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Le contrôle fiscal du futur? Grâce au big data, la DGFiP saura tout...

Depuis quelques années, notamment avec l'obligation de présenter le FEC au format dématérialisé, le numérique fait son apparition dans les contrôles fiscaux. L'administration fiscale semble vouloir accentuer cette tendance, en se tournant vers le big data. Le point sur le contrôle fiscal du futur.

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Le contrôle fiscal du futur? Grâce au big data, la DGFiP saura tout...

Le concept de big data est devenu depuis quelque temps une antienne un peu convenue, mais que l'on peut définir rapidement. Ce terme désigne des ensembles de données très volumineux, quels qu'ils soient; leur volume est tel que leur stockage et leur traitement exigent des moyens nouveaux. Le data mining désigne les traitements qui permettent d'exploiter des données volumineuses, le plus souvent hétérogènes, issues de supports variés (tableurs, textes, images, etc.), et très souvent avec une contrainte de forte réactivité temporelle.

De nombreux développements dans ce domaine portent donc sur la mise en place d'outils permettant l'extraction d'informations pertinentes à partir de ces données et leur mise en forme afin d'améliorer la prise de décision. Ces développements ont profité ces dernières années des progrès de l'intelligence artificielle et de l'apprentissage automatique, deux notions qui sont souvent rattachées à l'écosystème autour du big data.

Le big data pour l'administration fiscale?

L'État, convaincu que l'ensemble des entreprises doivent effectuer leur révolution digitale, favorise l'émergence de projets data au sein de celles-ci via un certain nombre de mesures d'accompagnement. Mais il s'applique aussi ce mouvement de modernisation à lui-même, et s'interroge sur l'intérêt que ce nouveau paradigme peut avoir pour l'administration fiscale. Il s'agit d'un changement d'échelle s'appliquant à des concepts déjà à l'oeuvre depuis une trentaine d'années, époque à laquelle du data mining en matière de TVA et des analyses comportementales en matière d'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) avaient émergé.

Depuis les années 2000 et jusqu'à aujourd'hui, il s'agit de recouper les informations issues de sources de plus en plus nombreuses, en s'appuyant sur les nouvelles technologies qui permettent de croiser des millions de données et d'en dégager du sens. On pense tout d'abord aux sources de données structurées telles que les différentes applications de l'Administration (Adélie, Sirius Pro, etc.). Bercy pourrait également envisager, à plus long terme, le traitement de données issues de sources non structurées telles que les articles de journaux, les blogs, les réseaux sociaux. Si la France a été précurseur en matière technique, elle ne l'est pas nécessairement sur le plan de la communication sur le sujet. Trois initiatives européennes ont déjà fait beaucoup parler d'elles.

>> En page suivante, découvrez les outils d'analyse de données mis en place au Royaume-Uni, en Italie et en Belgique.

Outils utilisés en Europe pour détecter la fraude

L'outil présenté comme le plus avancé est sans doute le dispositif anglais d'analyse de données Connect, lancé en 2009. Au moins 28 sources de données seraient traitées par cet outil; sont explicitement citées par les autorités les achats immobiliers, les déclarations de revenus, les prêts, les comptes bancaires et des données professionnelles. Le système peut également être alimenté par des sources de données d'autres pays et des données disponibles sur Internet. L'administration anglaise estime que Connect a contribué à recouvrer deux milliards d'euros d'impôts en 2011-2012.

L'Italie n'est pas en reste avec le logiciel Redditometro, entré en application en 2010 et perfectionné en 2013. Il permet de contrôler les déclarations de revenus des citoyens à partir des données bancaires et financières, d'informations transmises par les commerçants et de celles dont disposent les services fiscaux. En cas d'écart constaté supérieur à 20%, un contrôle fiscal entre immédiatement en action.

Du côté belge, l'Inspection spéciale des impôts (ISI) a démarré un projet de data mining depuis plusieurs années. Ce processus automatique de détection dès le dépôt d'une déclaration a permis de diminuer le coût des fraudes à la TVA de 93,6 millions d'euros en 2009.

Chaque administration communique donc sur le caractère performant de ses outils. Il manque un benchmark efficace permettant de comparer objectivement ces résultats, tant il est difficile pour une administration d'être son propre évaluateur impartial.

La France et la détection automatisée des fraudes

Dès les années 1990, les fraudes à la TVA de type carrousel domestique ont été endiguées grâce aux outils de data mining mis en place à cette époque. En 2001, un Entrepôt de données dédié aux études fiscales nationales (Eden), ayant pour vocation la programmation et l'analyse décisionnelle en matière de contrôle fiscal a été mis à disposition de la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF). Fin 2013, la Cnil a rendu un avis positif qui a permis à la DGFiP d'étendre le système Eden, renommé en "Entrepôt de données dédié aux études fiscales nationales et internationales", à de nouvelles modalités de fraude fiscale. Des données issues de 19 applications, portant sur la fiscalité personnelle et professionnelle des contribuables, sont déversées dans l'entrepôt. La Cnil fournit la liste des applications concernées mais précise qu'aucun article ne fixe avec précision les traitements concernés.

En 2014, la Cnil a donné son accord à la mise en place d'un traitement de données appelé Ciblage de la fraude et valorisation des requêtes (CFVR) et un pilote d'une durée d'un an a été lancé. Fin juin 2015, la Cnil a autorisé la DGFiP à pérenniser et étendre le dispositif. Pour les entreprises, le système qui était borné à la TVA pourra être utilisé pour tous les types de fraudes. Les données traitées portent notamment sur des informations économiques et financières des entreprises, qu'elles soient issues de bases de données internes ou externes à l'administration fiscale.

L'accès aux codes sources des logiciels de l'Administration

Des débats ont émergé afin de déterminer si les codes sources des logiciels de l'Administration avaient le statut de documents administratifs, ce qui les rendrait potentiellement accessibles à quiconque en ferait la demande.

Il semble qu'à ce stade, le cadre juridique ne soit pas complètement adapté à une telle possibilité.

>> Découvrez en page suivante l'avenir du contrôle fiscal.

Vers un réseau d'analyse international des données fiscales

Dans son dernier rapport d'activité, la DGFiP a précisé que la mission CFVR "devra proposer une démarche d'optimisation des outils d'analyse risque existants tout en veillant à la problématique de l'échange international automatique d'informations en coordonnant notamment la mise en place du Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA)". Dans un contexte de transparence et d'amélioration de l'échange de données entre les États, les outils nationaux constituent donc potentiellement les premières briques d'un réseau d'analyse international des données fiscales des particuliers et des entreprises.

Dans le sillage du FATCA, l'OCDE travaille d'ailleurs à la mise en oeuvre d'un régime mondial d'échange automatique de renseignements entre juridictions (Common Reporting Standard, CRS). En octobre 2014, 51 pays se sont engagés à appliquer ce standard d'échange destiné à favoriser la transparence fiscale. Les institutions financières devront transmettre des informations sur les comptes des personnes physiques et morales avec de premiers échanges prévus pour 2017.

Afin de tirer parti au mieux de toutes ces données provenant de sources nombreuses et de plus en plus diverses, les administrations nationales vont naturellement accélérer leur mouvement vers les techniques de data mining. Pourtant, puisqu'il s'agit pour chaque État à la fois d'enjeux technologiques mais aussi de communication, il manque peut-être un organe indépendant pouvant juger avec recul les résultats des outils de chaque administration.

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Quel horizon pour les contrôles fiscaux?

Les deux cibles principales des outils de data mining développés sont, pour l'heure et en Europe, l'impôt sur le revenu et la TVA. Les prochaines étapes seront certainement une coopération plus importante entre les États, avec potentiellement une mise en relation plus poussée des data centers des différents pays et, éventuellement, le recoupement de données librement disponibles sur Internet avec celles dont l'administration dispose déjà.

En résumé, il apparaît qu'à la suite du FEC et des nouvelles pratiques de contrôle associées, l'Administration est en mesure de renforcer son engagement et son investissement dans l'orientation technologique de la matière fiscale. La Cour des comptes avait d'ailleurs souligné cette nécessité dans un référé du 10 octobre 2013 en soulignant que dans un contexte de fraudes de plus en plus complexes, il est nécessaire d'avoir une vision d'ensemble afin d'appréhender les conséquences fiscales multiples qu'un même délit peut avoir sur un ensemble de personnes ou de sociétés. Cette vision d'ensemble peut naturellement se traduire, avec les outils numériques d'aujourd'hui, par le traitement de masse de données à la fois en temps réel et avec une vision rétrospective.

Dans tous les cas, au-delà des fantasmes souvent associés au big data, son utilisation par l'administration fiscale a et aura des implications concrètes dont il convient d'avoir une représentation claire, afin d'envisager, dans ce domaine comme dans d'autres, l'avènement du "tout-numérique" avec sérénité.

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Les auteurs

Alain Recoules, avocat associé, Pierre Marchand, PhD, responsable départemental R & D, et Amaury Bekaert, PhD, consultant.

Le département R&D d'Arsene Taxand regroupe, d'une part, des avocats fiscalistes et, d'autre part, des scientifiques, des experts en nouvelles technologies et des startupers. Cette combinaison originale permet d'adresser tous les sujets où matière fiscale et expertise technologique se rejoignent. Ainsi, l'équipe conseille les entreprises aussi bien sur les dispositifs d'incitation fiscale à la R&D (CIR, CII, JEI, etc.) que sur les sujets de fiscalité de l'IP ou de contrôle fiscal informatisé, en France et à l'international.

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