DossierFaut-il encore investir dans les Bric ?
Représentant environ 25 % du PIB mondial, les Bric ne sont plus, pour certains experts, l'eldorado qu'ils furent. Si leur croissance est moins forte qu'auparavant... elle fait encore rêver nos entreprises, qui sont nombreuses à s'y implanter. Mais pour quel retour sur investissement ? Mode d'emploi.

Sommaire
- Les Bric, entre croissance et corruption
- Des marchés de taille
- Un environnement des affaires complexe
- De belles perspectives de croissance
- Découvrir et maîtriser un environnement atypique
- Une fiscalité comparable à un millefeuille
- Bâtir une approche business centric
- Le poids de l'administration n'a rien à envier à la France
- Des marchés à fort taux d'inflation
- Financer le développement de l'entreprise dans les Bric
- Le recrutement local, une étape incontournable ?
- Embaucher sur place pour la consolidation du marché
- Difficile d'attirer les profils très qualifiés
- Les différents rôles du Daf
- 1. Prospection : formaliser la stratégie
- 2. Démarrage : contrôler les risques minutieusement
- 3. Phase de croisière : cerner les risques du marché
1 Les Bric, entre croissance et corruption
Brésil, Russie, Inde et Chine : en 2001, ces quatre pays ont été regroupés sous l'acronyme Bric par un économiste de Goldman Sachs, Jim O'Neill, qui prévoyait que leur PIB total égalerait celui du G6 en 2040 (en 2011,l'Afrique du Sud a rejoint le groupe des Bric, formant ainsi les Brics). Au cours des années deux mille, de nombreuses entreprises, surtout des multinationales, se sont installées dans ces pays pour profiter de leur croissance. Avec 400 filiales au Brésil, 400 en Russie, 1200 en Chine et 500 en Inde (derniers chiffres en date des ambassades françaises), les entreprises françaises sont à la traîne, surtout comparées aux entreprises allemandes, les fameuses Mittelstands. Mais les groupes français sont de plus en plus nombreux à franchir le pas.
Selon l'enquête Outward FATS (Foreign Affiliates Statistics) de l'Insee réalisée en 2011, les effectifs dans les Bric représentent un cinquième des emplois des filiales françaises à l'étranger, contre 18 % en 2009. Plus de dix ans après la création de l'acronyme, s'installer ou investir dans les Bric représente-t-il encore une réelle opportunité ?
2 Des marchés de taille
Force est de constater que l'économiste de Goldman Sachs ne s'était pas trompé : entre 2004 et 2011, la croissance moyenne de la Chine a été de 10,8 %, celle de l'Inde de 8,3 %, celle de la Russie de 4,4 % et celle du Brésil de 4,2 %. Si, en 2012, un ralentissement s'est fait ressentir (Chine : 7,7 % ; Inde : 5,5 % ; Russie : 3,5 % ; Brésil : 1,1 %), les chiffres restent supérieurs à ceux qu'enregistrent les pays occidentaux.
Les Bric présentent également l'avantage d'être des marchés d'une taille exceptionnelle : 1,3 milliard de consommateurs en Chine, 1,2 milliard en Inde, 191 millions au Brésil et 140 millions en Russie. Avec des classes moyennes qui montent en puissance : elles représenteraient 55 % de la population au Brésil (source : Banque mondiale), 20 % des habitants en Russie (source : ministère de l'Économie et du Développement russe), 160 millions des consommateurs indiens (source : National Council for Applied Economic Research) et 280 millions de ménages chinois (d'ici 2015 selon une étude de McKinsey).
Ce sont ces formidables marchés qui séduisent les entreprises qui s'y installent, et non plus tellement les coûts intéressants en termes de main-d'oeuvre. Ce que confirme Simon Mowbray, Daf de l'agence de conseil en e-commerce Imatone : " Nous nous sommes installés en Chine pour le salaire des développeurs, mais nous cherchons aujourd'hui à nous tourner vers le marché chinois. " Ou encore Nanno Wams, le Daf d'ESI Group, entreprise de prototypage industriel, installée en Chine, en Russie et au Brésil " pour une plus grande proximité avec les clients ".
Olmix, spécialiste de la chimie verte, notamment en termes d'alternative aux additifs utilisés dans l'agriculture, va même plus loin : ses filiales en Russie, en Chine et au Brésil vendent des produits fabriqués en Bretagne. " Ce sont des marchés à fort développement à côté desquels nous ne pouvions pas passer ", explique Jean-Marie Bocher, le Daf de la société.
3 Un environnement des affaires complexe
À la mesure de leurs opportunités, les Bric présentent des faiblesses. Notamment en termes d'environnement des affaires. Le rapport Doing Business 2013 de la Banque mondiale, qui analyse la réglementation des affaires dans 185 pays (en étudiant notamment les formalités de création d'entreprise, le paiement des taxes et impôts, l'exécution des contrats...), place l'Inde à la 132e place, le Brésil à la 130e place, la Russie à la 112e place et la Chine à la 91e place.
L'environnement des affaires est également plombé par des problèmes de gouvernance. Selon le 2012 World Governance Indicators de la Banque mondiale, les Bric, à l'exception du Brésil, présentent des problèmes inquiétants en termes de qualité de la réglementation, d'autorité de la loi et de contrôle de la corruption. Des pays où les bakchichs sont monnaies courantes.
Coface a ainsi décidé de déclasser l'Inde, notamment pour l'incapacité du gouvernement à mener des réformes. La transparence des sociétés pose aussi problème : il est souvent difficile d'avoir accès à des bilans fiables. Ce qui exige d'être vigilant au moment du choix des partenaires commerciaux. Et si le Brésil n'a pas de réels problèmes politiques, c'est du côté de son industrie que le pays a du souci à se faire, avec des entreprises qui investissent de moins en moins.
4 De belles perspectives de croissance
Malgré ces problèmes, les prévisions de croissance sont toujours excellentes. Ernst & Young prédit ainsi une croissance en Chine de 8,1 % en 2013 et de 9,1 % en 2014. Et le cabinet table sur une croissance d'au moins 5 % par an dans les 25 prochaines années pour le Brésil, la Russie et l'Inde.
Selon le FMI, les Bric devraient assurer 61 % de la croissance mondiale en 2015. Certains secteurs seront particulièrement porteurs, comme l'automobile, l'industrie agroalimentaire, l'industrie mécanique... Et certains défauts de ces pays devraient être corrigés. Au Brésil, les investissements devraient repartir à la hausse avec la Coupe du monde de football en 2014 et les Jeux Olympiques en 2016. Des événements qui pousseront à améliorer les infrastructures, tout comme pour la Russie, qui accueillera la Coupe du monde de football en 2018, après avoir organisé les Jeux olympiques 2014.
" De nombreux projets sont déjà en cours de réalisation et les opportunités sont multiples pour les entreprises françaises ", annonce Pavel Chinsky, dg de la Chambre de commerce et d'industrie francorusse (CCIFR). Il espère également que l'adhésion récente de la Russie à l'OMC amènera le pays à faire des efforts supplémentaires de standardisation des normes et de réductions des barrières commerciales.
Seule ombre au tableau : une inflation due à l'augmentation des prix des matières premières. Si ces pays parviennent à faire en sorte que la consommation intérieure remplace les exportations, les Bric ont encore de beaux jours devant eux.
Avec une croissance moyenne de 7 % depuis 2004, les Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine) ont permis aux entreprises qui s'y sont installées de faire des bénéfices appréciables. Représentent-ils encore aujourd'hui une belle opportunité ?
5 Découvrir et maîtriser un environnement atypique
Les impressionnants taux de croissance affichés par les Bric ont récemment connu une accalmie, mais ces pays continuent de susciter l'intérêt d'un grand nombre d'entreprises européennes. Or, ils peuvent dérouter les Occidentaux : " Le Brésil présente un environnement très spécifique, voire exotique ", prévient Frédéric Regert, Daf de GL Events. Ce groupe lyonnais d'événementiel est implanté dans le pays depuis 2006, époque à laquelle il avait remporté le marché et la concession du Riocentro, le plus grand parc d'exposition d'Amérique du Sud. Le groupe est aussi implanté en Russie, où il a été sous-traitant pour les JO d'hiver de 2014. Pour bien aborder les Bric, Frédéric Regert préconise " d'être très vigilant sur les processus de due diligence, d'intégrer les contraintes propres à de forts taux d'inflation... sans oublier la question de la fiscalité ".
6 Une fiscalité comparable à un millefeuille
La fiscalité brésilienne est tripartite, avec des taxes fédérales, des taxes dépendant des États fédérés, et des taxes municipales. " Sur ces trois strates, chaque entité publique a sa compétence : il n'y a pas forcément d'homogénéité ", explique Charles-Henry Chenut, avocat fiscaliste et conseiller du Commerce extérieur de la France. Des taxes s'appliquent également lorsque les marchandises passent d'un État à un autre. " Cette fiscalité inter-États fait de la localisation un élément fondamental ", souligne Charles-Henry Chenut.
Certaines régions, comme Manaus, proposent des zones franches à la fiscalité avantageuse. " Mais elles se situent souvent dans des zones excentrées du pays, éloignées des réseaux de distribution. Si les sociétés qui vendent des prestations intellectuelles peuvent y trouver leur compte, celles qui commercialisent des produits perdront en logistique ce qu'elles gagnent en fiscalité. " D'autant que le Brésil impose des taxes douanières importantes. " Lorsque nous faisons venir des structures temporaires, la fiscalité peut monter jusqu'à 70 à 80 % du prix de vente de l'actif ", confirme Frédéric Regert. Cette complexité fiscale se retrouve dans les autres Bric.
En Inde, les entreprises sont à la fois soumises à des taxes imposées par l'État et à une fiscalité décidée par chacune des 28 régions. En Chine, chaque bureau d'impôts est géré de façon indépendante. " Au sein d'une même ville, chaque bureau a ses propres conditions, et les impôts peuvent être négociés, surtout dans les zones de banlieue comme Minhang, Baoshan, ou encore Qingpu pour la ville de Shanghai ", explique Wei Hsu, managing director chez INS Global Consulting.
Dans ces pays en forte croissance, la législation évolue très vite, du moins en ce qui concerne l'adoption des textes. " Si le gouvernement chinois légifère rapidement, la mise en application est relativement lente, en raison de la non-uniformité fiscale et d'un certain manque d'organisation ", précise Wei Hsu. Ainsi, le gouvernement a adopté, en juillet 2011, une loi obligeant les entreprises étrangères basées en Chine à cotiser à la sécurité sociale. Mais elle n'est toujours pas appliquée.
7 Bâtir une approche business centric
La complexité de la fiscalité requiert de faire appel à des spécialistes du pays cible, à même de se plier aux exigences réglementaires, mais aussi de se livrer à une optimisation nécessaire au maintien de la compétitivité de l'entreprise. " Il faut passer par un cabinet d'avocats fiscalistes, le mieux étant de trouver un cabinet franco-brésilien qui pourra expliquer les enjeux, les rendre intelligibles pour le dirigeant français. Si l'entreprise fait appel à un cabinet brésilo-brésilien, le risque est qu'il ne parvienne pas à expliquer les problématiques à la direction de façon claire ", juge Charles-Henry Chenut.
Certaines entreprises, spécialisées dans le conseil en développement international, aident les sociétés françaises dans leur approche de ces marchés, car la complexité n'est pas que fiscale. Ainsi, Altios International, présente à São Paulo, New Delhi, Shanghai et Moscou, intervient à travers la mise en place de réseaux de distribution, l'implantation industrielle, la création de filiales et la gestion comptable. " Nous travaillons souvent avec les sociétés via des systèmes de portage. Nous pouvons les héberger dans nos locaux et recruter du personnel en notre nom pour qu'elles puissent se concentrer sur leur activité, en leur évitant les contraintes administratives, explique Patrick Ferron, le dirigeant. Nous employons dans chacun de nos bureaux des comptables qui assurent la fonction comptabilité et reporting pour le compte de nos clients français. "
8 Le poids de l'administration n'a rien à envier à la France
Les entreprises occidentales tentant de pénétrer les Bric sont souvent déroutées par le poids de l'administration, notamment en Chine et en Russie. En Russie, les entreprises étrangères doivent produire deux types de documentation : l'une réservée à l'administration fiscale russe et l'autre aux normes IFRS pour les actionnaires français. Une nécessité d'autant plus contraignante que le reporting n'est pas annuel comme en France, mais trimestriel. La collecte des documents doit donc être plus rigoureuse. " C'est un héritage du système communiste, avec toutes les contraintes que cela suppose. Le gouvernement souhaite tout verrouiller, contrôler. Il y a certes une évolution, mais bien trop lente ", regrette Patrick Ferron.
Autre particularité du marché russe : la lenteur des processus de validation de la facture, qui peut entraîner des retards dans l'encaissement de la créance. Si, en France, il est possible de provisionner les montants à payer en attendant de recevoir une facture, les règles comptables russes l'interdisent. " Dans ce pays, comme dans beaucoup de pays de l'Est, le comptable a pratiquement la même fonction qu'un notaire. Il ne peut strictement rien comptabiliser tant que les documents justificatifs n'ont pas été reçus et validés ", explique Jean-François Dhoury, directeur de mission au cabinet Objectif Cash. Il cite l'exemple d'une société française dont la filiale russe, basée près de Vladivostok, facturait un client implanté à Moscou. " Les factures devaient nécessairement passer par la capitale pour être validées, ce qui prenait au minimum 15 jours et retardait d'autant l'encaissement des créances. "
Partir à la conquête du Brésil, de la Russie, de l'Inde ou de la Chine, marchés aux taux de croissance inconnus en Europe, nécessite d'intégrer l'environnement atypique de ces pays. Une PME qui débute à l'export ne sera pas suffisamment aguerrie vis-à-vis de leurs spécificités.
9 Des marchés à fort taux d'inflation
L'environnement des Bric se caractérise également par de forts taux d'inflation : en 2012, 7,18 % en Inde (contre plus de 10 % en 2010), plus de 6 % en Russie (contre 6,9 % en 2010), 5,8 % au Brésil (contre 5 % en 2010) et 2,6 % en Chine (contre 3,3 % en 2011). D'où des augmentations de salaire régulières et importantes. Au Brésil, la hausse des salaires est décidée par le gouvernement chaque année.
Pour contrôler l'inflation, les taux directeurs sont particulièrement hauts dans les Bric. En Inde, le taux directeur de la Reserve bank of India se situait à 8 % fin 2012. Le Selic (Sistema especial de liquidacão e custódia), le taux de base bancaire brésilien, comparable au taux de refinancement de la BCE, s'élevait à 7,25 % fin 2012. Ce chiffre, qui se répercute sur les taux pratiqués par les banques, complique le financement sur place.
10 Financer le développement de l'entreprise dans les Bric
Pour Sabine Fillias, managing director chez Chausson Finance, le financement du développement de l'entreprise dans les Bric dépend du timing de l'opération : " Si l'entreprise n'est pas lancée dans ces pays, il est beaucoup plus simple de lever des fonds en France. Même si une entreprise compte les plus gros donneurs d'ordres français, ça ne parlera pas nécessairement à un Russe ou à un Chinois, tandis que les Européens, eux, pourront valoriser le projet. " Mais comme le souligne Sabine Fillias, " a contrario, une fois l'entreprise entrée dans l'écosystème, les choses peuvent être différentes. Ce qui est important alors, c'est l'argent que le fonds vous apporte, mais aussi son carnet d'adresses, sa capacité à vous présenter les bonnes personnes ".
Frédéric Regert, le Daf de GL Events, confie ainsi que le groupe a eu des difficultés à trouver le moyen de financement adéquat pour s'implanter au Brésil : " Il est impossible de pratiquer des management fees, puisqu'elles sont taxées à plus de 40 %, un taux très dissuasif, et le marché bancaire est assez resserré. Nous avons fait le choix d'apporter des equities, et de les compléter avec des financements locaux pour les 10 000 m2 que nous construisons pour la Fifa dans le cadre de la Coupe du monde de football de 2014. "
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S'implanter dans les Bric signifie s'implanter dans un marché fortement inflationniste. Avec, comme répercussion, des augmentations de salaires décidées par le gouvernement. Une fois ce paramètre pris en compte, reste à arbitrer sur la question du financement de l'entreprise.
11 Le recrutement local, une étape incontournable ?
La question du recrutement, notamment dans les pays à forte croissance comme les Bric, est un choix complexe où vont entrer en compte non seulement les données économiques, mais aussi la culture du pays et les impératifs réglementaires. Ainsi, les barrières administratives en Chine sont importantes. Pour recruter une personne étrangère, l'entreprise doit justifier que le travail en question ne pourrait pas être réalisé par un Chinois.
12 Embaucher sur place pour la consolidation du marché
" Toute entreprise désireuse de réussir sur le marché chinois est de toute façon obligée de recruter sur place, commente Wei Hsu, managing director chez INS Global Consulting, une société spécialisée dans la gestion du personnel offrant des services de portage administratif et salarial. Le fait de faire venir du personnel étranger est un choix compréhensible, surtout pour l'étape initiale. Cependant, pour le développement et la consolidation du marché, procéder à des embauches sur place est incontournable. Le marché chinois est très complexe, et le personnel local est plus apte à comprendre ses enjeux ", ajoute-t-il.
Les Bric, à l'instar de la plupart des pays à forte croissance, partagent par ailleurs une caractéristique commune : s'il est en général facile et peu coûteux de trouver localement des employés pour occuper les fonctions de base, le recrutement de postes très qualifiés peut se révéler plus délicat à gérer. Il sera par ailleurs plus difficile qu'en France de retenir les personnes-clés. " En Inde, les gens n'ont jamais connu l'emploi à vie, rappelle Priti Marteil-Agarwal, spécialiste de l'Inde chez Primafi Partners. La mobilité est une réalité, au sein d'une ville ou même d'une région. "
Le contexte est similaire au Brésil. " Ici, il n'est pas choquant de connaître dix postes différents en dix ans ", explique Frédéric Ronflard, managing director Brésil au sein de l'agence de recrutement Robert Walters.
13 Difficile d'attirer les profils très qualifiés
Johann Wasserer est Daf de LM Farma, une société brésilienne spécialisée dans les produits de cicatrisation, acquise en 2011 par le groupe Viva Santé. L'entreprise, qui comptait 101 employés lors du rachat, est forte désormais de 153 salariés. " Comme partout dans les Bric, les gens profitent du boum et n'hésitent pas à changer d'emploi. Ils attendent des augmentations, explique-t-il. Nous n'avons pas rencontré beaucoup de difficultés à trouver des candidats pour des postes comme la production ou les fonctions support, parce que nous offrons une rémunération assez attrayante au regard d'autres industries. Mais il est très difficile de trouver des personnes très compétentes en respectant nos budgets ", ajoute-t-il.
L'effet combiné de la forte croissance (et donc de l'inflation), du plein-emploi et de la rareté des profils très qualifiés a pour résultante un écart type important entre les salaires les plus bas et les plus élevés. " Sur les fonctions de base, les salaires coûtent deux fois moins cher qu'en France, mais sur le management et la direction, on atteint facilement des niveaux de rémunération de 30 % à 40 % plus élevés ", indique Johann Wasserer. Il peut ainsi être intéressant financièrement d'avoir recours à des expatriés pour certaines fonctions à haute responsabilité.
Faut-il recruter en local ou recourir à l'expatriation ? Pour se décider, le Daf doit tenir compte de plusieurs paramètres dont, bien évidemment, le profil du poste. Reste que fidéliser les salariés dans les Bric est très difficile.
14 Les différents rôles du Daf
Dans le cadre d'un projet international, le travail du Daf commence par une phase de prospection, dont l'objectif sera notamment de collecter et trier un maximum d'informations sur le pays cible, et de chiffrer les différents scénarios. Sera-t-il plus rentable d'installer une filiale, un réseau de distribution, de s'adosser à un partenaire local ? Pour ce faire, le Daf devra s'intéresser aux divers mécanismes d'aide à l'export.
15 1. Prospection : formaliser la stratégie
" Entre les établissements publics, l'État, les collectivités territoriales, on compte pratiquement 50 000 aides différentes, et c'est au Daf de faire le tri, éventuellement en se faisant aider de ses collègues des autres fonctions ", explique Jean-François Dhoury, directeur de mission au sein du cabinet spécialisé en management de transition Objectif Cash.
Il recommande de s'adresser en priorité à Coface et à Ubifrance, ainsi qu'aux services régionaux chargés de distribuer des aides aux entreprises qui veulent exporter ou s'implanter à l'étranger. C'est à moment-là que le Daf devra réaliser la première ébauche de business plan, ce qui lui permettra de faire le tour des partenaires bancaires pour mettre en place les outils de financement. " Il est crucial de procéder à un minimum de formalisation de la stratégie, donc à un chiffrage d'éléments comme le développement des ventes, l'hypothèse de prix de revient, d'effort commercial... " Cette première étape doit aussi permettre d'anticiper un éventuel problème d'inconvertibilité ou de recouvrement de créances. En Chine, par exemple, le rapatriement des capitaux peut être facilité par la création d'une société mère à Hong Kong.
Sogedev, société de conseil aux entreprises, a procédé à une phase de prospection de quatre mois pour préparer son entrée sur le marché brésilien en 2011. L'entreprise, qui travaille principalement dans le domaine de l'obtention d'aides de type CIR, a réalisé une étude de marché poussée portant sur les données macroéconomiques du pays, et sur le secteur de l'innovation dans lequel elle est spécialisée. " L'idée était de déterminer combien le pays compte d'entreprises innovantes, dans quels secteurs. Nous avons aussi mené une étude juridique sur les dispositifs sur lesquels nous intervenons ", précise Charles-Édouard de Cazalet, Daf et cofondateur de la société. Sogedev a ensuite étudié les modalités de son implantation : coûts salariaux des profils qu'elle voulait recruter sur place, frais généraux, loyers, frais télécoms...
Pour définir le besoin en fonds de roulement, Sogedev a procédé à une étude de marché permettant de déterminer quelles compétences devraient être déployées sur place, et donc la masse salariale nécessaire. " Nous avons aussi étudié les charges externes : télécoms, bureaux... Notre tâche a été facilitée du fait que nous ne commercialisons pas de produits, donc nous n'avons pas de notion de stock de produits à acquérir ", souligne le Daf. La société s'est adressée à Ubifrance, mais a aussi rencontré des filiales de clients français au Brésil, des dirigeants de filiales, des avocats, des expertscomptables... " Nous voulions avoir le point de vue de ces différents interlocuteurs sur la manière dont on travaille au Brésil, ce à quoi il fallait nous attendre. Bref, disposer d'une bonne photographie du Brésil pour faire le moins d'erreurs possible ", explique Charles-Édouard de Cazalet.
16 2. Démarrage : contrôler les risques minutieusement
La deuxième étape concerne la phase de démarrage. " C'est la phase la plus critique pour une PME, car c'est celle qui engage des capitaux importants ", commente Jean-François Dhoury (Objectif Cash). Le Daf va alors devoir s'occuper du contrôle de gestion et du contrôle des risques : risque de marché, mais aussi risque de fraude. Les experts recommandent ainsi de mettre en place un système de contrôle de gestion, mais surtout de contrôler l'acheminement et le gardiennage des stocks pour prévenir le vol de marchandises. " Le Daf ne peut pas faire l'économie d'un voyage sur place pour contrôler les opérations, vérifier qu'il n'y ait pas de fuites dans le circuit ", ajoute Jean-François Dhoury. Et de donner l'exemple d'une entreprise française qui avait monté une filiale en Chine, où le manager local avait organisé une autre filière d'approvisionnement que celle souhaitée par la société mère.
Se déplacer a un autre avantage : cela permet aux équipes locales de se sentir impliquées dans la vie du groupe, et non isolées. Cette phase est aussi celle d'un éventuel ajustement du business plan, en raison par exemple d'un besoin en fonds de roulement plus important que prévu : " Chez Sogedev, nous procédons à des ajustements de trésorerie tous les deux ou trois mois environ ", commente Charles-Édouard de Cazalet.
17 3. Phase de croisière : cerner les risques du marché
L'entreprise est installée, elle a trouvé l'équilibre avec le distributeur, l'équipe est stabilisée. Le Daf est alors dans un rôle classique de jalonnement de la performance et de contrôle budgétaire. " Si l'entreprise a beaucoup grossi, il faudra aussi prendre en compte les besoins en BFR et les flux de financement à long terme, qui ne seront plus les mêmes, et drainer de nouvelles ressources, ajoute Jean-François Dhoury (Objectif Cash). La phase de croisière est également le moment où le Daf devra mettre en place des mécanismes de rapatriement des fonds pour assurer le retour sur investissement. " Il est impératif de rester vigilant durant cette période, car l'entreprise peut être confrontée à un regain de concurrence.
" Une fois qu'on a fait bouger les lignes, l'entreprise va attirer des convoitises locales, résume Jean-François Dhoury. En Chine, on trouve aussi le risque de la perte de contrôle de l'entreprise. Lorsque ça commence à bien marcher, un représentant des autorités locales vient taper à la porte pour vous contraindre à vous associer avec un partenaire local. " Mais la concurrence peut aussi venir d'entreprises étrangères et exportatrices. Le Daf devra donc bien cerner les risques de marché que pourront constituer de nouveaux entrants, ou les barrières que pourraient poser les autorités locales.
Axe majeur du rôle du directeur administratif et financier : garantir la sécurisation de la rentabilité économique de l'entreprise. Pour cela, les spécialistes distinguent trois étapes-clés : prospection, démarrage et phase de croisière. Précisions sur ce qui est attendu du Daf step by step.
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