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IA : à quoi faut-il vraiment s'attendre dans les directions financières ?

Si les fonctions finance ont toujours fait partie des plus prometteuses en matière d'innovation et de changement, la plupart des directions financières ne semblent pas encore vouloir se saisir des opportunités liées à l'intelligence artificielle. Les apports sont pourtant nombreux, à commencer par l'analyse de données, l'amélioration des prévisions et des décisions budgétaires.

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IA : à quoi faut-il vraiment s'attendre dans les directions financières ?

Un chatbot intelligent basé sur des technologies d'intelligence artificielle qui automatise la gestion administrative des ressources humaines, ou qui se met au service du bien-être au travail en répondant presque comme dans une conversation aux attentes des salariés en temps réel. Dans l'univers de la relation client, la possibilité offerte par l'IA d'optimiser les réponses les plus courantes et de personnaliser la relation avec les consommateurs afin de permettre aux conseillers ou aux télévendeurs de se consacrer aux réponses à plus forte valeur ajoutée. Ces cinq dernières années, l'intelligence artificielle a connu une montée en puissance dans différents secteurs et métiers, promettant de révolutionner un large éventail de professions. Une tendance qui s'est encore accélérée avec le succès de ChatGPT, l'IA conversationnelle d'open AI. Ces espoirs sont-ils également portés par les directions financières ?

Selon un rapport publié en décembre 2023 par Workday*, les capacités à utiliser les nouvelles technologies telles que l'IA et le Machine Learning, ainsi que les compétences avancées en analytique, en visualisation des données et en décisionnel orienté données, sont considérées comme essentielles par les grandes entreprises et les groupes. L'enjeu : permettre aux entreprises de se démarquer de la concurrence, d'améliorer la prise de décision, l'efficacité opérationnelle et de développer les compétences de leurs talents. Selon une autre étude récente menée par le cabinet de conseil Eight Advisory auprès de directions financières de grands groupes représentant plus de 400 milliards d'euros de chiffre d'affaires, un quart des entreprises participantes indiquent être à la conquête de l'IA pour détecter des anomalies comptables ou des fraudes, analyser des informations financières, rédiger des rapports, réaliser des prédictions ou encore fournir des recommandations.

Si les grands groupes semblent excités à l'idée de tirer profit de cette technologie, la réalité semblerait être tout autre dans les ETI et les PME. « Nous constatons un niveau d'adoption et un niveau de maturité plutôt faibles dans les entreprises à taille intermédiaire. Plus de 6 directions financières sur 10 n'exploitent pas le potentiel de l'IA, ce qui est important par rapport à d'autres fonctions corporate, administratives, achats ou RH, qui ont déjà franchi le cap. Parmi celles qui s'intéressent à ces outils, 10 % lancent des tests avec des start-up », confesse Bastien Jourdan de la Passardière, directeur associé en charge de l'équipe Corporate Expérience au sein de Capgemini.

Qu'est-ce qui bloque alors que la fonction finance a basculé il y a une dizaine d'années dans la transformation digitale, avec l'utilisation des ERP puis de la RPA (l'automatisation robotisée des processus) pour améliorer la rapidité et la fiabilité des processus et l'analyse de leurs portefeuilles fournisseurs ? « Les Daf mettent l'IA dans leur agenda et leur roadmap de 2027 afin de devenir de véritables business partners mais avant cela, ils ont de nombreux chantiers à mener. Ils changent de métier, font face à de nombreuses révolutions. Les métiers de l'audit, de la comptabilité ont évolué. Les contrôleurs de gestion sont soit devenus très opérationnels ou font des analyses prédictives très importantes, sans compter le changement des outils ERP et EPM de pilotage de la performance qui sont gourmands en temps et requièrent un budget très important », analyse Bastien Jourdan de la Passardière.

L'IA discriminative et générative

Les cas d'usage de l'IA sont pourtant nombreux. L'IA discriminative est utilisée pour classer des données existantes, à la différence de l'IA générative (ChatGPT, Dall.e, Midjourney) qui va utiliser un ensemble de règles, de points de données pour créer de la donnée. « Le cas d'usage de l'IA discriminative commence à être déployé dans certaines directions financières, sans toutefois être complètement avéré. Ces technologies vont analyser des chiffres qui vont permettre aux Daf de détecter des modèles, des schémas, d'extrapoler des résultats et de discriminer, dans une masse de données chiffrées, des informations qui peuvent inspirer la machine pour prédire l'avenir des chiffres. Un financier va ainsi centraliser ces données, regarder les entrées et sorties et disposer d'un assistant à la projection du pilotage financier », constate Julien Maldonato, associé Digital Trust Leader, expert des sujets d'innovation et de transformation digitale au sein de Deloitte.

L'IA générative est quant à elle une branche de l'intelligence artificielle qui se concentre sur la création de modèles et d'algorithmes capables de générer des données, des images, des textes de manière autonome. ChatGPT peut par exemple aider à générer des rapports trimestriels et à automatiser dans une certaine mesure des processus. À partir de données structurées des performances financières, le logiciel produit un résumé détaillant les points clés à retenir, les tendances qui se dégagent et les observations qui en découlent.

Des capacités prédictives

Une autre application évidente de l'IA est sa capacité à analyser de gros volumes de données à une vitesse inégalée. Grâce à ses algorithmes d'apprentissage automatique, l'IA peut en effet extraire des informations utiles à partir d'ensemble de données complexes qu'il serait impossible de traiter manuellement. À moyen terme, l'IA pourra aider les fonctions finance dans l'analyse prédictive. « Les algorithmes d'intelligence artificielle pourront assister les comptables dans leurs prévisions financières, apporter un degré de précision inégalé, notamment en tenant compte d'un plus grand nombre de variables, d'informations historiques de l'entreprise et de données de marché. L'IA peut aussi aider les entreprises à optimiser leurs flux de trésorerie et à maintenir une liquidité financière plus saine », ajoute Julien Maldonato.

Les analyses basées sur l'IA permettent par exemple à une entreprise de mieux comprendre le comportement de ses clients, d'évaluer les tendances du marché et ainsi de réaliser des prévisions. La grande puissance de traitement des données de l'IA va également permettre de prédire avec plus de précision et d'acuité les éventuels risques commerciaux et financiers que court l'entreprise. Elle peut par exemple être utilisée pour analyser la solvabilité d'un client ou d'un fournisseur. Les systèmes de détection des fraudes alimentés par l'IA peuvent aider les organisations à détecter plus rapidement (voire à prévenir) les activités frauduleuses. Cela permet non seulement de réduire les pertes financières liées à ces dernières, mais aussi de renforcer la confiance des clients envers l'entreprise. Cette capacité prédictive apporte de nombreux avantages, à commencer par le gain de temps dans la construction des prévisions, une amélioration de la fiabilité des projections et in fine une montée en gamme du champ d'intervention de la fonction finance. « Le Daf va finir par utiliser l'IA pour l'analyse de marché, pour faire du cash pooling afin de réduire l'endettement global et de pouvoir négocier des conditions bancaires optimales. Il va ainsi devenir beaucoup plus business partner », considère Bastien Jourdan de la Passardière.

Vers une disparition du fichier Excel

À plus long terme, l'intelligence artificielle pourrait remplacer des fonctions et chambouler les métiers de la comptabilité. « Nous allons gagner autant en transactionnel qu'en décisionnel », considère Xavier Gardies, associé, BDO Advisory, en charge des sujets liés à la transformation de la finance et de la technologie. Le traitement du langage naturel va permettre aux machines de comprendre et de répondre à des données écrites ou vocales, améliorant ainsi les modèles d'interaction entre les hommes et la technologie. « L'IA générative reste très appliquée au monde des lettres pour interpréter et générer du texte. Si on prend du recul, on se rend compte que les services financiers ont besoin du langage pour réfléchir et construire des raisonnements. C'est le début d'un changement de rapport entre l'homme et la machine qui va à terme faire disparaître le clavier et le fichier Excel », détaille Julien Maldonato. Demain, cet effort de structuration va pouvoir être partiellement réalisé grâce aux outils de LLM (large language model), qui vont compresser le langage dans une forme structurée exploitable par les algorithmes. L'IA va ainsi donner du sens aux chiffres, aux notes de frais, aux étiquettes, entrant dans les systèmes comptables pour interagir avec ce logiciel. « À terme, ces interactions vont ressembler à de la conversation. Cette capacité à interpréter du langage non structuré est une vraie nouveauté », prédit Julien Maldonato.

Si les directions financières veulent se laisser le temps pour démystifier ces outils, l'IA générative pourrait infuser dans les différents services à moyen terme, via les logiciels de reporting et les ERP. De plus en plus d'éditeurs s'intéressent en effet à ces outils et intègrent des briques d'IA à leur solution pour expliquer les KPI, les reportings, les chiffres et ainsi améliorer la gestion de la data et le pilotage de la performance des entreprises. « Certains éditeurs font la promesse de brancher l'IA en amont sur une base de données et ainsi de générer des reportings sans passer par la chaîne de transformation de la donnée, avec à la clé beaucoup plus de flexibilité et une capacité de poser des questions en temps réel. On s'affranchit ainsi de la mise en oeuvre d'une brique technologique, car ces outils sont capables d'adresser directement une base de données structurées, de triturer et d'analyser ces informations », confesse Xavier Gardies. Un gain et un apport colossal pour les directions financières, à condition de ne pas considérer l'IA comme une rupture technologique.

* Rapport sur l'évolution de l'IA dans les directions financières. 260 dirigeants français, dont 50 CEO de sociétés de 500 à 50 000 salariés, 70 dirigeants financiers, 70 dirigeants RH et 70 dirigeants informatiques ont été interrogés.

Mistral AI, Open AI... Que valent les modèles préentrainés pour la finance ?

Les grands modèles de langage ou Large Language Model (LLM), des réseaux de neurones entraînés sur de larges volumes de données pour comprendre le langage humain, se multiplient. Créée en 2023, l'entreprise Mistral AI se concentre avec un modèle open source sur le développement de modèles d'IA personnalisés pour les entreprises et voit les choses en grand. Cette start-up parisienne veut rivaliser avec Open AI et les grands acteurs américains. Les large language models peuvent être utilisés pour une multitude de tâches, les questions-réponses, l'extraction d'informations, la création de contenu, le résumé de texte, la traduction, les analyses prédictives. Les capacités des modèles de langage sont toutefois limitées aux données textuelles avec lesquelles ils sont formés. « Il n'est pas toujours possible d'injecter de nouvelles données, ce qui peut produire de fausses informations, des préjugés, voire un langage toxique. Ces outils vont être utiles pour des sujets généralistes, mais peu sur des données de niche. Ces outils peuvent interpréter une loi de finances, identifier la modification récente d'un traitement fiscal pour calculer un impôt, à condition que son modèle d'intelligence ait été préentraîné avec ces nouvelles données spécifiques, ce qui peut être long et coûteux pour une entreprise », estime Xavier Gardies, associé BDO Advisory, en charge des sujets liés à la transformation de la finance et de la technologie.

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