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[Tribune] Affaire Tapie - Adidas : 10 idées reçues sur la décision... et l'arbitrage

Le flot médiatique suscité par cette affaire Tapie-Adidas impose de combattre les trop nombreuses idées reçues _qu'elle inspire et, de façon plus large,_ sur le recours à l'arbitrage.

Publié par Florence Leandri le | Mis à jour le
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[Tribune] Affaire Tapie - Adidas : 10 idées reçues sur la décision... et l'arbitrage

Le 17 février 2015, la cour d'appel de Paris a admis le recours en révision, intenté par le Consortium de réalisation (CDR), contre la sentence arbitrale qui avait accordé 405 millions d'euros de dommages et intérêts à Bernard Tapie, dans le litige qui l'opposait, depuis les années 1990, au groupe Crédit lyonnais. Le flot médiatique suscité par cette affaire impose de combattre les trop nombreuses idées reçues qu'elle inspire et, de façon plus large, sur le recours à l'arbitrage.

Idée reçue 1: Une sentence arbitrale n'est pas l'équivalent d'une décision de justice

Faux. La sentence représente l'équivalent d'un jugement. Les parties ont ici choisi de mettre fin aux procédures qui les opposaient devant la justice étatique en lui préférant l'arbitrage, forme de justice privée fréquemment utilisée dans le monde des affaires. Comme un jugement, une sentence arbitrale peut faire l'objet de différents recours. Ici, c'est donc un recours en révision qui a été porté devant la cour d'appel. Ce recours consiste à remettre en cause une sentence lorsqu'on découvre que les arbitres ont été trompés par une fraude. Il peut être exercé dans les deux mois suivant la découverte de la fraude. Un recours en annulation peut aussi être engagé. Les conditions sont moins strictes mais le délai plus court.

Idée reçue 2: Le recours en révision contre la sentence n'est possible qu'en cas d'arbitrage interne

Faux. C'était vrai à l'époque où la sentence Tapie / Adidas a été rendue. Ce n'est plus vrai aujourd'hui, si le tribunal arbitral a été constitué après le 1er mai 2011. Aussi, pour statuer sur la recevabilité du recours en révision, la cour d'appel a dû trancher sur la nature de l'arbitrage. Elle a rétracté la sentence, après avoir estimé que l'arbitrage était interne, bien qu'il concernât la vente d'Adidas, société allemande, car il portait sur plusieurs autres litiges purement internes (actions en responsabilité et actions en remboursement de prêts entre parties françaises pour des faits qui se sont produits en France), le recours à l'arbitrage ayant été prévu, non dans le mandat de vente lui-même, mais 15 ans après, en 2007, dans le cadre d'un accord destiné à solder, grâce à l'arbitrage, la totalité du contentieux entre les parties.

Idée reçue 3: Un arbitrage est international dès lors qu'il concerne une opération transfrontalière

Vrai, mais la question est controversée. La cour d'appel a ici considéré qu'il s'agit d'un arbitrage interne, et non international, aux motifs que l'arbitrage résulte d'un compromis visant diverses actions entre parties françaises, et non pas d'une clause d'arbitrage incluse dans le mandat de vente d'Adidas. La sentence s'est donc prononcée sur des litiges sans lien direct avec Adidas. D'ailleurs, l'objet de l'arbitrage ne met pas directement en cause la vente d'Adidas. Et ni la sentence, ni sa rétractation n'ont d'impact hors des frontières françaises.

Cette question d'arbitrage, interne ou international, est controversée et la jurisprudence n'a pas toujours tranché en ce sens. Des arrêts de la cour d'appel de Paris ont ainsi estimé qu'un litige né d'une opération internationale pouvait être considéré comme impliquant un arbitrage international. L'arbitrage est international s'il porte sur une opération qui a réalisé, ou aurait dû réaliser, un transfert de biens, de services, de fonds, de technologie ou de personnel à travers les frontières.

Idée reçue 4: La rétractation de la sentence entraîne le remboursement automatique des sommes perçues

Vrai en principe, mais dans le cas de l'arrêt Tapie ce n'est pas totalement clair car l'arrêt du 17 février 2015 ne dit rien sur la restitution des sommes perçues en 2008 (405 millions d'euros) par Bernard Tapie. Pour les défenseurs de Bernard Tapie, ce n'est pas automatique, la cour d'appel n'ayant pas tranché cette question. En revanche, pour le CDR, la restitution est automatique, le titre en vertu duquel le paiement a été fait ayant disparu, ce qui est de jurisprudence constante. Ce qui est clair, c'est que lorsqu'une décision est rétractée, toutes ses conséquences sont annulées, y compris le versement des indemnisations. La rétractation de la sentence suppose une restitution, comme le souligne très justement le professeur Thomas Clay, spécialiste du droit de l'arbitrage connu et reconnu, en France et à l'étranger. Dans cette situation, le CDR dispose de plusieurs moyens d'actions : mandater un huissier de justice pour saisir les biens de Bernard Tapie, qui ne manquera pas alors de contester les saisies devant le juge de l'exécution ; demander la radiation du pourvoi en cassation si Bernard Tapie n'exécute pas l'arrêt ; demander à la cour d'appel d'interpréter elle-même sa décision sur cette question de la restitution, ce que peut aussi demander Bernard Tapie.


Idée reçue 5: La reconnaissance d'une fraude signifie que Bernard Tapie n'a droit à rien

Non, l'existence d'une fraude ne signifie pas nécessairement que Bernard Tapie n'a droit à rien, mais seulement que le tribunal arbitral n'a pas pu lui accorder des dommages intérêts au terme d'une procédure régulière. Pour cette raison, la rétractation des sentences ordonnée par la cour d'appel impose de trancher de nouveau les litiges opposant Bernard Tapie au CDR. La cour d'appel statuera ainsi en septembre prochain sur le fond.


La suite, soit les 5 dernières idées reçues sur l'arbitrage, la semaine prochaine...

Les auteurs

Denis Mouralis, professeur à l'Université d'Avignon et conseiller du Centre de médiation et d'arbitrage de Paris (CMAP)

Sophie Henry, déléguée générale du Centre de médiation et d'arbitrage de Paris


Denis Mouralis, professeur à l'Université d'Avignon et conseiller du Centre de médiation et d'arbitrage de Paris (CMAP), est spécialisé en droit de l'arbitrage, droit international et droit des affaires. Il publie, enseigne et dirige des recherches dans ces disciplines, en France et à l'étranger. Il est également consultant et participe régulièrement à des procédures arbitrales, en tant que conseil ou arbitre.


Sophie Henry est déléguée générale du Centre de médiation et d'arbitrage de Paris (CMAP), après y avoir été successivement consultante et formatrice en médiation et arbitrage, responsable des programmes européens et secrétaire générale.

Centre de médiation et d'arbitrage de Paris (CMAP)


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