Recherche

La neutralité politique, philosophique ou religieuse s'applique au secteur privé: comment rédiger la clause dans le règlement intérieur de l'entreprise [Tribune]

Eviter une rédaction trop précise! Et ne pas oublier que le principe de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail ne s'applique qu'aux salariés en contact avec la clientèle. Et que l'employeur a une obligation de reclassement.

Publié par Florence Leandri le - mis à jour à
Lecture
4 min
  • Imprimer
La neutralité politique, philosophique ou religieuse s'applique au secteur privé: comment rédiger la clause dans le règlement intérieur de l'entreprise [Tribune]

Après plusieurs années de saga judiciaire initiée par les arrêts Baby Loup, la Cour de cassation a consacré le 22 novembre 2017 un principe de neutralité religieuse dans les entreprises du secteur privé, et l'encadre clairement.

[..] l'employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l'ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l'entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l'article L. 1321-5 du Code du travail, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n'est appliquée qu'aux salariés se trouvant en contact avec les clients [...]

Rédaction de la clause : pas de libellé trop précis

Attention à la rédaction adoptée, car à la lecture de l'extrait ci dessus on peut imaginer qu'une clause trop précise ne visant que le port du voile serait jugée comme discriminatoire.

Un toilettage des règlements intérieurs sera donc nécessaire sur ce point par tous les employeurs qui se trouvent confrontés à cette situation.

Quels salariés ?

Deuxième limite, dans la droite ligne de l'arrêt Baby Loup, la haute juridiction dispose que cette obligation de neutralité ne peut être appliquée qu'aux salariés en contact avec la clientèle. Rappelons ici que cette interdiction se trouvait déjà justifiée lorsque commandée par des règles d'hygiène ou de sécurité.

Une nouveauté: l'obligation de reclassement

La grande nouveauté réside dans l'obligation préalable de reclassement qui pèse dorénavant sur l'employeur confronté au problème. Si un salarié refuse de se conformer à cette obligation et se met donc en contravention avec une disposition du règlement intérieur, l'employeur ne pourra le sanctionner que s'il est en mesure d'apporter la preuve qu'il a fait tous ses efforts pour proposer un poste sans contact visuel avec les clients. A défaut d'être motivé par ce refus du salarié, le licenciement pourrait être jugé comme discriminatoire.

Cette obligation peut sembler aberrante si les fonctions occupées par le salarié sont par nature destinées à l'amener à être contact direct avec la clientèle (on pense aux vendeurs ou aux salariés du secteur de l'hôtellerie-restauration).

Les règles étant dorénavant clairement posées, un employeur qui procéderait à un licenciement pour non respect du principe de neutralité sans qu'une clause de neutralité ne soit présente dans son règlement intérieur, s'expose à ce que le licenciement soit qualifié de discriminatoire et donc potentiellement déclaré nul, ce qui ouvre au salarié un droit à réintégration.

La décision du 22 novembre 2017, est le fruit d'un long cheminement ponctué par :

-l'arrêt Baby Loup rendu en Assemblée Plénière le 25 juin 2014, qui a jugé l'obligation de neutralité justifiée par les tâches accomplies par les salariés en contact avec de jeunes enfants ;

-la loi Travail de 2016 (dite " loi el Khomri ") entérinant cette jurisprudence, qui dispose que le principe de neutralité, peut désormais être inscrit en tant que tel dans un règlement intérieur ;

-la jurisprudence de la CJUE du 14 mars 2017, qui affirme que l'interdiction de porter un foulard islamique, si elle découle d'une règle interne d'une entreprise privée interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions.

L'épilogue n'est donc pas si surprenant et vient établir une certaine cohérence entre salariés du secteur privé et du secteur public ; ces derniers étant, rappelons-le, soumis au principe constitutionnel de laïcité.

L'auteur


Bastien Ottaviani assiste les directions des Ressources humaines de sociétés françaises et internationales dans la gestion de leurs relations sociales et le traitement de leurs cas individuels. Il a développé une expertise pointue dans la gestion de carrière des cadres dirigeants salariés et des mandataires sociaux, qu'il conseille dans leurs projets d'évolution professionnelle, leurs opérations d'investissement, ou encore la négociation de leur rupture de contrat.

>> À lire aussi: "La boîte à outils du droit social"

Sur le même thème

Voir tous les articles RH
S'abonner
au magazine
Retour haut de page