DossierVolet social d'une fusion-acquisition : les différents rôles du Daf
Expert sur le plan financier dans le cadre d'une opération de fusion-acquisition, le Daf, même s'il n'est pas DRH, a un rôle primordial sur le volet social : il pilote l'audit social, doit sécuriser le transfert des salariés et, enfin, être moteur dans l'intégration des collaborateurs.

Sommaire
- L'audit social, premier pas dans une fusion-acquisition
- Méthodologie de l'outil en cas d'audit externe
- Sécuriser le transfert des salariés
- 1. Transfert imposé : un dispositif protecteur de l'emploi dévoyé...
- 2. L'article L. 1224-1 du Code du travail inutilisable ?
- 3. Faire adhérer les salariés au transfert
- 4. Le rôle de l'entreprise cédante
- 5. Une realpolitik à mener à deux
- Intégration : réussir la greffe après la fusion
- Ne pas négliger sa propre équipe
- Pour aller plus loin...
- Reprendre une entreprise à la barre du tribunal
- Les 100 premiers jours d'une opération de fusion-acquisition
- Transmettre, reprendre et céder une entreprise
1 L'audit social, premier pas dans une fusion-acquisition
L'audit social, s'il est destiné à faciliter la compréhension d'un climat social dégradé ou de démission et donc de prévenir la répétition, est surtout utilisé en préalable à une situation de lourd changement. "La perspective d'une acquisition ou d'un investissement de type LBO représente 90 % des cas où nous avons recours à l'audit social", confie Me Valérie Blandeau, avocate associée chez Wragge & Co Paris. Et pour cause : "L'audit de conformité et d'évaluation des risques sociaux est une condition suspensive de l'opération", précise Me Yves Roux, avocat associé au sein du cabinet Orsay, voire un cas de deal breaker.
L'audit social, en vue d'une fusion, se pratique au regard d'un référentiel : Code du travail, convention(s) collective(s) et accords d'entreprise. Il vise à contrôler le temps de travail et à s'assurer que la pratique de la rémunération est conforme aux minima conventionnels, aux exigences de non-discrimination... Toutefois, les évaluations et préconisations qui en sont issues, surtout en cas d'échec de l'opération, ne sont pas communiquées à l'entreprise cible qui a pourtant été bousculée.
Me Yves Roux conseille également l'audit social à toute entreprise qui a absorbé régulièrement des petites structures via des cessions de titres : "Il y a là un empilement de statuts, de conventions, de provisions, de mutuelles, qui mériteraient un audit préventif et curatif."
Surtout, les entreprises doivent s'approprier l'outil. Face à la complexité de la réglementation sociale, aux obligations de sécurité, mais aussi face à certains automatismes, comme de "mettre en forfaits jours des salariés qui ne doivent pas l'être, ce qui expose l'entreprise à un risque de rappel d'heures supplémentaires", illustre Me Yves Roux, l'audit complet, donc de conformité et de valeur, est un outil pertinent. Car "l'audit social sert à déterminer l'impact économique et financier sur l'entreprise de tous les éléments sociaux et à évaluer son climat général, avec un but : améliorer la performance", avance Guilain Vandæle, consultant formateur pour CSP Formation.
2 Méthodologie de l'outil en cas d'audit externe
Dans le cas d'un audit externe, la liasse documentaire à fournir, de 2000 à 4000 feuilles, peut rebuter... Toutefois, la transmission électronique est venue supprimer la donne : "Depuis deux ans, nous conduisons des audits d'acquisition via une data room électronique transmise par l'acquéreur, ce qui facilite notre travail, mais réduit notre ressenti quant au climat social", déplore Me Yves Roux, qui lui reconnaît une autre vertu : cette transmission participe d'une bonne confidentialité.
L'interlocuteur de l'auditeur social peut être le dirigeant, le Daf, le DRH ou un directeur opérationnel. "Mieux vaut commencer par une mission de quatre ou cinq jours et bien définir la mission et les conditions d'accès à l'information de l'auditeur, conseille le professeur Jean-Marie Peretti, président de l'Institut de l'audit social. Qui peut-il interroger ? Quelles requêtes informatiques peut-il émettre ? Quels documents peut-il réclamer ?" Une définition claire des missions et des accès autorisés favorise le bon déroulement de l'audit.
Vous pouvez consulter l'intégralité de l'article.
L'audit social repose sur une exploitation des données diverses au service de la performance. Un outil qui trouve toute son utilité dans les fusions-acquisitions.
3 Sécuriser le transfert des salariés
Souvent mal anticipé, lourd de conséquences en termes d'image et financiers, le transfert de salariés nécessite, pour une pleine réussite, un diagnostic juste, analytique et partagé. Juste, parce que le transfert imposé étant des plus contrôlés, tout transfert requiert, de fait, l'adhésion des salariés. Analytique, afin de permettre à l'entreprise cédante de bien négocier le prix avec la cessionnaire et de choisir le véhicule juridique approprié. Partagé, parce que cédante et cessionnaire doivent impérativement piloter le projet, bien communiquer et accompagner les salariés.
4 1. Transfert imposé : un dispositif protecteur de l'emploi dévoyé...
Historiquement, dans le souci de préserver l'emploi des salariés, le législateur a prévu un dispositif imposant le transfert des salariés attachés à l'activité transférée, à la condition qu'il s'agisse d'une entité économique autonome au départ, à l'arrivée et dans la durée. Ce dispositif, qui figurait à l'article L. 122-12 du code du travail, devenu l'article L. 1224-1 du même code, est d'ordre public : son application s'impose à toutes les parties (entreprise cédante, entreprise cessionnaire et salariés). En complément de ce dispositif, qui s'applique aux contrats de travail, le législateur a prévu que le statut social d'origine continuera à bénéficier aux salariés transférés pendant un préavis de trois mois et un délai de survie de 12 mois, soit au total 15 mois. À l'issue de ce délai, si aucun accord de substitution n'a pu être conclu, le statut collectif d'origine tombe, mais les avantages individuels acquis et les usages non dénoncés demeurent applicables aux salariés transférés.
La sanction des dispositions de l'article L. 1224-1 est très sévère pour les salariés qui ne veulent pas suivre l'activité transférée : ils sont considérés comme démissionnaires. Les grandes entreprises ont rapidement compris qu'en utilisant les dispositions de cet article, elles contraignaient les salariés à accepter le transfert.
5 2. L'article L. 1224-1 du Code du travail inutilisable ?
Les inspecteurs du travail ont été saisis de réclamations de plus en plus nombreuses par des salariés mécontents. Les juges ont réagi et décidé que les transferts d'activité ne devaient pas être organisés pour priver les salariés du bénéfice d'un statut social favorable (Cass. soc., 18 juil. 2000, n° 98-18.037, Sté Perrier-Vittel France). Par ailleurs, les moeurs ont évolué. Les salariés admettent de moins en moins de se voir imposer un changement d'employeur, voire de lieu de travail. Les syndicats savent agir pour bloquer les consultations puis faire annuler les transferts. Les salariés eux-mêmes n'hésitent plus à engager des contentieux pour faire annuler leur transfert.
En définitive, le mouvement s'est inversé. Le dispositif conçu à l'origine pour protéger l'emploi est maintenant devenu l'objet d'un contrôle étroit pour vérifier qu'il n'est pas abusivement employé : est-on en présence d'une entité économique autonome au départ ? À l'arrivée ? Dans la durée ? Il est devenu pratiquement impossible d'organiser un transfert en application de l'article L. 1224-1 du code du travail si la collectivité des salariés et les syndicats ne sont pas convaincus de son applicabilité. En d'autres termes, les entreprises se trouvent dans une grande insécurité juridique.
6 3. Faire adhérer les salariés au transfert
Lorsqu'il n'est pas évident pour tous que les conditions d'application des dispositions de l'article L. 1224-1 sont réunies et que, de ce fait, son application risque d'être contestée, la conduite du projet de transfert repose sur l'implication en amont de l'entreprise cédante puis sa collaboration avec la cessionnaire. Avec un objectif : obtenir l'accord des salariés de l'activité cédée.
Dans ce cadre, le transfert va devenir plus compliqué pour l'entreprise cédante (entreprise A), puisqu'elle va devoir obtenir l'accord des salariés qu'elle souhaite transférer à la société cessionnaire de l'activité (entreprise B). En revanche, le transfert va devenir plus facile pour l'entreprise B sur le plan individuel : au lieu de devoir maintenir les attributions du salarié en l'état, elle va pouvoir immédiatement les adapter à son organisation et à son projet. Elle pourra accompagner cette adaptation d'un ajustement du système de rémunération du salarié, notamment si les salaires de l'entreprise A sont plus élevés que ceux de l'entreprise B et négocier avec l'ancien salarié de A un plan d'ajustement qui permettra de répondre aux critiques sur l'inégalité de traitement. Enfin, elle n'aura pas à ouvrir de négociations en vue de la conclusion d'un accord de substitution : le salarié se verra immédiatement appliquer le statut collectif de l'entreprise B. En d'autres termes, l'entreprise B bénéficiera d'une dynamique opérationnelle immédiate.
7 4. Le rôle de l'entreprise cédante
Le premier devoir de l'entreprise A est de déterminer quels sont les salariés "clés" sans lesquels le transfert serait privé d'effet et de valeur, puis quels sont les "leaders d'opinion" qui entraînent les autres et, ensuite, de vérifier si ces salariés seront ou non favorables au transfert. Afin de vérifier, de façon plus générale, si les salariés vont être avantagés ou désavantagés par le transfert, l'entreprise doit répondre aux questions suivantes : leur temps de transport va-t-il augmenter ou diminuer ? Leur rémunération globale va-t-elle croître ou décroître ? Leur couverture sociale et, plus globalement, leurs avantages sociaux vont-ils se renforcer ou s'affaiblir ? Leurs perspectives d'évolution de carrière vont-elles être meilleures ? L'entreprise A devra également vérifier si, en raison de leur spécialité, les salariés sont en mesure de retrouver facilement un emploi s'ils ne souhaitent pas suivre ou, au contraire, s'ils sont prêts à "faire un effort" pour conserver leur emploi chez B.
C'est à ce stade aussi que doit être examinée la question des salariés protégés.
8 5. Une realpolitik à mener à deux
Pour que le transfert fonctionne, les salariés doivent pouvoir vérifier que leurs intérêts sont respectés. A et B devront donc travailler en commun en vue d'établir un état de comparaison clair de la situation des salariés avant/après le transfert sur tous les aspects qui les intéressent, sans hésiter à montrer les avantages et les inconvénients de B par rapport à A.
Si les inconvénients sont plus importants que les avantages, A et B devront trouver le moyen de les "gommer", par exemple en acceptant une modification des horaires de travail, ou de les indemniser financièrement, étant ici précisé qu'il est plus dynamique que l'indemnisation prenne la forme d'un welcome bonus payé par B, même si cela n'est que facial. A et B devront également trouver le moyen de rassurer les salariés si, par exemple, l'entreprise A est en difficulté ou que le repreneur B n'est pas un grand nom. Dans ce cas, les syndicats et les salariés demandent souvent des clauses de garantie d'emploi d'un à deux ans au repreneur B ou un droit de retour chez A de la même durée.
C'est à ce prix que les salariés, éclairés et rassurés, accepteront de signer une convention tripartite avec les entreprises A et B qui mettra fin à leur contrat chez A et vaudra contrat de travail avec B.
Les deux entreprises devront être réalistes et accepter de traiter à part le cas des salariés dont les contraintes (par exemple la durée de transport) augmenteront objectivement de façon trop importante pour qu'ils puissent aller travailler chez la cessionnaire.
Si l'analyse de la situation conduit à la conclusion que les salariés nécessaires à l'entreprise B ne se déplaceront pas volontairement et que leur transfert est essentiel à l'avenir du projet économique des deux sociétés, il deviendra nécessaire de repenser la situation et, par exemple, d'envisager la filialisation par A de l'activité puis, après un certain délai, d'en céder le contrôle à B...
Vous pouvez consulter l'intégralité de l'article.
Lors d'une opération de fusion-acquisition, ou lorsqu'une entreprise transfère la totalité ou une partie d'une activité à une autre, il peut être envisagé que les salariés "attachés" à cette activité relèvent de ce transfert. S'impose-t-il aux salariés? Dans quel cas? Comment obtenir leur adhésion?
9 Intégration : réussir la greffe après la fusion
Lors d'une fusion, les synergies théoriques présentées sur le papier prennent rarement en compte les difficultés liées à l'intégration d'une nouvelle équipe, avec sa propre culture, ses habitudes bien ancrées, son rapport particulier à la hiérarchie et son attachement à des menus privilèges considérés comme acquis... Pour que la greffe prenne, le Daf doit se transformer en médiateur diplomate et en patient pédagogue avec un objectif : dédramatiser les changements et fédérer les deux troupes autour d'un projet d'entreprise commun.
Pour éviter les télescopages et les fuites, le Daf joue un rôle majeur, puisque c'est souvent lui qui gère le calendrier de la transaction, des négociations au closing. " Il faut communiquer au plus tôt auprès des instances représentatives du personnel, quand elles existent, et expliquer l'intérêt de l'opération de rapprochement, ainsi que ce qu'elle apporte au projet de développement de l'entreprise ", conseille Sophie Brignano, DRH à temps partagé pour des PME et coauteur du Guide RH des fusions-acquisitions(1). Dès que l'annonce est faite, il faut vous préparer à répondre aux inquiétudes et angoisses des salariés, surtout dans le contexte actuel de coupes franches dans les effectifs et de montée du chômage. Vous devrez adopter un discours rassurant mais surtout transparent : " Il ne faut surtout pas faire de fausses promesses aux salariés ou éluder les questions qui fâchent, insiste Sophie Brignano. Si vous comptez procéder à des licenciements ou à des changements radicaux pour la vie des collaborateurs, autant les annoncer le plus tôt possible tout en expliquant en quoi ils sont inéluctables et comment vous comptez les accompagner. "
10 Ne pas négliger sa propre équipe
Les mesures d'accompagnement et de communication sont souvent focalisées sur l'équipe reprise, qui a légitimement besoin d'être rassurée, mais ne négligez pas pour autant votre propre équipe qui peut aussi nourrir des craintes face aux changements de ses propres conditions de travail et du nouveau périmètre de son entreprise. Vous pouvez même en faire d'excellents relais d'intégration pour les nouveaux arrivants et neutraliser leur hostilité en leur confiant des missions valorisantes "d'ambassadeur". Mais attention à ne pas surcharger vos salariés historiques de nouvelles tâches liées au rapprochement. " On a souvent tendance à sous-estimer la charge de travail que représente une fusion dans une PME, pointe Sophie Brignano. Les collaborateurs qui se voient confier de nouvelles tâches liées à la gestion du changement en plus de leur travail quotidien risquent vite de se décourager. Il faut, a minima, reconnaître cet effort et le récompenser. "
Lire aussi : Réforme IJSS : quels impacts pour les entreprises ?
Quant à la nouvelle équipe qui débarque, il est nécessaire à la fois de lui laisser le temps de se créer de nouveaux repères et de s'acclimater à votre culture d'entreprise, mais aussi d'accélérer la phase d'harmonisation des conditions de travail pour éviter que les vieilles habitudes perdurent. Autrement dit, s'il est primordial de hâter toutes les modifications liées à la nature même du travail (changement d'horaires, nouvelles procédures, migration informatique...), ce n'est pas la peine, en revanche, de forcer les nouveaux venus à adopter tout de suite certains codes et rituels qui relèvent de la culture propre de l'entreprise (tutoiement généralisé, bise du matin...). Ce savant dosage nécessite infiniment de doigté et d'efforts de communication. Forts de leurs ratios, tableaux Excel et données factuelles, les Daf ont parfois tendance à négliger la valeur symbolique de certains changements, qui peuvent être dramatisés. Sophie Brignano cite ainsi l'exemple d'une équipe qui s'est vu imposer la mutuelle du repreneur et qui l'a très mal vécu, alors que le nouveau contrat était plus avantageux...
(1) Guide RH des fusions acquisitions, par Sophie Brignano et Stéphanie Cadoret, éditions Liaisons, 14 décembre 2012, 186 pages, 26 €.
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter la tribune de Florence Lafforgue, responsable de l'activité Finance et pilotage de la performance chez Accenture : "Réussir l'intégration de la fonction Finance après une fusion".
Dans un processus de fusion, après la phase énergivore des négociations, le Daf entame une étape encore plus délicate : l'accueil de la nouvelle équipe. Exit les chiffres, place à la communication...
11 Pour aller plus loin...
12 Reprendre une entreprise à la barre du tribunal
Si elle peut paraître tentante, la reprise d'une entreprise à la barre est une aventure qui ne s'improvise pas. Seuls les candidats aguerris peuvent s'y risquer, assistés par un DAF, dont le rôle sera prépondérant pour aider l'entreprise à sortir de l'ornière. Un dossier réalisé par la rédaction de Daf magazine.
13 Les 100 premiers jours d'une opération de fusion-acquisition
Cet ouvrage répond aux besoins des responsables d'entreprise d'avoir des repères sur les opérations de fusion-acquisition, de confronter leur expérience à celles de professionnels aguerris et d'enrichir leurs bonnes pratiques dans ce domaine.
Par David Brault, 200 pages, 25 €. Juin 2012.
14 Transmettre, reprendre et céder une entreprise
Comment trouver sa cible ? Comment négocier efficacement ? Comment évaluer au mieux l'entreprise ? Comment réaliser un bon business plan ? Comment trouver son financement dans une conjoncture délicate ? Comment éviter les différents pièges et embûches ? Comment réussir son intégration au sein de la cible ? L'ensemble des étapes de la reprise et de la transmission d'une PME est analysé avec rigueur et méthode. Repreneurs et cédants trouveront toutes les réponses à leurs interrogations.
Par Gilles Lecointre, 304 pages, 29 €. Mai 2012.
Voici une sélection d'articles et de livres qui vous permettront de compléter vos connaissances sur le sujet.
Sur le même thème
Voir tous les articles RH