise la data science afin de fournir une analyse complète des entreprises.


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