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Réglementations RSE : sont-elles vraiment utiles ?

CSRD, taxonomie, DPEF... Les réglementations "vertes" se succèdent, obligeant les entreprises à passer du temps sur leur compliance. Mais celles-ci permettent-elles vraiment de répondre à l'urgence climatique ?

Publié par Eve Mennesson le - mis à jour à
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Réglementations RSE : sont-elles vraiment utiles ?

En matière de climat, les mauvaises nouvelles se succèdent. Dernière prévision en date, publiée dans la revue Earth System Dynamics le 4 octobre : la température moyenne en France en 2100 pourrait être de 6,7°C plus élevée qu'au début du siècle dernier, en cas de très fortes émissions de gaz à effet de serre. Un scénario pessimiste qui ne peut pas être totalement exclu (notamment en cas de dégel du pergélisol qui conduirait à de fortes émissions de méthane). Le scénario intermédiaire prévoit une hausse de 3,8°C tandis que le plus optimiste escompte une augmentation de 2,3°C.

Ce dernier scénario a de moins en moins de chances de se produire tant les avancées en termes de réduction des gaz à effet de serre se font à la vitesse de l'escargot. A l'occasion d'une table-ronde consacrée à l'extrafinancier lors du Business & Legal Forum qui s'est tenu à Paris le 20 octobre dernier, les intervenants présents se sont alarmés de la faible ambition des législateurs en la matière. « La loi aurait pu nous aider mais elle est insuffisante. Le législateur tourne autour du pot alors qu'une seule chose est importante : arrêter d'émettre du CO2 », a fustigé Fabrice Bonnifet, directeur développement durable & QSE (qualité-sécurité-environnement) du groupe Bouygues et résident du Collège des directeurs du développement durable (C3D), après avoir rappelé que les émissions devraient baisser de 7% par an pour atteindre l'objectif de l'Accord de Paris et qu'elles continuent d'augmenter de 1,5%.

Un loi qui va dans le bon sens

Yvon Martinet, associé du cabinet DS Avocats, a nuancé, arguant que la loi permet quand même d'aller dans le bon sens, notamment si elle conduit à un alignement des méthodologies, des standards internationaux. « La transformation du reporting extra-financier en DPEF oblige à faire état chaque année des impacts sur son business model ; la loi Pacte parle aussi de changement du business model. On est dans le dur : dès l'instant où l'on dit que le business model doit changer, des évolutions sont possibles », a-t-il insisté. Nicolas Smadja, directeur juridique d'ERG France, a souligné de son côté les avancées permises par la réglementation : développement de l'éolien en mer ou encore de l'hydrogène. « La réglementation nous a permis de développer notre activité, d'aller chercher des fonds et de financer ainsi la construction et l'acquisition de nos actifs », a-t-il précisé.

La réglementation aide donc les entreprises à évoluer, même si cela se fait à petit pas. Pour Sébastien Mandron, directeur RSE du Groupe Worldline, c'est davantage le travail des ONG qui accusent les banques qui elles-mêmes se tournent vers les grandes entreprises qui elles mêmes exigent des PME et ETI d'évoluer qui permet de faire bouger les choses.

Mais qui est peu lisible

Malgré les opportunités que lui a reconnu Nicolas Smadja, ce dernier se désole du foisonnement de règles, donnant l'exemple de la loi sur l'artificialisation des sols faite de décrets, ordonnances, circulaires, règlements régionaux, etc. « Cela manque parfois de lisibilité. A cela s'ajoute l'évolution des règles entre le moment où un projet débute et sa réalisation effective », a-t-il pointé.

Fabrice Bonnifet a quant à lui souligné la caractère abscons de la taxonomie. « Nous passons beaucoup de temps pour finalement observer que nous ne serons pas loin de 0% de nos activités éligibles. Comment les investisseurs vont-ils réagir si toutes les entreprises sont à 0. A quoi cela va-t-il servir ? », a-t-il questionné. Même incompréhension du côté de Sébastien Mandron : « Tout le monde a le sentiment de ne pas réussir à atteindre ne serait-ce qu'1%. C'est un outil qui semblait créer une belle dynamique et qui se révèle finalement décevant. Nous voulons bien fournir des efforts mais à condition que cela crée une dynamique auprès de notre écosystème et serve la transformation », a-t-il rapporté.

Des déceptions auxquelles Yvon Martinet a répondu par la nécessité de tâtonner. « On est dans un trajectoire qui peut s'avérer pour le moment décourageante mais, en tirant des conséquences au fur et à mesure, les critères vont être remodelés », a-t-il avancé, donnant l'exemple du marché des quotas d'émissions qui a finalement permis à des industriels de devenir plus vertueux.

Et trop rétrospective

Reste que la réglementation ne semble pas permettre d'aller assez vite face à l'urgence climatique. Alors que faire ? Sébastien Mandron a dit se projeter dans les risques futurs, allant plus loin que ce qu'exige la réglementation qui traite de risques qui existaient déjà depuis longtemps. « Le directeur RSE n'est pas là pour faire des reportings, comme l'exige la CSRD, mais pour imaginer les enjeux de demain et flécher nos investissements », a-t-il expliqué.

« La CRSD est dans la rétrospective et nous sommes dans la prospective. Nous devons donc aller au-delà de la loi," a approuvé Fabrice Bonnifet, mettant en avant la nécessaire auto-contrainte d'un prix interne du carbone élevé. Il pense plus largement nécessaire de mettre un prix aux externalités. « Il faudrait ensuite auditer les trajectoires de progrès : il n'est plus temps de seulement régler la machine », a-t-il persisté.

A ce sujet de la prise en compte des externalités, Yvon Martinet a fait état de la comptabilité verte, soutenue par Jacques Richard qui consiste à valoriser la nature en tant que patrimoine, au même titre qu'un patrimoine financier mis à disposition par un actionnaire. Un capital naturel qui peut être utilisé mais qui doit être restitué.

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