Vers une nouvelle gestion des actifs de propriété industrielle
La loi de finances 2019 a profondément remanié le régime fiscal des produits des brevets et des droits de propriété industrielle assimilés suite aux critiques formulées au plan international. La loi de finances 2020 aménage à son tour ce régime en apportant de nouvelles précisions.
La fiscalité des produits de la propriété industrielle a subi de nombreux changements législatifs au cours de ces derniers mois, notamment afin de prendre en compte les recommandations de l'OCDE. La loi de finances pour 2020 est venue par ailleurs apporter des précisions pratiques sur ce régime en légalisant certaines prises de position de la doctrine administrative.
Mise en conformité du régime de propriété industrielle avec les recommandations de l'OCDE
La fiscalité des produits de la propriété intellectuelle a été profondément modifiée par la loi de finances pour 2019 qui a permis de consacrer, sous le nouvel article 238 du Code général des impôts, l'approche Nexus en droit français. Le régime est surtout modifié concernant les produits de cession ou de concession des brevets et assimilés et des logiciels protégés par le droit d'auteur ; la fiscalité des marques n'est pas concernée.
Jusqu'à cette réforme, les produits de cession ou de concession des brevets et assimilés étaient imposés au taux réduit de 15 % pour les entreprises passibles de l'impôt sur les sociétés (IS) et 12,8 % pour celles passibles de l'impôt sur le revenu au lieu du barème progressif. Les actifs incorporels immobilisés éligibles à ce régime préférentiel étaient les brevets, les inventions brevetables non brevetées, les perfectionnements, les procédés de fabrication industriels constituant l'accessoire indispensable des brevets et inventions brevetables et les certificats d'obtention végétale. De plus, les logiciels originaux dont l'auteur était une personne physique bénéficiaient également du régime de faveur : les entreprises auteurs de logiciels en étaient ainsi exclues.
Avec le régime issu de la loi de finances 2019, le taux d'imposition applicable a été réduit à 10% pour le résultat net de cession, de concession ou de sous-concession de certains actifs de propriété industrielle éligibles, que l'entreprise soit passible de l'IS ou de l'IR.
De plus, les droits éligibles au régime de faveur sont étendus. Ainsi, le régime de faveur s'applique :
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- aux brevets au sens large incluant les certificats d'utilité et les certificats complémentaires de protection rattachés à un brevet ;
- aux logiciels protégés par le droit d'auteur, que leur propriétaire ou auteur soit une personne physique ou une entreprise ;
- aux certificats d'obtention végétale ( c'est quoi le Certificat d'Obtention Végétale )
- aux procédés de fabrication industriels qui constituent le résultat d'opérations de recherche, sont l'accessoire indispensable de l'exploitation d'une invention et font l'objet d'une licence d'exploitation unique avec l'invention et les inventions dont la brevetabilité a été certifiée par l'INPI.
Les opérations concernées sont les cessions, concessions, ou sous-concessions de ces actifs.
Pour que la plus-value de cession de l'actif puisse bénéficier du régime de faveur, il est nécessaire que l'actif ait été acquis depuis moins de deux ans et que l'entreprise cédante n'ait pas de lien de dépendance avec l'entreprise cessionnaire.
Détermination de l'assiette imposable en rapport avec les dépenses en recherche et développement
Sous l'ancien régime d'imposition, seules les dépenses de gestion étaient imputées sur les revenus bruts pour la détermination du résultat net imposable au taux réduit.
Dorénavant, la détermination du résultat net soumis au taux préférentiel s'effectue en trois étapes :
- L'entreprise doit d'abord déterminer le résultat net de l'actif éligible déterminé par la différence entre les revenus tirés des actifs éligibles acquis au cours de l'exercice et les dépenses de R&D rattachées directement à ces actifs et réalisées directement ou indirectement par l'entreprise au cours du même exercice.
- Ce résultat net doit être multiplié par le rapport " Nexus " au sein duquel figure :
- Au numérateur : les dépenses de R&D en lien direct avec la création et le développement de l'actif incorporel réalisées directement par le contribuable ou par des entreprises non liées, retenues pour 130% de leur montant sans que le ratio ne puisse excéder 100%.
- Au dénominateur : l'intégralité des dépenses de R&D ou d'acquisition en lien direct avec la création, l'acquisition et le développement de l'actif incorporel.
3. Après application du ratio Nexus au résultat net tiré de l'actif incorporel, le résultat déterminé est soumis au taux réduit de 10%. Le fait d'intégrer dans le résultat net l'ensemble des dépenses de R&D a pour effet, si l'entreprise réalise toutes ses activités de recherche en France, de réduire la base imposable au taux réduit.
Le régime précédemment décrit est applicable pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019.
Loi de finances pour 2020, la légalisation de la doctrine administrative
Deux articles de la loi de finances pour 2020 apportent des modifications au régime de la propriété industrielle issu de la loi de finances pour 2019.
Il est prévu que soit rétablie la possibilité de compenser le résultat net imposable au taux réduit en application du nouveau régime avec le déficit d'exploitation de l'entreprise - ou le déficit d'ensemble pour les groupes fiscalement intégrés - réalisé au titre du même exercice. Cela permet d'éviter que l'entreprise ne supporte une imposition sur une partie du résultat, au titre des revenus tirés de ses actifs incorporels, alors même que son activité serait, dans son ensemble déficitaire.
Ainsi, les entreprises déficitaires qui dégagent un résultat net bénéficiaire issu de la cession, de la concession ou de la sous-concession d'actifs incorporels pourront utiliser ce résultat pour compenser leur déficit d'exploitation. L'imputation sur le déficit intervient ainsi avant l'application du ratio " Nexus " et donc avant la détermination du résultat net susceptible d'être soumis au taux réduit de 10%.
Pour mémoire, cette faculté, prévue à l'ancien article 39 terdecies du CGI, n'avait pas été reprise par le législateur lors de l'adoption du nouveau régime préférentiel en 2019. La doctrine administrative avait précisé que le résultat net éligible au régime spécial peut, sur décision de gestion de l'entreprise, servir à compenser le déficit fiscal de l'exercice(1).
L'article 56 de la loi de finances pour 2020 vient également préciser les modalités d'application du régime fiscal de la propriété industrielle pour les sociétés de personnes et les groupements assimilés. Les sociétés de personnes proprement dites, les sociétés créées de fait, les groupements d'intérêt économique, les groupements d'intérêt public ainsi que les groupements européens d'intérêt économique sont concernés.
Ainsi, le résultat déterminé selon les modalités prévues à l'article 238 du CGI fait l'objet d'une imposition séparée à taux réduit pour la fraction qui revient aux associés ou membres de ces sociétés groupements qui sont des personnes morales soumises à l'IS, ou des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein de la société ou du groupement.
Cet aménagement a vocation à sécuriser le bénéfice du nouveau dispositif pour certains contribuables détenant des actifs de propriété industrielle tout en alignant de manière cohérente le champ d'application du régime de faveur avec celui du crédit d'impôt recherche.
Ces dispositions s'appliquent aux exercices clos à compter du 31 décembre 2019.
Nicolas Moreau est avocat associé du cabinet du cabinet Bignon Lebray et est responsable du département Propriété Intellectuelle & Nouvelles technologies.
François Vignalou est avocat associé du cabinet du cabinet Bignon Lebray et est responsable du département Droit fiscal.
(1)BOI-BIC-BASE-110-30, 31 juill.2019, § 340
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