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Employeur et collaborateurs : une mutation en cours estime Laurent Grandguillaume, ancien médiateur entre artisans/poussins et taxis/VTC/plateformes

A nouvelles formes d'emploi, nouveau dialogue social : l'ancien député Laurent Grandguillaume, coprésident du Conseil de la simplification pour les entreprises jusqu'en juin et très impliqué dans la lutte contre le chômage de longue durée, livre ici son analyse, en toute franchise.

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Laurent Grandguillaume
Laurent Grandguillaume

"Désintermédiation, plateformisation, écosystème élargi, entreprise étendue... il y a surtout une mutation de la relation contractuelle entre l'employeur et les collaborateurs". Tel est le constat de Laurent Grandguillaume, député jusqu'en juin dernier.

Avant que d'être député, Laurent Grandguillaume a assumé divers mandats locaux après un début de carrière dans le secteur bancaire, et " en local, les élus ont de bonnes relations en général avec les entrepreneurs de TPE, PME et ETI de leur territoire ". D'où, à son arrivée à l'Assemblée nationale en 2012, sa surprise face au mouvement des Pigeons : " C'est la fracture entre les élus nationaux et l'entreprise qui m'a surpris. Je ne comprenais pas pourquoi on débouchait forcément sur de telles confrontations idéologiques alors qu'au niveau local on travaille ensemble sur des sujets du développement du territoire, d'intérêt général. " S'ensuit la création, avec Thierry Mandon, d'un collectif d'une dizaine de députés et d'entrepreneurs, dédié à travailler à la simplification, baptisé "Entreprendre à gauche". " Certains ont pu voir dans cet intitulé une provocation, voire une antinomie " , sourit l'ancien parlementaire.

Toute simplification est compensée par une création de complexité

Lui qui a su faire adopter à l'unanimité deux lois (dont celle visant à expérimenter l'idée des Territoires Zéro chômeur de longue durée) appréhende les entreprises par le prisme de leurs empreintes : une empreinte économique par l'emploi créé, mais aussi les richesses générées et les impôts payés ; une empreinte sociale, par leur implication dans les projets citoyens notamment ; et une empreinte écologique. " Ces trois empreintes sont, à mon sens, à prendre en compte pour cerner les attentes des entreprises dans un territoire. " Or, nous sommes encore loin du compte comme le relate l'ex coprésident du Conseil de la simplification dont la composition est mixte (chefs d'entreprises, parlementaires, administrateurs et experts) : " Pour l'aspect économique, on ne peut que déplorer que toute simplification soit compensée par des créations de complexité, comme le compte pénibilité. Ou qu'une vraie simplification, comme le prélèvement à la source, tourne à la complexité du fait du planning adopté initialement. Cela percute les dirigeants, DRH, directeurs financiers. " Et de préciser : " Ce ne sont pas toujours les administrations centrales qui s'opposent à la simplification. Dans le cadre du Conseil de la simplification, j'ai vu des entrepreneurs me dire : "Ne supprimez pas cette norme, ça remettrait en cause mon modèle économique." Et c'était vrai ! "

Pour continuer sur la voie de la simplification - " même si certaines mesures, telle la DSN, entraînent au déploiement de la complexité " - et amplifier ce mouvement, " il faut surtout changer de culture, c'est-à-dire instaurer des mesures d'impact avant que de faire comme le font l'Angleterre, l'Allemagne et certains pays du Nord de l'Europe ".

A savoir

Il existe un groupe d'impact, initié par Laurent Grandguillaume, au sein de l'Assemblée nationale, qui se réunit avec une dizaine d'entrepreneurs ou dirigeants dès qu'il y a un projet de loi ou un décret impactant les entreprises pour débattre et tester.

La loi d'expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée, " vaste ambition ", construite avec le milieu associatif, est issue d'" un triple constat : nul n'est inemployable, il y a des besoins dans les territoires qui ne sont pas satisfaits, et le coût du chômage de longue durée en France est de 17 000 euros par personne et par an quand celui d'un Smic chargé est de 20 000 euros si l'on tient compte des allégements ". " En reliant ces deux sommes, on finance des entreprises qui créent des emplois au service d'activités, sans doute peu solvables au début mais utiles, et qui ne rentrent pas en concurrence avec des activités déjà présentes. "

Des entreprises à but d'emploi, utiles mais non concurrentes

Ainsi, à Villeurbanne, un des dix territoires d'expérimentation, le quartier Saint-Jean, qui compte 500 chômeurs de plus d'un an, a créé une entreprise dite à but d'emplois, qui bénéficie de ces fonds durant cinq ans. " Il s'agit de construire un modèle autonome à terme et d'employer, en payant au Smic, des personnes pas ou peu diplômées mais aussi, comme à Villeurbanne, une ingénieure titulaire d'une thèse qui ne trouvait pas d'emploi dans son bassin ".

La leçon qu'il retire de ce travail de fond ? S'accorder du temps car la réussite d'un tel défi " requiert un consensus local entre élus, entreprises de type classique, celles de l'économie solidaire, les chambres consulaires (agriculture, CCI...), mais aussi les partenaires sociaux, les associations d'insertion et les chômeurs de longue durée ". Or, " comme je l'ai constaté lors de la cinquantaine de réunions que j'ai pu animer d'Aurillac (Auvergne) à Nouzonville (Ardennes), les acteurs existent et sont nombreux mais ne savent pas travailler en commun, il y a des cloisons. Il nous a fallu deux ans pour construire chaque projet dans chacun des dix territoires ".

Pour porter cette dynamique, Laurent Grandguillaume et l'ancien DRH de Renault, Michel de Virville, ainsi que le bénévole Patrick Valentin, initiateur de l'idée, ont créé début 2017 l'association Territoires Zéro chômeur de longue durée : " Nous ambitionnons de préparer 100 nouveaux territoires dont Marseille et Boulogne-sur-Mer, qui viennent d'adhérer, pour être en mesure d'ici deux à trois ans de créer un rapport de force auprès des pouvoirs publics. Le but ? Obtenir l'extension de cette expérimentation et créer un droit d'option, soit le fait que tout territoire puisse se lancer et prendre donc un risque, à l'instar des entreprises. " Cette appréhension du risque, celui qui a rejoint en qualité de directeur du développement, fin juin 2017, le groupe Missioneo, leader national des nouvelles formes d'emploi, en particulier avec ITG-Portage salarial, y tient : " Simplifier, c'est une chose, mais il faut aussi expérimenter et cela n'est pas forcément dans la culture des administrations, des élus, ni de certaines entreprises : le risque fait peur comme le fait de bousculer l'ordre établi. De fait, il y a de nombreux ordres établis, parfois au sein des sociétés, trop hiérarchisées, en particulier au goût des nouvelles générations. "

Nouvelles formes d'emploi, nouveaux dialogues sociaux

Enfin se pose une question évidente pour Laurent Grandguillaume, qui a eu à la traiter dans le cadre du conflit entre Poussins et artisans en 2013, " un contexte à tout le moins houleux ", puis dans celui opposant taxis, plateformes et VTC. Celle de la réintermédiation, soit les nouvelles formes de dialogue social. " Désintermédiation, plateformisation, écosystème élargi, entreprise étendue... il y a surtout une mutation de la relation contractuelle entre l'employeur et les collaborateurs, qu'ils soient salariés, mais aussi et de plus en plus indépendants. " Dès lors, comment faire entendre la voix de ces indépendants dans ces nouvelles organisations du travail ? " Éviter le sujet, c'est prendre à terme le risque de conflits conséquents avec ces prestataires très particuliers s'ils sont privés d'une possibilité de s'exprimer ". Et de conclure : " Il peut y avoir d'autres conflits de ce type parce que nous n'avons pas suffisamment pris en compte dans notre pays toutes les variétés d'emploi. Il faut mieux associer les tiers de confiance : acteurs du portage salarial, des coopératives d'activité et des diverses formes d'entrepreneuriat salarié, qui intègrent déjà le dialogue social. " -

Autres choses à savoir sur... Laurent Grandguillaume

2008 : conseiller municipal, puis adjoint au maire de Dijon François Rebsamen, délégué à la jeunesse, à la vie associative et à la démocratie locale, et vice-président délégué aux finances du Grand Dijon.

2012-2017 : élu député de la Côte-d'Or, il démissionne de ses mandats locaux pour appliquer le non-cumul des mandats.

2016-2017 : master 2 au Celsa-Sorbonne en management, organisations et ressources humaines.

7 septembre 2016 : annonce son retrait de la vie politique pour d'autres formes d'engagement.

Juin 2017 : vice-président de la Fondation Travailler autrement.

- A consulter sur la loi d'expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée et les "Territoires Zéro chômeur de longue durée"

- Son blog : http://www.grandguillaume.net


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