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Opinion - Contre toute attente, la directive CSRD sert aussi l'intérêt des entreprises

Critiquée par certains pour le nombre excessif de normes ou la complexité de son reporting, la CSRD peut au contraire devenir un outil précieux pour les Daf en révisant, grâce au principe de double matérialité, la façon dont les entreprises rendent compte de leur performances ESG.

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performance ESG valorisation
performance ESG valorisation

La directive Corporate Sustainability Reporting Directive dite CSRD a été publiée au Journal Officiel de l'Union Européenne le 16 décembre 2022. Elle entrera en vigueur le 1er janvier 2024. Elle concernera les entreprises dépassant deux des trois critères suivants : bilan de 20 millions d'euros, chiffre d'affaires de 40 millions d'euros, et 250 salariés. La Commission européenne étudie l'adoption de normes distinctes et proportionnées pour les PME dépassant deux des critères suivants : 4 millions d'euros de bilan, 8 millions d'euros de CA, et 50 salariés.

La directive CSRD oeuvre à responsabiliser les entreprises en leur imposant de partager leurs informations sociales et environnementales, dans le but d'accélérer la conversion de l'économie européenne aux différentes composantes du développement durable. Cette directive remplacera la Non Financial Reporting Directive NFRD qui, en dépit de ses qualités, aura été plus laxiste en matière d'encadrement durable des sociétés.

Les normes mises en place par la CSRD concernent surtout l'environnement, le social et la gouvernance. Les normes de l'environnement seront détaillées dans plusieurs catégories : changement climatique, pollution, économie circulaire. Le volet social concerne les travailleurs, les communautés affectées et le consommateur final. Quant à la catégorie gouvernance, elle concerne la vie des affaires, notamment la conduite des relations commerciales avec les fournisseurs, la culture de l'entreprise ou encore la lutte contre la corruption.

L'ambition initiale de la CSRD était de renforcer les objectifs mis en place dans le pacte vert pour l'Europe, puis d'harmoniser à l'ensemble des vingt-sept la communication des données de durabilité des entreprises, ainsi qu'en améliorant la disponibilité des données publiées et, a fortiori, leur transparence. Ceci répondrait aux besoins d'information des parties prenantes : clients, fournisseurs, pouvoirs publics...

Autre avantage notable, la CSRD participe à favoriser la transition vers une économie mondiale durable qui tiendrait compte des enjeux de gouvernance, d'égalité sociale, et de protection de l'environnement. Les entreprises devront donc publier et communiquer leurs informations relatives à ces problématiques. La communication des données deviendra plus rigoureuse et contraignante que ce qu'exigeait la NFRD, dans une volonté d'atteindre plus efficacement les objectifs visés.

Alors certes, cette directive a certainement encore des imperfections. On peut par exemple craindre que la communication d'une entreprise sur ses bonnes performances liées à certains indices ESG, par exemple l'environnement, puissent occulter une mauvaise performance sur d'autres indices comme le bien-être de ses salariés, à l'instar d'autres dérives déjà connues comme le greenwashing. La mise en place d'une directive qui oeuvre à favoriser l'économie circulaire, la justice sociale et la lutte contre le réchauffement climatique ne suffit pas. Encore faut-il accompagner son caractère contraignant de règles relatives à la communication d'informations pour minimiser les tentatives de mauvaise foi de certaines entreprises. Mais est-ce pour autant que l'Union Européenne devrait revenir en arrière sur cette nouvelle réglementation en faveur d'une économie plus responsable ? J'en doute.

Parmi les principaux reproches faits à la CSRD, il y aurait son nombre excessif de normes, ou la complexité de son reporting. Dans les faits, la CSRD exige simplement des entreprises européennes la production d'un tableau de bord de ses performances ESG qui, en définitive, sera d'une grande utilité tant pour elles-mêmes que leurs parties prenantes. Or on voit difficilement comment ces données de performance extra-financière pourraient être collectées, analysées et valorisées à la hauteur de leur utilité, autrement que via un tel tableau de synthèse. Tableau en définitive analogue au bilan comptable qui, à l'époque de son invention, fut lui aussi critiqué pour sa prétendue lourdeur bureaucratique...

En ma qualité de dirigeant d'entreprise, j'estime qu'il est indispensable d'écouter les critiques et préoccupations formulées par mes confrères européens, car elles ont d'une part le mérite de nourrir un débat démocratique, et d'autre part révèlent certainement un défaut de communication sur l'intérêt, pour les entreprises aussi, qu'incarne la directive CSRD.

L'un des aspects-clés de cette nouvelle directive, qui mériterait de retenir notre attention à nous dirigeants, est certainement le principe de « double matérialité ». Cela innove complètement la façon dont les entreprises sont tenues de rendre compte de leur performance ESG, en tenant compte parallèlement de leur matérialité financière d'une part, et de leur impact sur la société et l'environnement d'autre part.

La matérialité de l'impact fait consensus : cela implique les questions environnementales, sociales et de gouvernance dites ESG, à savoir notamment le changement climatique, mais aussi les droits de l'homme ou bien la maîtrise de la chaîne d'approvisionnement. Certes, ces questions peuvent avoir un coût sur les résultats de l'entreprise, mais elles auront des implications importantes quant au succès et la réputation à long terme de l'entreprise. En d'autres termes, cette première matérialité extra-financière concerne le Bien commun.

À mon sens, pour mieux convaincre les dirigeants d'entreprises européennes, les porteurs de cette directive devraient davantage communiquer sur sa seconde matérialité, à savoir la matérialité financière, soit l'intérêt « privé » pour une entreprise de s'engager sur les indices ESG. Elle fait référence à ce qui préoccupe en priorité les dirigeants : la conséquence financière des questions ESG sur les opérations, la trésorerie et la performance financière de l'entreprise. Ce qui implique tant les risques et que les opportunités liées aux facteurs ESG, qui influenceraient la performance financière de l'entreprise : les réglementations, les habitudes des consommateurs, l'image...

Il convient de souligner combien ces deux matérialités sont dépendantes l'une de l'autre. L'impact qu'une entreprise a sur la société et l'environnement est directement liée à sa performance financière et, réciproquement, sa performance financière a une incidence sur son impact sociétal et environnemental.

Cette approche holistique permettrait aux entreprises européennes de mieux comprendre leurs risques et opportunités ESG et, a fortiori, de prendre des décisions plus éclairées sur la façon de les gérer. Cela les aidera nécessairement à créer de la valeur sur le long terme pour absolument toutes les parties prenantes : actionnaires, administrateurs, employés, clients...

Enfin, l'effort nécessité sera certainement mieux compris par les entreprises quand il sera réparti équitablement entre toutes les parties prenantes. Ainsi, il conviendrait que les clients acheteurs tiennent réellement compte de l'engagement RSE du candidat qui, à date, ne récompense pas assez ce dernier puisqu'elle pèse au mieux 10 % de la note totale, aller jusqu'à un tiers serait plus juste. Sans parler du Coût Global de Possession, investissement plus coût d'exploitation sur toute la durée de vie, ou même la Valeur, rarement considérés. Cet effort doit aussi impliquer la cotation de la Banque de France, évaluation annuelle des entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 1,5 million d'euros, qui ne prend pas en compte les critères ESG malgré un timide questionnaire utilisé récemment. Sans parler des sociétés d'assurance-crédit qui ignorent encore, purement et simplement, l'engagement RSE des sociétés notées : à encours client égal, une société responsable doit être davantage valorisée, auprès des investisseurs, qu'une société qui ne s'engage pas !

Ma société PELATIS est le premier acteur de sa filière en France à avoir intégré la Communauté des Entreprises à Mission. Outre mon engagement personnel d'entrepreneur à servir le Bien commun, j'aspire à montrer l'exemple. Car je sais que la performance financière de ma société est intrinsèquement liée à sa performance ESG. Le meilleur exemple que je puisse donner est que nous avons traversé la crise sanitaire du Covid sans encombre, avec aucune réduction de nos effectifs ou aide de l'état.

L'auteur :

Michel Sapranides

Michel Sapranides est président fondateur de Sigma Technologies, constituée des deux PME PELATIS et ROGER DUBOIS spécialisées dans les chantiers d'électricité générale en région Île-de-France.

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